Pour un Maroc pour tous
L’Agenda 2030 pour le développement durable et les objectifs de développement durable (SDG) tracent une voie pour relever les grands défis du développement qui ne peuvent être atteints qu’en concevant, mettant en œuvre, suivant et évaluant des politiques publiques intégrant simultanément les dimensions économique, sociale et environnementale.
Le territoire, à ses différents niveaux (mondial, régional, national et infranational) est une pièce maîtresse de cette nouvelle génération de consensus et de politiques, car il attire l’attention sur la diversité des contextes et des acteurs et donc sur la variété des stratégies nécessaires pour répondre correctement aux spécificités des situations et des enjeux de développement.
Le territoire est le lieu où s’expriment les inégalités
Le territoire est le lieu où s’expriment les inégalités et où la concentration de la population et de la production génère des disparités entre et au sein du pays, affectant différemment les populations rurales et urbaines.
A cet égard les notions à prendre en considération sont comme suit :
- Premièrement, l’état de l’art en matière de plans et de politiques de développement montre un grand intérêt pour les questions de développement territorial, dans la mesure où les questions territoriales se jouent sur un terrain beaucoup plus large que dans les politiques territoriales en tant que telles.
- Deuxièmement, ces politiques forment un ensemble que l’on a appelé une famille de politiques de développement territorial qui, sans être nécessairement aussi cohérentes ou intégrées qu’elles devraient l’être, constituent néanmoins un tout organisé et synergique.
- Troisièment, les principaux défis pour le pays : passer de ce groupe à un ensemble géré de manière globale, sans sacrifier le traitement spécifique de chaque partie. Pour cette raison, la nouvelle totalité à construire est appelée écosystème de la politique de développement territorial.
Le développement territorial est lié aux progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable à de nombreux niveaux. Si un territoire est compris comme une communauté humaine ayant un sentiment d’appartenance à la fois symbolique et objectif, dans un espace physique spécifique où un avenir commun peut être construit, relever les défis de durabilité posés par l’Agenda 2030 dépendra de l’engagement de l’humanité les uns envers les autres et envers son habitat : la planète Terre. Pour parvenir à ce sentiment d’appartenance au niveau mondial, il faut modifier la relation de l’humanité avec l’environnement et les ressources naturelles et résoudre les problèmes les plus urgents d’inégalité et de pauvreté qui caractérisent les sociétés, les nations et les États contemporains : c’est donc le niveau mondial qui compte.
L’objectif des politiques de développement territorial est fonction des questions qu’elles visent à résoudre. Chaque société, à différents moments de son histoire, identifie ces problèmes et l’expérience et les connaissances scientifiques suggèrent les moyens de les aborder et de les résoudre. Ces moyens prennent différentes formes : politiques, plans, programmes et projets. La région a une longue histoire en matière de politiques de développement territorial qui, au fil du temps, ont changé de nomenclature, d’approche et de stratégie de mise en œuvre.
Le territoire est un concept clé dans cette construction d’un style de développement décent et durable. Bien que le territoire soit un concept polysémique et fasse l’objet d’un large débat, il sera compris dans cette analyse comme une communauté humaine ayant un sentiment de propriété et d’appartenance à un espace naturel et social. En conséquence, « faire du territoire » signifie construire ce sentiment de propriété et d’appartenance, et implique d’harmoniser les attentes et les besoins de l’individu avec ceux de la collectivité humaine et de l’espace naturel et social dans lequel il est construit.
Cela signifie également reconnaître la pluralité du territoire, tant en termes d’échelle (mondiale, régionale, nationale et infranationale) que de sens et de signification (diversité culturelle, ethnique et politique). Sur la base de la reconnaissance de ces multiples options, cette analyse travaille dans une direction particulière, en se concentrant sur le territorial au niveau national en coordination avec le niveau infranational.
La notion du territoire
La notion de territoire est ancrée dans la géographie et l’étiologie naturelles. La première fait référence aux unités géomorphologiques du paysage, du climat ou des écosystèmes présentant des caractéristiques qui distinguent des unités identifiables – mais pas nécessairement homogènes -. Il s’agit d’unités hétérogènes sur le plan interne, avec leur propre mélange de diversité. La seconde fait référence aux relations entre les espèces vivantes et leur environnement naturel et à la façon dont elles développent des stratégies de délimitation et de propriété (symbolique ou réelle) des espaces dans l’intérêt de la reproduction et de la survie en tant que groupe et en tant qu’espèce. Ces démarcations sont faites par la coloration de l’eau de l’océan ou par les arômes et les odeurs de la terre. Il s’agit donc de stratégies de contrôle de portions de l’espace naturel.
L’espèce humaine développe ses propres stratégies de définition du territoire en modifiant l’espace naturel par des infrastructures (la ville fortifiée est peut-être l’un des premiers points de repère les plus emblématiques de ce type), par des réseaux de communication et des bâtiments, par la politique (institutions, règles, État) et par la culture (attribution de valeurs et de significations).
À cet égard, l’action humaine comprend l’existence de différentes définitions du territoire (technique, institutionnelle, culturelle), et la diversité des stratégies de définition du territoire. L’approche culturelle offre la possibilité de combiner les différentes perspectives et de reconnaître une double identification de l’espace en tant que constructeur de culture et de la culture en tant que façonneur de territoire.
L’égalité et la durabilité au cœur de la définition du développement territorial
Dans ses dimensions territoriales, l’égalité s’élabore dans divers domaines complémentaires, dont l’absence façonne les différents types d’inégalité territoriale.
1.L’égalité des individus sur le territoire
Toutes les personnes, quel que soit leur lieu de naissance ou de résidence, doivent bénéficier de conditions de vie et d’un niveau de bien-être qui leur permettent de réaliser leurs droits universels et, partant, d’assurer leur dignité, leur pleine réalisation et l’exercice réel et effectif de la citoyenneté. Si ces conditions ne sont pas remplies, les avantages ou les inconvénients des personnes en termes d’accès aux conditions de vie et aux possibilités de développement seront déterminés par leur lieu de résidence.
2.Égalité des territoires
Certaines conditions et certains facteurs – tels que l’environnement, l’espace public, les infrastructures ou la sécurité – affectent de la même manière les personnes faisant partie d’un groupe humain ou d’un territoire. Dans tous les cas, il s’agit de biens et de services d’usage commun qui profitent à la collectivité dans son ensemble ou la désavantagent, en renforçant ou en affaiblissant les bases sur lesquelles elle peut utiliser les opportunités et améliorer les conditions de vie de ses membres.
3.L’égalité comme reconnaissance du droit à la différence et à la durabilité
(a) Différence
La diversité sociale et culturelle au sein des territoires d’un même pays se manifeste par l’existence de visions du monde différentes, d’aspirations futures différentes ou de cultures, de langues et de comportements différents. La préservation de l’unité et de l’intégrité du territoire peut souvent dépendre de la reconnaissance et du respect de ces différences. L’agenda de l’égalité doit être complété par un agenda de la différence […] Les différences séculaires entre les groupes définis par le sexe, l’ethnicité, le territoire et l’âge occupent une place de plus en plus importante dans le débat politique et dans l’agenda public. L’appartenance à ces groupes est une source de diversité de plus en plus appréciée. Au-delà des exigences d’égalité devant la loi, elle est présente dans les luttes pour l’identité et la reconnaissance des problèmes et aspirations collectifs, qu’ils soient fondés sur le sexe, l’appartenance ethnique, l’âge ou d’autres conditions spécifiques. Toutefois, un passé de discrimination et d’exclusion signifie que les groupes définis par ces catégories connaissent aujourd’hui les niveaux les plus élevés de vulnérabilité et d’exclusion précisément en raison de cette appartenance. C’est là le paradoxe.
(b) Durabilité
La reconnaissance de la différence peut parfois être une condition de la survie de l’ensemble d’un système territorial national, un peu comme les écosystèmes stratégiques ou fragiles, où l’intendance et la préservation de la diversité dépendent des conditions générales de la production d’eau ou de la reproduction d’espèces animales ou végétales stratégiques. Dans certains cas, cette diversité peut même être une condition de la survie d’un système économique, car elle constitue un réservoir de connaissances particulières et d’activités économiques singulières, et peut former une réserve socioculturelle qui facilite l’adaptation au changement. Dans ce cas, le terme approprié est celui de diversité territoriale pour la durabilité.
Cet ensemble de principes et de droits constitue le fondement de ce que l’on a appelé « l’éthique territoriale » fondée sur l’égalité et la durabilité. Outre l’amélioration et la compréhension de cet ensemble, il est nécessaire d’aller plus loin et d’examiner les conditions de sa réalisation.
Les disparités et leurs coûts : obstacles au développement territorial
Les déséquilibres dans les conditions de vie et dans les moyens disponibles pour le développement des individus et des organisations ont un coût non seulement personnel mais aussi collectif. Ils affaiblissent les conditions de base du développement territorial et sapent l’engagement individuel en faveur de causes communes et, partant, le sentiment d’appartenance à un groupement humain. Si le territoire, comme affirmé précédemment, est une communauté humaine ayant un sens de l’avenir et du bien commun dans un espace physique défini, alors les inégalités territoriales compromettent les possibilités de construire cette communauté et, par conséquent, son sens de l’engagement envers un lieu, un avenir et un objectif commun : Les écarts de réussite et d’apprentissage renforcent la fragmentation de la société dans les pays de la région et rendent plus difficile l’établissement d’un consensus autour de projets de développement partagés.
Non seulement ils donnent des signaux d’alarme quant à la durabilité des progrès réalisés en matière de réduction des inégalités et de renforcement des capacités pour la transition vers des sociétés plus productives, mais ils entraînent également des lacunes en matière d’autonomie, entendue ici comme différentes marges de liberté pour les individus de se lancer dans des projets de vie qui ont une réelle valeur pour eux. Bien qu’il soit difficile de comparer ces coûts en termes quantitatifs, le dernier est particulièrement important car il conspire contre la durabilité et constitue une source de reproduction des inégalités territoriales en érodant la capacité fondamentale d’une communauté à définir ses objectifs et à travailler à leur réalisation.
Mise en œuvre
Par mise en œuvre, on entend l’ensemble des actions qui doivent être menées pour créer les conditions et générer les résultats nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans les plans et les politiques. La mise en œuvre pose des défis très complexes. Le lien entre la conception des politiques et des plans et les conditions de leur mise en œuvre crée des tensions dans de nombreux aspects des relations entre les individus, les institutions et les niveaux au sein des organisations ; il met également au défi la capacité à gérer de manière créative la communication, la diversité culturelle et même les attentes, les craintes et les appréhensions personnelles.
Les politiques de développement territorial peuvent s’articuler autour des actions suivantes :
(i) Vision à long terme : les facteurs qui déterminent les inégalités de développement territorial sont résistants au changement et font preuve d’une grande inertie ; par conséquent, les interventions doivent se dérouler sur de longues périodes pour avoir un impact significatif.
(ii) Capacités locales : le financement, en particulier pour les gouvernements infranationaux moins développés, a un impact plus important s’il contribue à consolider les capacités de gestion du développement local ou infranational, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources financières.
(iii) Inclusion multi-acteurs et multi-niveaux : si les besoins et les possibilités de financement sont déterminés en grande partie sur le territoire, ce processus implique un large éventail d’acteurs, de niveaux et de secteurs. C’est pourquoi il est nécessaire d’inclure de multiples parties prenantes (internes et externes) et niveaux de gouvernement lors de l’examen des ressources financières. On peut s’attendre à ce que l’impact s’accroisse à mesure que des initiatives sont prises à différents niveaux et que des accommodements sont discutés et conclus entre eux.
(iv) Équilibre entre les dépenses courantes et les investissements : les ressources doivent être correctement allouées pour couvrir les coûts des interventions de développement territorial conçues. Les progrès en matière d’infrastructures physiques doivent être en phase avec les progrès de la capacité des gouvernements infranationaux à les gérer et à les utiliser. Le financement aura plus de chances d’avoir un impact durable s’il établit un juste équilibre entre les dépenses de fonctionnement et les investissements, avec des combinaisons appropriées entre les deux.
(v) Flexibilité pour la diversité territoriale : le territoire est par nature diversifié. Les instruments doivent donc être adaptables à des conditions de développement territorial hétérogènes, et comporter des éléments de flexibilité pour répondre à ces conditions.
(vi) Outils de suivi et d’évaluation : la bonne gestion, l’efficacité et la probité dans l’utilisation des ressources dépendent du bon fonctionnement des systèmes de suivi et d’évaluation. Il est donc essentiel d’établir si de tels mécanismes sont en place.
(vii) Participation : comprise comme la participation du public ou de la communauté, elle est importante car elle a une incidence sur la transparence dans la gestion des ressources.
En plus de stratégies claires, il faut transformer la logique de l’allocation et de la mobilisation des ressources ; ici, les banques de développement et la composante fiscale de la décentralisation jouent un rôle crucial. À cet égard, les différentes sources consultées ont insisté sur le fait que la question de savoir si la décentralisation est importante pour les disparités territoriales n’est peut-être pas la plus pertinente, mais plutôt dans quelles circonstances la décentralisation est susceptible d’accroître ou de réduire les inégalités régionales.
Par conséquent, outre la décentralisation, les capacités institutionnelles doivent être renforcées, consolidées et étendues aux niveaux local et territorial. En termes financiers, cela devrait impliquer différents moyens de financement des investissements et des opérations quotidiennes, de sorte que les territoires moins développés puissent progresser en établissant et en consolidant simultanément les capacités institutionnelles afin de tirer le meilleur parti possible des opportunités que la décentralisation crée
Conclusion
Les politiques de développement territorial sont définies et caractérisées en fonction de la manière dont leurs objectifs sont établis et dont les moyens d’action pour les atteindre sont conçus. Le développement territorial dans la région a parcouru un long chemin depuis la politique régionale, en passant par la politique de développement local, pour arriver à l’approche actuelle de la politique territoriale. Ces distinctions seront utiles pour comprendre la caractérisation des politiques territoriales dans la région aujourd’hui, donnée au chapitre III, qui fournira également des éléments pour faciliter la compréhension de la variété des approches qui coexistent, non seulement dans la comparaison entre les pays mais aussi au sein de chacun d’eux.
Le développement territorial est compris comme l’État ou le processus par lequel la propriété sociale de l’espace est réalisée, ainsi que l’unité de ses parties, dans le respect et l’exercice du droit à la diversité des composantes d’un État. L’égalité et la durabilité sont identifiées comme les conditions ou facteurs les plus importants qui conditionnent les possibilités de développement territorial dans la région aujourd’hui.
Le développement est soumis à des tensions qui s’expriment sous la forme d’inégalités entre les individus sur le territoire, entre les territoires et dans la reconnaissance du droit à la diversité et la garantie de la durabilité. Ces inégalités entraînent des coûts sociaux, économiques et environnementaux qui justifient l’existence de politiques de développement territorial.
Professeur universitaire et analyste politique international