Sommet d’Alger, beaucoup de bruit pour rien


Après une interruption conséquente en raison du Covid-19, le sommet arabe s’est réuni à Alger le 1er et 2 novembre 2022dans un contexte d’incertitude et de discorde.

Le 31e sommet de la Ligue arabe s’est achevé le 2 novembreen Algérie, en présence des chefs d’État et de gouvernement des 22 pays membres de l’organisation créée en 1945. Treize chefs d’État des pays arabes se sont rendus en Algérie pour prendre part à l’événement, tandis que sept pays sont représentés par des premiers ministres et d’autres par des ministres des affaires étrangères : une participation non exceptionnelle, mais conforme aux autres sommets tenus ces dernières années. En particulier, la non-participation du roi du Maroc Mohammed VI, dont l’absence a été communiquée quelques heures avant le début des travaux, et surtout des monarques des pays arabes du Golfe, c’est-à-dire des pays les plus riches et (par conséquent) les plus influents du monde arabe.

La déclaration finale du sommet a réaffirmé la « centralité de la cause palestinienne« , appelé à des « élections dès que possible en Libye« , demandé une « trêve humanitaire » au Yémen, rejeté « l’ingérence étrangère » dans les pays arabes et réaffirmé le principe du « non-alignement » en ce qui concerne la guerre en Ukraine. Rien à faire pour la réintégration dans l’assemblée arabe de la Syrie, pour laquelle les dirigeants arabes appellent à des « efforts collectifs » pour parvenir à « une solution politique » capable de restaurer le « statut régional et international » de Damas.

Désaccords et conflits

La déclaration finale du dernier sommet en Tunisie a déclaré que « ce qui unit les pays et les peuples arabes est bien plus que ce qui les divise« . Toutefois, la même déclaration reconnaissait que « la persistance des divergences et des conflits dans la région a épuisé le potentiel arabe. »

La déclaration décrit la situation arabe actuelle comme « inacceptable » car elle a transformé la région arabe en « arènes de conflits internationaux et régionaux, de conflits sectaires et de sanctuaires pour les organisations terroristes qui menacent la sécurité, la stabilité et le développement. »

Cette déclaration intervient alors que le processus d’organisation du sommet arabe est devenu la cible de moqueries, de chagrins et de conflits sur les médias sociaux. En 2012, les Irakiens ont plaisanté sur le sommet arabe de Bagdad. Ils ont imploré Allah de « retirer ce (sommet) de leur pays« . Les mesures visant à assurer la sécurité du sommet en Irak ont paralysé la vie quotidienne à Bagdad, dans le temps.

Les régimes arabes sont confrontés à une crise existentielle depuis que les mouvements islamistes – qui ont accompagné le « Printemps arabe » – se sont élevés au détriment du nationalisme arabe.

Une étude de la CSRGULF (مركزالخليج العربي للدراسات والبحوث)a enregistré une augmentation du nombre de litiges entre pays arabes, totalisant plus de 30 litiges directs et indirects. Selon l’étude, cela a contribué à « réduire la confiance entre les régimes et à accroître la vigilance. » Cela a également conduit à « un nouveau recul dans la réalisation d’une intégration arabe commune sous l’égide de la Ligue arabe ou d’une intégration régionale au niveau des blocs du Maghreb et du Golfe. »

Certains ont noté que « les sommets arabes ont été intermittents et ont manqué de sérieux dans leur tenue au niveau requis« , soulignant que « l’efficacité des décisions des sommets arabes n’a pas répondu aux aspirations des peuples arabes. »

Selon un autre avis, le problème ne réside pas dans l’organisation des sommets arabes mais dans « l’efficacité de ce qu’ils peuvent produire dans les conditions misérables actuelles.« 

Le sommet de l’incertain

Le sommet de la Ligue arabe, qui s’est tenu les 1er et 2 novembre 2022, devait être la grande réunion du monde arabe, car le président Poutine espérait que ce 31e sommet célébrerait le retour de la Syrie dans le giron arabe après une décennie d’exclusion. L’Arabie saoudite et l’Égypte ont bloqué l’événement, invoquant l’incapacité à mettre en œuvre le plan de longue date de la Ligue pour résoudre la crise syrienne, et la guerre civile, qui dure depuis 11 ans, et menace de s’intensifier. Le gouvernement syrien a choisi de ne pas envoyer de délégation à Alger, préférant une extension de son isolement à l’humiliation d’un rejet.

C’est un coup dur pour la stratégie diplomatique de la Russie, qui a investi des ressources considérables pour démontrer qu’elle est un partenaire fiable pour les pays arabes en signant des accords de coopération et en lançant d’autres initiatives diplomatiques. La guerre en Ukraine a jeté un pavé dans la mare, montrant que Moscou n’est pas l’allié qu’elle prétend être.

En outre, une crise alimentaire touche actuellement les membres de la Ligue ; ce mois-ci, le directeur général du FMI a déclaré que 141 millions de personnes dans le monde arabe sont actuellement exposées à l’insécurité alimentaire, qui a été considérablement exacerbée par l’inflation galopante et les pénuries de produits essentiels causées par la crise ukrainienne. Ces dynamiques ont conduit à des comportements drastiques, tels que l’augmentation du trafic transfrontalier de farine, et ont créé une situation économique et sociale désastreuse, ouvrant la voie à de nouveaux troubles.

Face à cette crise, les participants au sommet d’Alger ont été sensé faire face aux défis agricoles et énergétiques révélés par la guerre en Ukraine. Le premier est le caractère obsolète de l’agriculture arabe face aux pénuries mondiales. À quelques exceptions notables près, la région reste dépendante des importations, car le manque de terres arables et les pénuries d’eau se combinent à l’instabilité politique pour limiter les capacités des exploitations agricoles nationales à répondre à la demande.

De même, il est urgent de réorganiser les circuits d’approvisionnement en céréales (à titre d’exemple, en 2020, environ 80 % des importations de blé du Liban provenaient d’Ukraine). Enfin, les États régionaux doivent réfléchir à la manière de redessiner de nouvelles routes énergétiques équipées pour faire face à la transition à venir vers les énergies renouvelables, ainsi qu’au commerce du gaz naturel liquéfié (GNL), qui apparaît comme une alternative au gaz russe.

Ce sommet a été également le premier rassemblement des pays de la Ligue arabe depuis la conclusion des accords d’Abraham en 2020. Les crises communes actuelles permettront-elles de surmonter ce que le président algérien Tebboune a appelé « l’émergence de divergences et de désaccords » ? Ce n’est pas certain, car la tendance à la normalisation des relations israélo-arabes a créé un clivage important entre les signataires de l’Accord et les États qui ont jusqu’à présent refusé de franchir ce pas.

Alors que la principale tâche du sommet d’Alger a été de démontrer que le dialogue peut l’emporter sur la discorde, la Ligue est en outre divisée entre deux grandes tendances politiques. Certains appellent à l’unité et à l’autonomie, notamment le président égyptien Sisi, qui a proposé de « bloquer la route à toutes les interventions étrangères. » L’objectif de dirigeants comme Sisi est de résister à l’enchevêtrement dans les tensions actuelles entre l’Est et l’Ouest. D’autres, comme la Syrie et le Soudan, acceptent toutefois les parallèles avec la période de la guerre froide en s’alignant soit sur le bloc États-Unis-Israël, soit sur la Russie. L’Algérie semble avoir choisi cette dernière.

Malheurs locaux et régionaux

Depuis le dernier sommet en Tunisie, le monde arabe est confronté à une situation politique, économique, sociale et sécuritaire sérieuse. Le sommet de l’Algérie s’est déroulé sur fond d’une liste croissante de défis sérieux auxquels le monde arabe est confronté.

L’inflation, le chômage, le déclin économique, la corruption, le blocage politique, le néo-tribalisme et la réapparition de l’autoritarisme, entre autres, dominent actuellement la région.

La cause palestinienne et la sécurité alimentaire ont figuré en tête des sujets les plus discutés lors du sommet. La liste comprenait d’autres questions telles que la crise actuelle en Syrie, au Yémen et en Libye, le terrorisme, la crise énergétique, l’ingérence étrangère et la réforme de la Ligue arabe.

La déclaration finale du sommet a souligné la centralité de la cause palestinienne, confirmant l’initiative de paix arabe de 2000 comme un choix stratégique pour mettre fin à l’occupation israélienne de tous les territoires arabes et parvenir à la paix.

Elle a également insisté sur la poursuite des efforts visant à protéger Jérusalem et ses lieux sacrés. En réalité, cependant, les développements de ces dernières années, au cours desquelles davantage de pays arabes ont normalisé leurs relations avec Israël au détriment des Palestiniens, sont allés à l’encontre de cet engagement.

Cette affaire met en lumière le fossé grandissant entre les slogans et les actes, ainsi que la division entre les pays arabes sur des questions essentielles. La victoire de Benjamin Netanyahu aux élections israéliennes actuelles et sa réémergence en tant que Premier ministre d’Israël pourraitcompliquer davantage la question palestinienne dans la période à venir.

Une maison divisée verra la faim persister

Alors que le sommet 2022 de la Ligue arabe s’est tenu récemment, nombre de ses membres sont confrontés à des niveaux d’insécurité alimentaire de plus en plus élevés. La crise alimentaire de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) est à la fois aiguë et à long terme. Des mesures d’aide provisoires sont désespérément nécessaires dans les pays les plus à risque, mais l’insécurité alimentaire structurelle de la région MENA va s’aggraver sans une action globale visant à augmenter la production alimentaire de la région.

La Ligue arabe peut-elle faire quelque chose ? Oui. L’expertise, l’expérience et le capital nécessaires existent déjà parmi ses membres. L’engagement réussi du Maroc auprès des pays d’Afrique subsaharienne pour accroître leur production locale d’engrais et augmenter les rendements des cultures locales s’applique à la région MENA elle-même. La participation effective des Émirats arabes unis à l’industrie des engrais en Égypte montre le potentiel de la coopération commerciale intra-arabe.

Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite gèrent des réseaux agro-industriels qui couvrent l’Amérique du Sud, l’Europe et l’Asie. Le Maroc, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont des leaders dans l’utilisation des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert dans l’agriculture. La Ligue arabe pourrait servir de plate-forme pour coordonner une coopération multilatérale efficace. En l’absence d’une telle action multilatérale, la crise alimentaire risque de creuser davantage les lignes de fracture géopolitiques au sein du monde arabe.

Faux pas diplomatique

Malgré les diverses garanties présentées à la Ligue arabe, concernant son engagement à traiter les délégations participantes sur un même pied d’égalité, les autorités algériennes ne se sont pas abstenues de révéler leur animosité envers le Maroc, à travers une multitude de provocations dont la délégation marocaine a fait l’objet.

Le fait que le ministre algérien des affaires étrangères n’a réservé aucune réception à son homologue marocain, alors qu’il a personnellement reçu tous les ministres des affaires étrangères participant auxdites réunions préparatoires, dénote le parti pris et l’intention malsaine du pays hôte.

L’objectif principal derrière ces gestes algériens, qui revêtent une forme de dissuasion, est d’éviter la participation du roi Mohammed VI, au sommet arabe.

Le voyage du roi Mohammed VI à Alger aurait misl’establishment algérien dans une situation embarrassante, notamment sur le plan protocolaire puisque les dignitaires du régime seront obligés, compte tenu des exigences de la Ligue arabe, de lui réserver un accueil digne de son rang. Une situation totalement impensable et inacceptable pour les caciques du régime en place.

De même, la participation du monarque chérifien à cette rencontre aurait risqué de détourner l’attention de l’opinion régionale et internationale, qui s’intéressera plus à cette approche royale qu’à l’avancée des travaux du Sommet.

Par ces actions, la partie algérienne confirme, une fois de plus et devant le monde entier, son intention de perpétuer les tensions avec son voisin marocain et son manque de volonté de trouver une solution aux différends entre les deux pays, malgré la multiplication des initiatives marocaines visant à calmer la situation.

Ce Sommet arabe a constitué un véritable test pour l’Algérie, en ce qui concerne ses relations avec l’Iran, puisque la Ligue arabe a pris l’habitude de condamner dans ses résolutions l’ingérence iranienne dans les affaires des pays arabes, dont le Maroc – Des phrases que l’Algérie a tenté, sans succès, d’épargner un pays qu’elle considère comme un allié.

Une attitude susceptible qui a suscité l’ire de plusieurs pays, notamment ceux du Golfe.

Des positions contradictoires

La déclaration finale du sommet algérien a appelé à la recherche d’une résolution politique des conflits en Syrie, au Yémen et en Libye. Néanmoins, les pays arabes continuent d’avoir des positions contradictoires sur chaque cas.

La Syrie a été une source de conflit et de division entre les États membres. Parmi d’autres États, comme les Émirats arabes unis et l’Égypte, l’Algérie a appelé les pays arabes à réadmettre le régime d’Assad au sein de la Ligue arabe. Malgré les efforts consentis sur ce front, l’absence de consensus à ce niveau a bloqué les tentatives de réadmission d’Assad à l’heure actuelle.

Concernant la Libye, malgré l’appel à une résolution interne basée sur un accord libyen, l’ingérence dans les affaires internes de la Libye s’est poursuivie, notamment de la part de l’Egypte.

Pendant des années, le Caire a soutenu le seigneur de guerre Khalifa Haftar pour prendre le pouvoir en Libye par la force militaire avant d’être vaincu par le GNA reconnu par l’ONU à Tripoli en 2020 avec l’aide de la Turquie.

Lors des préparatifs de ce sommet de la Ligue arabe, un affrontement a éclaté entre les responsables égyptiens et leurs homologues libyens sur fond de position de l’Égypte et de son ingérence dans les affaires intérieures de la Libye.

Les positions de l’Iran et de la Turquie ont reflété une division entre les États membres de la Ligue arabe qui ont cherché à condamner leur ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes sans désigner clairement l’Iran et la Turquie. Ironiquement, personne n’a suggéré de condamner l’ingérence d’acteurs tels que la Russie.

Dans l’ensemble, malgré les efforts de l’Algérie pour créer une atmosphère positive, motiver les États arabes à en faire plus dans tous les domaines et promouvoir une image différente pour une action arabe commune, ce sommet arabe a représenté la continuité plutôt que le changement.

La situation restera probablement la même jusqu’à ce que les paroles se transforment en actes.

Mot de fin

Les détracteurs de la Ligue disent qu’en soixante-dix-sept ans d’existence, l’organisation n’a jamais réussi à établir une voix arabe forte sur la scène internationale. La solution pourrait être une refonte des statuts de l’organisation, notamment du processus décisionnel à l’unanimité de la Ligue, pour gagner en efficacité. Ce projet hante les diplomates arabes depuis des années, mais comme pour les crises actuelles, il n’y a pas d’unanimité sur la question de la réforme.


Dr. Mohamed Chtatou

Professeur universitaire et analyste politique international

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