La secte gauchiste: les rites d’initiation


La majorité des personnes amazighes qui sont passées par la faculté il y a des décennies se souviennent certainement du processus d’embrigadement dont ils furent l’objet de la part de la secte gauchiste, pour en faire des aliénés et des déracinés qui renient et combattent leur identité. Secte qui porte plusieurs dénominations : « qaâidiste », « marxiste-léniniste » « programme d’étape » (Albarnamaj Almarhali) …Ils se souviennent des « halaqat » que ses adeptes organisaient dans l’enceinte (alharam : terme à connotation religieuse) des facultés pour les initier aux rites qui rythmeront leur vie universitaire future et qu’ils respireront comme l’air si vital à leurs poumons.

Les « frères » accueillent les nouveaux étudiants qui ont quitté la misère et la quiétude de leurs villages et bourgades de montage enclavés ou des oasis abandonnées par l’Etat (après la sollicitude de leurs mères qui misent sur leur réussite pour le sauvetage de la famille et parfois de la tribu en les conseillant : « faites attention aux Arabes »), pour leurs apprendre les ABC de leur doctrine mortifère exprimée via des logorrhées en langue arabe classique, dans un style rhétorique ou l’adjectif s’enflamme à se calciner et l’adverbe atteint ses plus hauts degrés d’intensité de supériorité ou d’infériorité.

D’abord, ils leur rappellent la règle d’or avant tout débat que menaient les gourous : « tahdid al ardiyya wa lmostalahat » (délimitation de la plate-forme et des concepts), avant de se livrer à des discours fleuves où Proudhon, Bakounine, Lénine, Trotski, Kant…sont évoqués comme références sacrées pour fustiger la bourgeoisie compradore, dans le cadre de la lutte des classes qui permettra l’avènement de la « dictature du prolétariat » comme modèle d’organisation social universel. La clé de la réussite de cette entreprise internationale : la lecture et la récitation psittaciste du Capital de K. Marx.

Les « frères », keffiehs au cou, apprennent également aux jeunes amazighes que la Palestine est une cause arabe sacrée qui mérite tous les sacrifices, y compris le sacrifice suprême. Gare à celui qui la remet en question : il pourra être jugé lors d’une « mouhakama » qui est organisée solennellement en public et le verdict oscille entre le bannissement, la torture voire l’élimination. La solution pour cette cause ne peut advenir que par la destruction totale de l’entité sioniste incarnée par Israël, l’impérialisme américano-occidental et les forces réactionnaires et rétrogrades (Alqiwa arrijâiyya) que concrétise le régime et ses affidés.

Après avoir expliqué aux « nouveaux locataires » de la faculté ce qu’est le « déterminisme scientifique », la dialectique des classes sociales, la super et l’infrastructure, et l’évolution de l’humanité depuis l’âge de pierre et l’âge de bronze, de l’homme néandertalien à l’homo-sapiens et jusqu’à l’instauration prochaine d’un régime mondial communiste à la trotskiste, on les met en garde contre la question amazighe, tamazighte qui n’est qu’un salmigondis occasionnel et le fameux « Dahir berbère » de 1930, symboles de la division, d’atteinte à l’unité du peuple et de collaboration avec le colonialisme et du sionisme qui veulent torpiller l’unité arabe. Les amazighes n’étant que d’anciens Arabes venus du Yémen au Maroc via l’Ethiopie.

Une partie de l’embrigadement est consacrée à l’apprentissage de slogans « révolutionnaires » tels : « birruh biddam nafdik ya rafiq » (avec notre âme et notre sang, nous te vengerons frère), « ya rafiq, yarafiq, lazilna âla ttariq » (camarade, camarade, nous poursuivons ton chemin) …Les slogans sont chantés de manière martiale qui nous rappelle les brigades SS hitlériennes de sinistre mémoire. Les cassettes de chanteurs libanais et égyptiens « engagés » avec le peuple font partie de l’éducation du gout musical et sont aux antipodes des chansons d’artistes amazighes « illettrés » qui ne sont guère que du folklore désuet et qui conduisent à la dépravation de tout « militant organique » (al mounadil alâoudwi), fidèle à Castro.

Une fois coulé dans leur moule « progressiste-qaâidiste-marxiste-socialiste et anarchiste », le jeune amazighe se transforme en bourreau de son identité amazighe. Formaté et chauffé à blanc par la « grandiloquence » des ténors de la secte gauchiste qui lui ont raconté des bobards en manipulant et falsifiant son histoire, il se livre à l’autodestruction.

Son cerveau a subi un lavage total. Il a muté. Sa nouvelle préoccupation est de fructifier son « capital militant » (arrassid annidali), mimer à la perfection ses géniteurs idéologiques. Il parle en arabe classique et passe la question amazighe à la trappe. C’est une futilité passéiste comparée au projet qaâidiste révolutionnaire qui va changer la face du globe.

Il n’aime pas qu’on lui parle de sa langue et de sa langue amazighes. Cela l’enrage et il devient violent. Ce sont des reliquats de la colonisation. Il a honte de dire qu’il est amazighe. Dans les « halaqiyat » qu’il anime, il dit que lui, il est « citoyen du monde » qui est au-dessus de toute appartenance ethnique, linguistique, culturelle ou tribale, même si son nom le lui rappelle : il se nomme Aït…

Qu’importe. Si vous n’êtes pas avec lui, vous êtes contre lui. Le schème qui structure sa pensée est dichotomique, semblable à celui d’un fanatique intégriste. Il pense qu’il est plus compétent en savoir et en érudition, plus intelligent. Il est la référence, le point de repère. La norme absolue et immuable.

Avec le temps et les années, notre « camarade » amazighe (arrafiq ou arrafiqa) gagne en hiérarchie : il est devenu un beau parleur qui s’égosille dans des « halaqat » qui durent ce que durent les discours castristes ou kadhafistes, annone, comme un prêtre récite le « Notre père qui êtes aux cieux », les « versets marxistes » et croasse des slogans agressifs. Il regarde ses frères amazighes et les militants amazighes d’en haut en étalant son savoir incommensurable comme un paon étale son éventail et qui oublie qu’en adoptant cette position ostentatoire, il laisse apparaitre, grandement, l’intimité de son zéro. Car, inapte à transformer et à changer la réalité, il se réfugie dans le langage, c’est-à-dire l’utopie.

Dans ses mémorables discours, il est capable de vous livrer un monde « prêt-à-porter » : un Eldorado qui fonctionne comme une mécanique infaillible. Une tragédie : car ce monde « onirique » n’existe que dans sa tête et dans son discours. Dans une tragédie classique, les personnages principaux savent qu’au bout du tunnel (à la fin de la pièce) pointe la mort inévitable. Ils sont condamnés à la subir. Leur reste le langage pour meubler l’espace et le temps qui les séparent de leur destin fatal.

Mais il arrive qu’un jour que notre camarade amazighe voit son « rêve » s’évaporer. Il découvre la duplicité de ses « maîtres à penser », leur hypocrisie et leur fourberie, leur perfidie. Il en est écœuré. Il se remémore son dévouement et son respect obséquieux de la secte qui l’a bercé d’illusions, arraché à ses racines. Il se rend à l’évidence : dans ses vallées marginalisées, il n’y a ni classes sociales, ni bourgeoisie compradore. Il n’y a ni usines, ni complexes industriels. Y vivotent des communautés dont les hommes ont servi de chair à canon pour l’indépendance et la liberté. Morts les armes à la main pour défendre leur dignité et leur terre et auxquels ni Marx ni Bakounine ne peuvent être d’aucun secours.

Sa prise de conscience est douloureuse. On s’est tout simplement moqué de lui. Certains camarades amazighes se redressent et font un virage de 180 degré pour renouer avec leur identité et leur vraie histoire amazighe. Pour d’autres, l’aliénation a atteint des proportions cliniques. Elle est en phase de métastase. Ils sont irrécupérables. En revanche, ceux qui ont entamé leur convalescence idéologique retrouve le goût de la vie. Ils s’engagent dans la défense de leur langue et culture. Ils sortent d’un cauchemar qui les a traumatisés. L’espoir leur est permis.

Par: Moha Moukhlis


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