Le Rif n’est pas une région hors-la-loi


Une fois de plus, le journalisme occidental fait preuve de sensationnalisme [i] et d’insensibilité culturelle [ii] lorsqu’il traite du monde musulman. On se demande si c’est par pure ignorance ou dans le but délibéré d’infliger de la douleur psychologique et de provoquer la panique.

Étant un fils natif de la région du Rif, dans le nord du Maroc, et un anthropologue culturel et linguiste, qui a travaillé sur la culture de la région pendant plus de 40 ans, j’ai été vraiment sidéré par la nature sensationnelle d’un article de journalisme intitulé « Le pays hors-la-loi du Maroc est le cœur du terrorisme mondial« /“Morocco’s outlaw country is the heartland of global terrorism”, écrit par Leela Jacinto [iii] et publié d’abord par la très sérieuse revue électronique Foreign Policy le 7 avril 2016 [iv] et repris ensuite par le Chicago Tribune le 8 avril 2016.

En guise d’intoduction, elle a écrit : [v]

‘’The northern Rif mountains have been home to hash-peddlers, smugglers, and outlaws for centuries.        Now they’re a breeding ground for Europe’s jihadi terrorists.’’

[‘’Les montagnes du nord du Rif abritent depuis des siècles des marchands de haschisch, des         contrebandiers et des hors-la-loi. Aujourd’hui, elles sont un vivier pour les terroristes djihadistes                d’Europe.’’]

C’est une vérité établie et un fait connu que la presse en général va pour des titres accrocheurs pour attirer les lecteurs et par conséquent vendre son produit. Mais, en réalité, l’article-reportage en question va au-delà de cela en donnant de fausses informations par le biais d’un langage sensationnel. La journaliste utilise, sans vergogne, deux informations erronées :

Une vallée du Rif

« Morocco’s Outlaw Country/Le pays hors-la-loi du Maroc » en référence à la région du nord connue géographiquement et culturellement sous le nom du Rif ; et

« Heartland of global terrorism/Le cœur du terrorisme mondial » comme si tout le terrorisme connu provenait de cette région.

Ces deux phrases soigneusement choisies par l’auteur et épousées par le rédacteur en chef de la revue Foreign Policy ouvrent la porte pour submerger le lecteur d’une série d’idées fausses et de sophismes et encourager les tendances islamophobes, déjà à leur apogée en Occident. [vi]

Malheureusement, la journaliste a utilisé une rhétorique semblable à celle de Trump pour, sans le vouloir, peut-être, effrayer les lecteurs et les amener à détester davantage les musulmans [vii] et, par conséquent, à rendre la vie de ces derniers, encore plus difficile en Occident. [viii]

Le choix malheureux des phrases susmentionnées renforce non seulement les stéréotypes existants [ix] sur les musulmans dans le monde occidental, mais diffuse également des informations fausses sur un pays comme le Maroc, un royaume qui a toujours été un allié fidèle et fiable de l’Occident pendant des siècles, sans oublier, bien sûr, qu’il est, probablement, la seule entité politique stable dans la région MENA, aujourd’hui, à la suite des soulèvements démocratiques.

J’ai l’impression que la journaliste a parcouru le Rif et le Maroc à toute vitesse, qu’elle a recueilli des informations auprès de profanes et qu’elle a écrit son article-reportage sans prendre le temps de vérifier ces informations et de discuter des questions épineuses qu’elle traite avec des experts marocains. Le résultat final est un article de journalisme alarmiste et faux et, finalement, nocif pour le pays, à prendre avec une pincée de sel de bout en bout.

Cependant, on se demande pourquoi diable Foreign Policy a publié un tel article-reportage sans faire l’effort de vérifier la véracité de son contenu. Cette publication a-t-elle été contaminée par une idéologie à la Trump, à la mode, dans le temps, en Amérique et en Europe, visant à diaboliser ouvertement l’islam et les musulmans ?

Le Rif n’est pas une région hors-la-loi

Le mot Rif signifie marge et limite ou bord en langue arabe. En effet, il a toujours été une région à la périphérie du Maroc, à la périphérie du développement et à la périphérie de la compréhension. Les gens sont élevés dans cette région pour croire qu’ils sont sur le bord ; ou plutôt ils viennent d’une autre planète, principalement pour plusieurs raisons importantes :

  • Ils parlent un idiome différent qui est un dialecte de Tamazight (Tarifit) considéré lui-même comme un dialecte difficile à comprendre parmi les locuteurs berbères ;
  • Ils vivent dans une région pauvre et accidentée où la survie est un combat quotidien ;
  • Ils vivent isolés du reste du pays en raison de barrières naturelles (montagnes) ; et
  • L’isolement, la pauvreté, la géographie, la différence ont grandement influencé les traits saillants de leur caractère, faisant d’eux des êtres humains coriaces, braves et défiants. [x]

Aujourd’hui, les Rifains sont le peuple le plus stéréotypé de tout le Maroc et de Tamazgha en raison de ce qui précède. Ils sont considérés comme très durs, rebelles et peu dignes de confiance. [xi]

En raison de ces traits de comportement, deux éminents anthropologues américains ont effectué un travail approfondi sur les tribus de cette région, à savoir Carleton S. Coon [xii] et David Montgomery Hart [xiii] , étudiant en détail leur organisation sociale, leurs croyances et leur culture matérielle au cours du siècle dernier. Ils ont tous deux été attirés par leur robustesse et leur courage.

Un historien britannique, en revanche, à savoir Richard C. Pennell, a été attiré par le sens de la résistance et la stratégie militaire de l’icône rifaine Ben Abdelkarim khattabi [xiv] (1882-1963), qui a réussi à vaincre l’Espagne coloniale avec de petits groupes de combattants, en utilisant la guérilla, une pure invention de sa part. Ses exploits sont encore célébrés aujourd’hui dans la poésie orale et les récits du Rif aussi bien que dans les annales de l’histoire du monde. [xv]

Ben Abdelkrim al-Khattabi (1822-1963), héros et icône du Rif

Tout au long de l’histoire du Maroc, le Rif, avant le Protectorat français de 1912, est resté une terre de dissidence bled as-sîba, c’est-à-dire que les habitants acceptaient l’autorité religieuse du Sultan mais refusaient de payer des impôts au gouvernement central.

Il y a d’abord eu la fameuse époque de Rifublik [xvi] (1898-1921), [xvii] une période qui s’est caractérisée par une anarchie alimentée par la prolifération des armes à feu vendues par des agents européens directement à la population locale pour préparer le terrain au colonialisme européen.

Les Riffians, historiquement, avaient ce sentiment élevé de liberté et d’indépendance vis-à-vis de tout gouvernement central. L’appartenance à une entité politique plus importante n’a jamais été une priorité pour eux, ils ont toujours voulu s’en tenir au minimum et ce minimum est la défense de leur trinité sacrée : la terre (tammurt/akal), la langue (tamazight/awal) et la parenté par le sang (ddam/dhawmat/dhamunt). [xviii] L’entité politique la plus importante pour les Rifains est probablement le clan et non la tribu ; c’est la raison pour laquelle il y avait des querelles périodiques entre les clans à la fin de chaque cycle agricole.

Il est intéressant de noter que dans le reste du Maroc, dans les terres berbères ou arabophones, l’été et l’automne étaient des périodes de fêtes de remerciement aux saints patrons locaux moussem, caractérisées par le rassemblement des tribus autour du sanctuaire de ces symboles religieux locaux vénérés afin de les remercier pour leur protection et pour une bonne récolte. Ces célébrations duraient jusqu’à une semaine et comprenaient des danses, de la musique, de la nourriture et des fantasias tbourida, [xix] un jeu de poudre (baroud) sous forme de cavalcade d’inspiration guerrière et une démonstration de courage et d’équitation.

Cela ne signifie pas du tout que les saints locaux n’étaient pas célébrés dans le Rif. Ils l’étaient, mais, traditionnellement, les querelles passent avant tout et c’est presque considéré comme une façon prioritaire de montrer son courage, synonyme de défense de la trinité rifaine et de succès dans la survie dans une région escarpée et difficile. [xx]

Avec la grande disponibilité des armes à feu pendant la période rifaine de la rifublik, les querelles étaient plus amusantes et plus payantes. Les ennemis du camp ou du clan opposé peuvent être facilement liquidés lors de conflits armés appelés litâH. Souvent, les querelles pouvaient durer tout l’été et ne se terminaient qu’avec les premières pluies qui annonçaient le début du nouveau cycle agricole. [xxi]

Toutefois, si le nombre de morts pendant la querelle est trop élevé, le clan religieux, les imrabdhen (saints soufis), interviennent pour mettre fin à l’effusion de sang et résoudre le conflit qui porte souvent sur les droits d’eau, les possessions foncières, les problèmes conjugaux ou les affaires entre clans. Les imrabdhen sortaient le drapeau du saint et les couleurs de l’Islam, plantaient leur tente dans le no man’s land des deux clans et arbitraient le conflit. [xxii]

Il est vrai qu’historiquement, le Rif a été une terre de dissidence, bled as-Siba, [xxiii] dans le passé, mais prétendre qu’il s’agit d’un « pays hors-la-loi » aujourd’hui est une idée totalement fausse qui découle soit de l’ignorance, soit de la mauvaise volonté d’infliger des dommages psychologiques aux Rifains. Il est également vrai que sous le règne de feu le roi Hassan II, pour des raisons dues à la dissidence armée de 1958 dans le Rif, il ne tenait pas personnellement la région en haute estime. [xxiv] Le roi Mohammed VI, en revanche, contrairement à son père, a manifesté un intérêt constant pour le développement de la région, tant sur le plan politique qu’économique. [xxv] En effet, aujourd’hui, de nombreux Rifains occupent des postes importants au sein du gouvernement et de l’establishment, et leurs lieux de naissance sont dûment développés.

Le Rif est une grande région géographique, il est composé du centre et de l’est du Rif qui sont fondamentalement amazighs (berbères) et qui, depuis leur islamisation au VIIe siècle, ont pratiqué un islam soufi tolérant, maraboutique dans son approche et ouvert et acceptant l’autre dans sa philosophie. Cependant, depuis les années 1970 du siècle dernier, on assiste à une résurgence prononcée de l’identité et de la culture amazighes, qui, à bien des égards, est l’antidote au radicalisme religieux.

Dans la région du Rif oriental habitent les tribus Jbala et Anjra (elles étaient à l’origine berbères mais ont été arabisées vers le XVIe siècle) situées dans et autour de villes comme Tétouan et Tanger, qui sont arabophones et ont été des proies faciles pour l’idéologie wahabiste au cours des trois dernières décennies, rendue possible grâce aux pétrodollars et aux chaînes de télévision prosélytes du Moyen-Orient.

Dans la région de Ketama, située dans le Rif occidental, les agriculteurs cultivent traditionnellement le haschisch pour la consommation marocaine, sachant que le kif, nom local du cannabis, est aussi traditionnellement utilisé comme une plante aux propriétés médicinales très prisées et que de nombreux pays, dont le Maroc, le légalisent aujourd’hui. [xxvi]

République du Rif (1921-1926)

Après l’indépendance du Maroc en 1956, les mafias européennes ont encouragé et enseigné aux locaux l’extraction de l’huile de la plante, une substance hautement nocive pour la santé et le bon sens, et elles se sont chargées de son exportation par petits avions privés ou bateaux rapides, et tandis que les agriculteurs locaux gagnaient très peu, les mafias s’enrichissaient de plus en plus grâce à ce commerce illicite. Cependant, au cours des deux dernières décennies, le gouvernement a appliqué une loi sur les cultures alternatives et a brûlé les champs de cannabis pour mettre fin à la culture du haschisch. Mais, néanmoins, le mal est fait, le Maroc est, malheureusement, taxé en tant que grand exportateur de cannabis, mais cela ne peut en aucun cas faire du Rif un pays hors-la-loi, comme l’affirme Jacinto à tort. [xxvii]

Quant au commerce de contrebande trabando, il est très actif autour des deux enclaves espagnoles Ceuta et Melilla. Il a été rendu possible par le travail féminin : « les femmes-mulets » [xxviii] et profite davantage aux deux villes occupées par les Espagnols qu’aux pauvres femmes rifaines analphabètes et divorcées. Toutefois, les choses commencent à bouger, la contrebande a été arrêtée et le Maroc est en plein création d’emplois pour les gens qui vivaient hier de ce commerce illicite et les présidios Ceuta et Melilla sont en train de perdre de leur importance économique pour les gens du nord marocain.

Le Maroc, terre de stabilité et de tolérance

Le Maroc est un pays qui a près de 8000 ans d’histoire connue ; c’est une monarchie établie depuis le XIIIe siècle après JC, bien sûr avec des hauts et des bas et des périodes d’agitation et de conflit comme la plupart des pays du monde. Ce pays a été la patrie des Juifs pendant 2000 ans sans interruption, dans un esprit de tolérance et de coexistence. Il a plus de 8 siècles de liens et d’échanges diplomatiques avec la Grande-Bretagne, plus de 2 siècles avec les États-Unis et a été le premier pays à reconnaître l’indépendance de la jeune république américaine en 1777 et à assurer la sécurité de ses navires dans la mer Méditerranée, alors infestée de pirates d’Alger et de Tripoli. [xxix]

En perspective, le Maroc a toujours été le ventre mou de l’Europe (soft belly of Europe); il y a eu l’Opération Torch du 8 au 16 novembre 1942 qui était un débarquement stratégiquement important des forces anglo-américaines dans le Maroc et l’Algérie, sous contrôle français, avant le Jour J et le débarquement en Normandie le 6 juin 1944. [xxx]

Après son indépendance de la France et de l’Espagne en 1956, le Maroc a intensifié ses échanges économiques et politiques avec l’Europe, ainsi que sa coopération militaire et sécuritaire. Aujourd’hui, il fait office de gendarme de l’Europe en arrêtant les immigrants clandestins africains qui utilisent souvent les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla pour accéder à l’eldorado européen. Un travail pour lequel il a été critiquée, à plusieurs reprises, par les organisations européennes de défense des droits de l’homme, car l’Europe ne veut pas seulement le beurre mais aussi l’argent du beurre.

L’aide la plus retentissante et la plus bénéfique que le Maroc accorde à l’Europe se situe probablement dans le domaine de la lutte globale contre le terrorisme. En effet, il a contribué à aider des pays comme l’Espagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne à déjouer des attaques terroristes. Dernièrement, il a aidé la France à localiser et à tuer le cerveau des attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015, perpétrés par l’ISIS.

Il est également bien connu que le Maroc dispose de l’un des organes de sécurité et de renseignement les plus performants et les plus fiables dans le monde. En effet, depuis les attaques terroristes de 2003 à Casablanca, il a été en mesure de traquer les radicaux islamiques et de démanteler leurs cellules dormantes avant qu’ils n’entreprennent leurs violentes opérations terroristes au Maroc et ailleurs.

Depuis quelque temps, l’administration américaine ne cesse de louer, de temps à autre, le Maroc pour ses efforts et ses actions incessantes dans la lutte contre le terrorisme mondial : [xxxi]

« Le nouveau rapport du Département d’État américain sur le terrorisme pour 2009 fait l’éloge du Maroc     en tant que modèle de sécurité, d’efforts novateurs pour freiner l’extrémisme et de coopération       internationale pour combattre la menace transnationale d’Al-Qaïda et de ses affiliés tels qu’Al-Qaïda au          Maghreb islamique (AQMI) en Afrique du Nord et au Sahel, que le rapport cite comme l’un des groupes    les plus actifs d’Al-Qaïda dans le monde ».

Le rapport fait l’éloge de la politique du roi Mohammed VI :

« des efforts significatifs pour réduire l’extrémisme et dissuader les individus de se radicaliser, »

Y compris l’Initiative nationale pour le développement humain du Maroc, connue sous le nom d’INDH, un programme de 1,2 milliard de dollars lancé en 2005 :

« pour créer des emplois, lutter contre la pauvreté et améliorer les infrastructures, avec un accent                 particulier sur les zones rurales. »

Très récemment, le directeur du Centre des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme (UNCCT), Jehangir Khan,  [xxxii] a déclaré à la MAP (agence de presse marocaine) en marge de la 9e réunion du Comité de coordination du Forum mondial de lutte contre le terrorisme (GCTF), tenue à La Haye :

« Je loue le Maroc et SM le Roi Mohammed VI pour le leadership du Royaume dans la lutte mondiale            contre le terrorisme ».

Ce rôle de pionnier a été :

« confirmé aujourd’hui par l’accès du Maroc à la coprésidence du Forum mondial de lutte contre le                terrorisme (GCTF), une plateforme importante qui réunit de nombreux pays dans différentes régions du      monde pour promouvoir la coopération multilatérale, en soutien aux efforts de l’ONU pour le         développement de la stratégie globale contre le terrorisme ».

A souligné Khan, également directeur de l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme des Nations unies (CTITF).

En gardant cela à l’esprit, on se demande comment une région du Maroc, principalement le Rif, peut être un « foyer du terrorisme mondial« . Cela n’a pas de sens. Il s’agit soit d’une méprise grossière, soit d’un indice journalistique sensationnel pour que l’article ait beaucoup de succès.

Les terroristes musulmans européens sont faits maison [xxxiii]

Après les attentats terroristes de Charlie Hebdo en 2015, [xxxiv] le gouvernement français et les médias français qualifiaient les terroristes de terroristes algériens et les autorités algériennes, courroucées, à juste titre, ont fait remarquer que lorsque des Algériens français réussissent dans leur carrière, comme le footballeur Zineddine Zidane, ils sont français, mais que lorsqu’ils sont terroristes, ils sont algériens : une réaction inacceptable de deux poids deux mesures.

Mme Jacinto, tout au long de son article, relie tous les terroristes à leurs origines rifaines, comme si c’était leur origine qui était responsable de leurs actes criminels et de leur comportement hors-la-loi. Elle néglige, de manière grossière, ou probablement elle n’a pas entrepris de recherches sérieuses pour arriver au fait que la plupart de ces personnes ne parlent pas la darija (l’arabe marocain) ni le tarifit (le dialecte local de Tamazight). En outre, beaucoup d’entre eux ne sont jamais allés dans le Rif, ou s’ils l’ont fait, ce fut brièvement pendant les vacances d’été. Ainsi, en perspective, ils n’ont aucun lien fonctionnel avec la terre de leurs parents et grands-parents.

Champs de cannabis de Ketama

À la suite du plan Marshall [xxxv] américain de 1948, l’Europe a lancé un programme massif de reconstruction, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais elle souffrait d’un manque flagrant de main-d’œuvre. Pour contourner cet obstacle, elle a envoyé des recruteurs dans les pays d’Afrique du Nord pour trouver des travailleurs subalternes robustes et leur choix s’est porté sur les montagnards, principalement les Berbères ; des gens forts, travailleurs et droits et ils sont venus en masse en Europe.

Les Berbères du Souss, du Moyen Atlas, du Mzab, de Chaouia et de Kabylie sont allés en France, tandis que les Rifains sont allés en Belgique et en Hollande. La plupart d’entre eux utilisaient, parfois, le même passeport, à condition d’avoir le même nom de famille. Dans les années 1970, ils ont été autorisés à faire venir leur famille et à s’installer pour de bon. La plupart de ces personnes rêvaient de retourner au bled (terre natale) avec suffisamment d’argent pour construire une maison et acheter un lopin de terre pour l’agriculture, mais ils ne l’ont jamais fait parce qu’ils avaient une progéniture qui avait été élevée en Europe et qui n’avait aucun lien avec la terre natale et aucun désir d’y retourner.

La plupart de ces migrants vivaient dans des ghettos et ont développé une mentalité de ghetto. A Marseille, les migrants de deuxième, troisième et quatrième génération, rejetés par la société française, bien qu’ils soient français, se sont recyclés dans le trafic de drogue et les activités illicites, faisant de cette ville, la capitale du crime en France et probablement dans toute l’Europe occidentale.

Les migrants ont souffert du racisme européen, mais ont réussi à se réfugier dans la religion, qui leur a permis de se rassembler avec d’autres migrants musulmans, surtout de leur région, voire de leur tribu et de leur langue, tout en gardant un profil bas et en étant reconnaissant envers le pays d’accueil et respectueux de ses lois.

En revanche, pour ce qui est des générations suivantes nées sur le sol européen, l’histoire est totalement différente. Ils étaient des ressortissants des pays dans lesquels ils étaient nés, parlaient couramment la langue et s’intégraient à la culture avec aisance et une pointe de défi, conscients de leurs droits et de leurs obligations et, contrairement à leurs parents, vivant dans une démocratie et non encapsulés dans la peur d’un dirigeant non démocratique, d’un establishment écrasant et d’une culture restrictive.

Ces ressortissants d’origine migrante, bien qu’ils se sentent différents et agissent différemment, ont été soumis comme leurs parents au racisme quotidien, à la moquerie et à la haine, mais contrairement à leurs géniteurs, ils se sont défendus par une sorte de rébellion ouverte qui s’est manifestée, au début, par de petits vols et des délits et, plus tard, par le trafic de drogue qui les a conduits tout droit en prison.

Dans toute l’Europe, les Européens de souche utilisaient la main-d’œuvre de la population migrante, mais les dédaignaient et méprisaient leur culture et, par conséquent, les migrants vivaient avec les leurs dans des habitations de la périphérie urbaine connues sous le nom de cités en France comme à Paris et dans d’autres villes, ou dans des zones ghettoïsées comme Molenbeek en Belgique, et comme Tower Hamlets ou North Kensington à Londres en Grande-Bretagne. Ces ghettos sont des sortes de petites républiques où les jeunes migrants règnent et expriment leur indépendance par le rejet des lois du pays ou parfois par le recours pur et simple à la délinquance et à la violence des gangs.

À Paris, les jeunes immigrés se rendent le week-end dans le métro au centre de Paris pour se divertir, manger et draguer (draguer les filles françaises) avec une attitude machiste prononcée, issue de la culture de leurs parents ou grands-parents venus du bled. La colère des jeunes de la cité se manifeste par une violence verbale qui se traduit par des moqueries et des remarques dérisoires à l’égard du public français pour montrer leur rejet de la culture et de l’ordre public du pays.

À bien des égards, ce sont les Européens et leur attitude à l’égard des migrants, exprimée par le racisme passif du grand public, ou par des organes politiques et leur plate-forme raciste, comme le Rassemblement national en France, ou des associations pan-européennes comme Pegida en Allemagne, [xxxvi] qui décrient ouvertement les migrants, qui sont responsables de la déviance des jeunes migrants. Les enfants de migrants sont non seulement méprisés par les Européens, en général, mais ils sont également victimes de discriminations en matière d’emploi, de logement, d’éducation et d’habitat.

La somme de toutes ces attitudes négatives de l’Europe envers ses fils a créé un sérieux problème d’identité chez ces derniers. En Europe, ils sont considérés comme « étrangers » ou issus d’une « culture étrangère » et au Maroc et ailleurs en Afrique du Nord, ils sont appelés péjorativement zmagri, ce qui signifie « migrant ». Donc, techniquement, ils ont le sentiment de n’appartenir à aucun endroit et c’est un état d’esprit très dangereux et suicidaire. Dans cette situation sans issue, beaucoup de ces enfants et jeunes adultes ont cherché refuge dans le côté apaisant de la religion, sachant que l’Islam prône dans ses écritures une identité pan-religieuse inscrite dans le concept de l’oummah. Ainsi, après avoir été délinquants, beaucoup d’entre eux se sont « convertis » à l’Islam et ont fréquenté les mosquées pour des prières et des rassemblements collectifs, mais une telle pratique ne leur offrait pas la satisfaction personnelle : il leur manquait encore quelque chose de crucial.

Ce « manque » a été comblé lorsque les radicaux sont apparus sur la scène, prêchant la vengeance contre les salibiyoun « les croisés », qui ont émasculé l’islam et les musulmans depuis le XVIe siècle par le biais du colonialisme, de l’impérialisme, de la culture subliminale occidentale et de l’asservissement économique. Ces radicaux ont donc offert aux jeunes la possibilité de se venger des « croisés » par une foi forte (imân qawî) en l’Islam, en exprimant explicitement leur solidarité avec le monde musulman.

La solidarité professée n’est pas à sens unique chez les radicaux ; elle s’exprime par un encadrement religieux, une assistance sociale et même une aide financière dans des conditions difficiles. Les jeunes sont en outre invités à des réceptions sociales, à des célébrations religieuses et sont amenés à s’approprier totalement leur vie et celle de leur communauté musulmane.

Le troisième niveau du conditionnement radical est celui où les jeunes sont appelés à prendre la responsabilité de changer le statu quo de la nation de l’Islam (taghyîr al-’oumour), par des actions spécifiques qui inspireront le respect de leurs amis et inspireront la peur à leurs ennemis. Ils sont informés que ces actions sont violentes et impliquent la mort pour une bonne cause religieuse juste (istishhâd), mais qu’en retour on leur promet le bonheur éternel au paradis et toutes les joies et réjouissances qui y sont liées.

L’Europe n’est pas inclusive

Les politiciens européens ont toujours prêché le multiculturalisme et l’intégration, mais, hélas, ce n’était que des paroles en l’air car les musulmans de toute l’Europe se sont sentis marginalisés en raison de leur culture et de leur croyance et, par conséquent, les jeunes musulmans sont devenus des proies faciles pour les radicaux religieux comme Al-Qaïda ou l’ISIS.

L’existence, aujourd’hui, des cités françaises, de Molenbeek en Belgique et de divers ghettos à travers l’Europe, ainsi que les récentes attaques terroristes malheureuses en Belgique, sont la preuve irréfutable que l’Europe a lamentablement échoué à l’épreuve du melting-pot.

Conscient que la politique française d’intégration des musulmans a été un fiasco total, le Premier ministre français de l’époque, M. Valls, accompagné de 11 ministres de son cabinet, s’est rendu à Vaulx-en-Velin, dans le Rhône, où, en 1990, des émeutes ont éclaté à la suite de discriminations. Mais près de trois décennies plus tard, le chômage reste élevé chez les jeunes, en effet la moitié des jeunes de 25 ans sont sans emploi, ce qui signifie que le système d’apartheid dénoncé par le Premier ministre Valls en janvier 2015, suite aux attentats terroristes de Charlie Hebdo, en des termes aussi forts que : « l’apartheid territorial, social et ethnique« , est encore très fort.

Pour lutter contre les discriminations, Valls avait annoncé publiquement 20 actions (mésures) dans le cadre de la structure administrative créée précédemment pour lutter contre l’exclusion sociale : le « Comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté (Ciec). » [xxxvii]  Il a également appelé l’Etat et le secteur privé à offrir des emplois de haut niveau aux jeunes méritants issus de ces zones défavorisées :

‘’ …il faut renverser la table. Il faut que les élites de notre pays, dans les secteurs publics comme privé,         soient à l’image de notre pays. (…) L’état et la fonction publique doivent être exemplaires et ils ne le sont    pas.’’

Cependant, malgré ce geste positif de la part du gouvernement français pour lutter contre l’apartheid, il mène, sur un autre registre, une guerre ridicule et peu concluante contre le port du Hijab dans les établissements d’enseignement comme l’université et autres espaces publics.

D’un côté, le Premier ministre Valls avait souhaité que le Hijab soit interdit sur les campus, [xxxviii] tandis que sa ministre de l’éducation, d’origine marocaine, Najat Vallaud-Belkacem, ne le souhaitait nullement, mais plutôt de manière très indirecte tout en défendant l’attitude de son patron :

‘’On connaît ses convictions. Le voile lui est désagréable. Il souhaiterait qu’il puisse être interdit dans    bien des lieux, y compris à l’université, mais il reconnaît lui-même que c’est compliqué, car à l’université, le principe de la liberté de conviction l’emporte.’’

D’autre part, le président Hollande [xxxix] ne partagait pas, non plus, l’avis de son Premier ministre sur cette question. En effet, lors d’une émission télévisée intitulée « Dialogues citoyens », sur la chaîne de télévision France 2, il avait déclaré très clairement que :

‘’Il n’y aura pas de loi sur le voile, et il n’y a aucune règle constitutionnelle qui d’ailleurs ne le permette.’’

Cette attitude positive s’inscrit dans la lignée de l’attitude française très remarquée de l’abandon du projet de loi controversé sur la déchéance de nationalité qui avait été envisagé par le gouvernement français au lendemain des ignobles attentats terroristes de Paris le 18 décembre 2015.

Cela signifie-t-il que la France abandonne sa sacro-sainte laïcité et adopte une position de realpolitik qui s’est avérée plus gratifiante dans les pays anglo-saxons comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, etc. et qui génère des relations raciales et une sensibilité culturelle plus saines et meilleures ? La réponse est non, la laïcité est la vraie religion de la France depuis la Loi du 9 décembre 1905. [xl]

En un mot

Le terrorisme islamiste radical infligé à l’Europe depuis les événements de Madrid 2004 est d’origine locale et les pays d’origine des pères et grands-pères des auteurs ne peuvent en aucun cas être rendus responsables directement ou indirectement de leurs actes condamnables et ignobles.

Ce mauvais comportement de la part des jeunes musulmans est le résultat de leur marginalisation dans leur pays de naissance et de non-adoption en raison de leur culture, de leur croyance et de leur couleur et il incombe aux gouvernements européens d’adopter des politiques plus inclusives vis-à-vis de leurs citoyens, quels qu’ils soient.

Ces terribles attaques terroristes sont un signal d’alarme qu’il faut entendre avec attention et responsabilité et sur lequel il faut agir, par conséquent, immédiatement.

Quant aux arguments et aux affirmations de la journaliste Leela Jacinto, ils constituent une manière et une approche inacceptables d’expliquer la violence des enfants de migrants, car ils ne font que balayer le problème sous le tapis et blâmer les autres pour leur propre incapacité à résoudre leurs propres problèmes structurels, plutôt que de chercher les véritables racines du malaise.

Notes de fin de texte :[i] Le sensationnalisme (appelé parfois journalisme jaune quand il concerne la presse) désigne l’exploitation systématique par une partie des médias du goût pour le « sensationnel » d’une partie du public (« ce qui produit une forte impression de surprise, d’intérêt, d’admiration »1). Ces médias, pour des raisons d’image, d’audience ou de commerce usent de « procédés » dramatisant certains événements ou éléments d’information. Via le choix d’un titre, du vocabulaire, de la typographie, de la photo ou de l’illustration dessinée, ou par des effets rhétoriques ils font ressortir certains éléments sordides et/ou spectaculaires pour attirer l’attention des spectateurs ou des lecteurs. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Sensationnalisme).[ii] La sensibilité culturelle est définie comme suit: Être conscient que les différences et les similitudes culturelles entre les personnes existent sans leur attribuer une valeur – positive ou négative, meilleure ou pire, bonne ou mauvaise.

La sensibilité culturelle, parfois aussi appelée sensibilité interculturelle ou simplement conscience culturelle, est la connaissance, la conscience et l’acceptation d’autres cultures et de l’identité culturelle des autres. Elle est liée à la compétence culturelle (les aptitudes nécessaires à une communication efficace avec des personnes d’autres cultures, ce qui inclut la compétence interculturelle) et est parfois considérée comme le précurseur de la compétence culturelle, mais est un terme plus largement utilisé que la compétence culturelle. Au niveau individuel, la sensibilité culturelle permet aux voyageurs et aux travailleurs de naviguer avec succès dans une culture différente avec laquelle ils interagissent.

La sensibilité culturelle s’oppose à l’ethnocentrisme et implique la communication interculturelle et d’autres compétences. La population de nombreux pays comprend des groupes minoritaires composés d’autochtones et d’immigrants d’autres cultures, et les lieux de travail, les établissements d’enseignement, les médias et les organisations de tous types sont soucieux d’être culturellement sensibles à ces groupes. De plus en plus, la formation est intégrée aux lieux de travail et aux programmes d’études des étudiants à tous les niveaux. La formation est généralement destinée à la culture dominante, mais dans les sociétés multiculturelles, elle peut également être dispensée aux migrants pour leur faire connaître d’autres groupes minoritaires, et elle peut aussi être dispensée aux expatriés travaillant dans d’autres pays.

Cf. Foronda, Cynthia L. « A Concept Analysis of Cultural Sensitivity ». Journal of Transcultural Nursing. SAGE Publications. 19 (3), 2008, pp. 207–212.[iii] Leela Jacinto est un reporter d’actualité internationale de France 24. Elle est spécialisé dans le Moyen-Orient et l’Asie du Sud. Leela a commencé sa carrière de journaliste à Mumbai, en Inde, avant de s’installer à New York, où elle a travaillé pour ABC News. Son travail a été publié dans Foreign PolicyThe Boston Globe et The Nation. Elle est diplômée de l’université de New York, et elle vit actuellement  à Paris.[iv] Jacinto, Leela. ‘’Morocco’s Outlaw Country Is the Heartland of Global Terrorism’’, Foreign Policy, April 7, 2016. https://foreignpolicy.com/2016/04/07/the-rif-connection-belgium-brussels-morocco-abdeslam/[v] Ibid.[vi] Lean, Nathan. The Islamophobia Industry: How the Right Manufactures Fear of Muslims. London: Pluto Press, 2012, p. 66.[vii] L’islamophobie est la peur, la haine ou les préjugés à l’égard de la religion de l’islam ou des musulmans en général, surtout lorsqu’ils sont considérés comme une force géopolitique ou une source de terrorisme. La portée et la définition précise du terme islamophobie, y compris la pertinence de la race, font l’objet de débats. Certains chercheurs considèrent qu’il s’agit d’une forme de xénophobie ou de racisme, d’autres considèrent que l’islamophobie et le racisme sont des phénomènes étroitement liés ou se chevauchant partiellement, tandis que d’autres contestent toute relation, principalement au motif que la religion n’est pas une race.

Cf. Bleich, Erik. “Defining and Researching Islamophobia”, Review of Middle East Studies, vol. 46, no. 2, 2012, pp. 180–89. JSTORhttp://www.jstor.org/stable/41940895[viii] Chtatou, Mohamed. ‘’Radicalization of Young Moroccans of European Diaspora and Responsibility of Europe’’, Eurasia Review, September 19, 2017. https://www.eurasiareview.com/19092017-radicalization-of-young-moroccans-of-european-diaspora-and-responsibility-of-europe-oped/[ix] Un stéréotype est une image préconçue, une représentation simplifiée d’un individu ou d’un groupe humain. Il repose sur une croyance partagée relative aux attributs physiques, moraux et/ou comportementaux, censés caractériser ce ou ces individus. Le stéréotype remplit une fonction cognitive importante : face à l’abondance des informations qu’il reçoit, l’individu simplifie la réalité qui l’entoure, la catégorise et la classe. Un préjugé est une opinion préconçue portant sur un sujet, un objet, un individu ou un groupe d’individus. Il est forgé antérieurement à la connaissance réelle ou à l’expérimentation : il est donc construit à partir d’informations erronées et, souvent, à partir de stéréotypes.[x] Coon, S. Carelton. The Tribes of the Rif. Cambridge, Mass.: Peabody museum of Harvard University, 1931.[xi] Bouyaakoubi, Lahoucine. Le « Berbère » stéréotypé : étude des processus de construction des images et des représentations des « Berbères » du Maroc dans les sources coloniales françaises : représentation, domination et exclusion. Thèse de doctorat en Anthropologie sous la direction de Tassadit Yacine soutenue en 2012 à Paris, EHES. http://www.theses.fr/2012EHES0515

Résumé : ‘’A partir d’une approche historique et anthropologique, l’objectif de cette thèse est l’étude et l’analyse des conditions et du processus de production du savoir ethnographique, ethnologique et anthropologique sur les « Berbères » du Maroc pendant la période du Protectorat (1912-1956), qui a donné lieu à une série de stéréotypes, positifs ou négatifs, investie au service de la domination coloniale. Il s’agit essentiellement de tenter de comprendre le rapport existant entre le regard colonial aux « populations » colonisées ou à coloniser et les différentes stratégies de domination menées par l’administration coloniale. Autrement dit, il s’agit de voir comment une représentation, en tant que produit d’un effort mental, peut jouer un rôle dans une stratégie de domination. Ainsi, dans le contexte des XIXe et XXe siècle, et en tenant compte de l’évolution des idées et du savoir en France (l’orientalisme, l’ethnologie, l’émergence des idées raciales, la catégorisation des populations. . . ) les « Berbères » étaient vus triplement distincts: d’abord en tant qu’Autre (musulman, oriental, Afircain ou Arabe), différent et inférieur à l’Européen, et ensuite différents par rapport aux « Arabes », avec qui, ils partagent le même territoire et enfin, différents entre eux-mêmes (Rifains, Chleuhs et Imazighen). Qu’ils soient vus comme bon paysans ou braves guerriers, organisés ou anarchistes, orthodoxes ou peu islamisés, … Les représentations produites sur les « Berbères » du Maroc, inspirées du regard citadin français aux montagnards de la métropole, évoluent en fonction des intérêts de l’administration du Protectorat.’’[xii] Coon, S. Carelton. The Tribes of the Rif. Op. cit.[xiii] Hart, Montgomery D. The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif : An Ethnography and History. ( Viking Fund publications in anthropology # 55) ; Tucson : Publié pour la Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research. Tucson: University of Arizona Press, 1976.[xiv] Pennell, C.R. Country With a Government and a Flag : The Rif War in Morocco, 1921-1926. Boulder, CO. : Lynne Rienner Publications. 1986.[xv] Chtatou, M. 1991.  » Bin ʿAbd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya « , in Tribe and State: Essays in Honour of David Montgomery Hart, ed. E. G. H. Joffe et C. R. Pennell. Cambridgeshire, U.K. : Middle East and North Africa Studies Press, 1991, pp 182-212.[xvi] Hart, Montgomery D.The Aith Waryaghar of the Moroccan Rifop. cit., pp. 356-368.[xvii] Le terme « Rifublic » est une corruption du mot « République » qui signifie à la fois que le Rif est devenu, en quelque sorte, indépendant de la sultanerie et qu’il peut s’occuper de lui-même, mais aussi que l’ordre public a cessé et que la région est entrée dans une ère de querelles interclaniques et intertribales. Le quotidien El Telegrama del Rif, depuis sa création en 1902, rend compte quotidiennement de ces querelles intestines.[xviii] Chtatou, Mohamed. ‘’Comprendre la trinité culturelle amazighe’’, Le Monde Amazigh, 7 septembre 2018. https://amadalamazigh.press.ma/fr/comprendre-la-trinite-culturelle-amazighe/[xix] La fantasia est une tradition équestre pratiquée essentiellement au Maghreb, se manifestant par la simulation d’assauts militaires. Cet art est notamment appelé « jeu de la poudre » ou « jeu des chevaux », et aussi tbourida localement (au Maroc). L’inscription de la tbourida sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité est annoncée par le Comité du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en décembre 2021 au nom du Maroc.

Pratique très ancienne en Afrique du Nord, elle prend le plus souvent la forme d’évolutions équestres au cours desquelles des cavaliers, munis de fusils à poudre noire et chevauchant des montures richement harnachées, simulent une charge de cavalerie dont l’apothéose est le tir coordonné d’une salve de leurs armes à feu. Elle peut en outre, selon les régions, être exécutée à dos de dromadaire ou à pied.

La fantasia relève indirectement d’une tradition équestre berbère très ancienne, à mettre en rapport avec l’introduction du cheval barbe, qui fut notamment utilisé chez les Libyens orientaux pour tracter des chars, dès le xiiie siècle av. J.-C., puis, pendant le millénaire suivant, adapté en tant que monture par les Paléo-Berbères, avec, plus tard, les chevauchées de la célèbre cavalerie numide du roi Massinissa1. Signalée à la fin du xviiie siècle par les témoignages de voyageurs au Maghreb, elle sera formellement connue, et prendra ce nom de fantasia, dès 1832, grâce au peintre français Eugène Delacroix et aux tableaux qu’il en fait. Elle deviendra ensuite l’un des sujets de prédilection des peintres orientalistes les plus illustres, tels qu’Eugène Fromentin ou Marià Fortuny.

La fantasia accompagne le plus souvent les fêtes importantes (mariages, naissances, fêtes religieuses, etc.), même si l’aspect touristique l’emporte largement de nos jours. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fantasia_(cavalerie))

Cf. Michael Peyron (en), « Fantasia », dans Gabriel Camps (dir.), Encyclopédie berbère, vol. 18 : Escargotière – Figuig. Aix-en-Provence: Édisud, 1997 (ISBN 2-85744-948-8), p. 2721-2727. https://journals.openedition.org/remmm/16588?lang=fr[xx] Coon, Carleton S. The Riffian. Boston: Little, Brown, and Co. , 1933.

Roman d’aventures se déroulant en Afrique du Nord parmi les tribus du Rif.

‘’L’auteur du Riffian est par la force de sa main droite un anthropologue, et par sa main gauche seulement un romancier. Sa main droite sait tout le temps ce que fait sa main gauche, et cette collaboration nous donne un roman de l’Afrique du Nord française qui a le sel du vrai sang. 

Ali le Chacal, fils aîné d’un grand voleur de fusils, fut enlevé au bordel de sa mère par la famille de son père et, élevé en exil, il regarda la vallée natale de son père avec une loyauté passionnée. Il s’est battu contre les Allemands dans un régiment colonial français et est revenu avec un regard de domestique sur les Français. Il tomba follement amoureux d’une fille du peuple de sa mère, qui suivait le métier de celle-ci, et fut condamné à la servitude pénale pour avoir tué un Arabe qu’il trouva avec elle. S’échappant de la bande des bagnards, il tomba entre les mains d’une tribu quelque peu apparentée à la sienne, mais avec des idées différentes sur les femmes. Lorsqu’il s’échappe à nouveau, il retrouve le clan de son père soumis à la pression des Français qui progressent sans cesse, et devient le chef des guerriers amers, appauvris, mais toujours implacables, qui sont tout ce qui reste des montagnards libres et fiers du Rif.

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Les hommes et les jeunes filles de ce livre ne sont pas des figures laïques de cheiks romantiques ou des beautés de harem dont la virginité est miraculeusement préservée jusqu’au dernier souffle et à la dernière page. Ce sont des gens vivants des fastes sauvages de l’Afrique du Nord, dans les montagnes du Rif et de l’Atlas – ceux-là mêmes qui ont élevé Abd el Krim et chassé les Espagnols par le massacre. Ils sont en partie le vestige d’une ancienne race blanche ; ils méprisent le Noir, haïssent l’Arabe et détestent l’Espagnol et le Français, disant férocement qu’il vaut mieux être un chien des Ait Atta qu’un sultan sous les Français.

Carleton Coon écrit avec une touche sûre des tribus romantiques et pittoresques parmi lesquelles lui et sa femme ont vécu et voyagé (il est déjà l’auteur d’un livre sur les tribus du Rif). Les descriptions de la ville de Fès, avec ses quartiers arabes, juifs et européens, sont vivantes et sans détour. Il n’est pas aussi convaincant lorsqu’il s’agit des Français ; il est tellement absorbé par le point de vue tribal qu’il est plutôt naïf. Pourtant, ce serait une bonne chose si, en tant qu’anthropologue, il mordait quelques romanciers. Nous pourrions obtenir une amélioration générale des histoires sur les « indigènes ».’’

Lattimore, Owen. ‘’The Riffian’’, Atlantic, December 1933https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1933/12/the-riffian/651888/[xxi] Ayache, Germain. “Société Rifaine et Pouvoir Central Marocain (1850-1920).” Revue Historique, vol. 254, no. 2 (516), 1975, pp. 345–70. JSTORhttp://www.jstor.org/stable/40952317[xxii] Coon, Carleton S. (Auteur), Earnest Albert Hooton (Introduction) & Ruth Reeves (Illustrateur).  Flesh of the wild ox a Riffian chronicle of high valleys and long rifles. New York: William Morrow & Company, 1932.

Cf. Saili, Mohamed. ‘’Kinship and power relationships in Coon’s Flesh of the wild ox and the Riffian’’, European Journal of Literary Studies, [S.l.], v. 3, n. 1, dec. 2021, https://www.oapub.org/lit/index.php/EJLS/article/view/311 

Résumé : Cette étude explore deux romans intitulés Flesh of the Wild Ox (1932) et The Riffian (1933) écrits par Carleton S. Coon sur le Rif marocain. Ces romans, à peu près inexplorés, sont écrits par un ethnographe et dérivent d’une ethnographie intitulée Tribes of the Rif (1931). En effet, ils  » revendiquent  » des thèmes habituellement considérés comme ethnographiques par nature : la parenté, le mariage, la polygynie, l’honneur et la honte, la magie, le modèle de subsistance et la guerre intertribale. Cette étude s’inscrit dans la convergence de la littérature et de l’ethnographie, en s’efforçant de mettre en évidence l’ethnographicité des romans. Elle met l’accent sur la parenté, en examinant notamment comment la parenté fonctionne en relation avec le pouvoir. Elle distingue deux types de relations de pouvoir entre les membres de la famille : intra-peau et inter-peau. Les relations de pouvoir intra-kin sont domestiques, impliquant des individus d’un même groupe de parenté, tandis que les relations de pouvoir inter-kin sont transdomestiques, impliquant des individus de différents groupes de descendance ou les groupes eux-mêmes. Dans les deux cas, la parenté fonctionne de manière inclusive, les personnages rifains s’efforçant d’accroître le nombre d’individus et de groupes qui, selon les termes de Schweitzer, peuvent être « transformés en parents » (210). Les Rifains utilisent des stratégies inclusives, y compris la polygynie, l’exogamie et la contrainte de la honte, afin d’étendre les liens de parenté aux non-parents. Ces stratégies de parenté confirment l’élasticité des frontières de la parenté chez les Rifains.[xxiii] Gentil, Louis. Mission de Segonzac. Dans le Bled es Siba, explorations au MarocParis: Hachette BNF, 2013 (1906).[xxiv] Leveau, Rémy. Le fellah marocain défenseur du trône. Paris, Presses de la FNSP, 1985.

Monjib M. La Monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir. De l’indépendance à l’état d’exception. Paris: L’Harmattan, Paris, 1992.[xxv] Badiha Nahhass, Badiha & Ahmed Bendella. ‘’Le Rif : les méandres d’une réconciliation’’, L’Année du Maghreb, 26, 2021, pp. 141-156, https://journals.openedition.org/anneemaghreb/10170[xxvi] Mouna, Khalid. « Les nouvelles figures du pouvoir dans le Rif central du Maroc. » Anthropologie et Sociétés, volume 35, numéro 1-2, 2011, p. 229–246. https://doi.org/10.7202/1006388ar[xxvii] Chouvy, Pierre-Arnaud. « Production de cannabis et de haschich au Maroc : contexte et enjeux », L’Espace Politique, 4, 2008-1, https://doi.org/10.4000/espacepolitique.59[xxviii] Chtatou,Mohamed. ‘’La vie infernale des ‘’femmes-mulets’’ amazighes marocaines’’, Le Monde Amazigh, 31 janvier 2018. https://amadalamazigh.press.ma/fr/la-vie-infernale-des-femmes-mulets-amazighes-marocaines/[xxix] Bookin-Weiner, Jerome B. & Mohamed El Mansour, eds. The Atlantic Connection: 200 Years of Moroccan-American Relations, 1786–1986. Rabat: Edino, 1990.[xxx] Le 8 novembre 1942, les forces militaires des États-Unis et du Royaume-Uni ont lancé une opération amphibie contre l’Afrique du Nord française, en particulier les territoires d’Algérie et du Maroc détenus par les Français. Ce débarquement, dont le nom de code était « Torch« , reflétait les résultats de longues discussions entre les planificateurs britanniques et américains sur l’orientation future de la stratégie alliée, discussions qui ont finalement été apaisées par l’intervention du président américain, Franklin D. Roosevelt. De manière directe et indirecte, l’impact de Torch a été énorme sur le cours de la stratégie anglo-américaine pendant le reste de la guerre. Il s’agit peut-être de la décision stratégique la plus importante que les dirigeants alliés allaient prendre. En effet, cette opération amphibie a inévitablement reporté le débarquement en France à 1944, mais elle a en même temps permis aux États-Unis d’achever la mobilisation de leurs immenses ressources industrielles et humaines pour les titanesques batailles aériennes et terrestres qui ont caractérisé les campagnes alliées de 1944.[xxxi] Moroccan American Center for Policy. ‘’U.S. Applauds Morocco’s ‘Comprehensive Approach’ to Fighting Terrorism, Innovative Efforts to Reduce Extremism’’, Pr Newswire, 6 août 2010, https://www.prnewswire.com/news-releases/us-applauds-moroccos-comprehensive-approach-to-fighting-terrorism-innovative-efforts-to-reduce-extremism-100154289.html[xxxii] Morocco World News. ‘’UN Commends Morocco’s Leadership in the Global Fight against Terrorism’’, 13 avril 2016, https://www.moroccoworldnews.com/2016/04/184196/un-commends-moroccos-leadership-in-the-global-fight-against-terrorism[xxxiii] Bauer, Alain. « Les mutations du terrorisme », Pouvoirs, vol. 158, no. 3, 2016, pp. 97-113. https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-3-page-97.htm

‘’Le terrorisme singulier est devenu pluriel. On y trouve de façon résiduelle des professionnels du terrorisme d’État entre retraite, sénilité et mercenariat, des golems créés par des États et qui s’en sont émancipés pour agir en fonction de leurs propres intérêts, des hybrides nés dans le crime et espérant la rédemption par la terreur, mais toujours en liaison avec des organisations, et aussi des « lumpen-terroristes », souvent illuminés, décidant sous l’impulsion de passer à l’acte. Ici et là, rarement, un « loup solitaire » à la Ted Kaczynski ou à la Anders Breivik. Ce condensé d’opérateurs sur le déclin et de nouveaux venus impose aux services de sécurité des États de sortir de la logique du prêt-à-penser antiterroriste pour se lancer dans le sur-mesure. L’espion à l’ancienne n’a sans doute pas disparu, mais il se trouve un peu relégué par la concurrence inattendue d’ennemis que nous ne connaissons pas vraiment, bien que nous les ayons fabriqués nous-mêmes.’’[xxxiv] Lefébure, P. et Sécail, C.  Le défi Charlie : les médias à l’épreuve des attentats. Paris, France: Lemieux Éditeur, 2016.[xxxv] Le plan Marshall, également connu sous le nom de programme de redressement européen, était un programme américain d’aide à l’Europe occidentale après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale. Il a été promulgué en 1948 et a fourni plus de 15 milliards de dollars pour aider à financer les efforts de reconstruction sur le continent. Conçu par le secrétaire d’État américain George C. Marshall, qui lui a donné son nom, il s’agissait d’un plan quadriennal visant à reconstruire les villes, les industries et les infrastructures lourdement endommagées pendant la guerre et à supprimer les barrières commerciales entre les voisins européens, ainsi qu’à favoriser le commerce entre ces pays et les États-Unis.  Outre le redéveloppement économique, l’un des objectifs déclarés du plan Marshall était d’enrayer la propagation du communisme sur le continent européen. La mise en œuvre du plan Marshall a été citée comme le début de la guerre froide entre les États-Unis et leurs alliés européens et l’Union soviétique, qui avait effectivement pris le contrôle d’une grande partie de l’Europe centrale et orientale et établi ses républiques satellites en tant que nations communistes. Le plan Marshall est également considéré comme un catalyseur essentiel de la formation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), une alliance militaire entre des pays d’Amérique du Nord et d’Europe créée en 1949.

Cf. Soutou, Georges-Henri. « Le Plan Marshall : un recalibrage politico-stratégique », Revue Défense Nationale, vol. 804, no. 9, 2017, pp. 5-9, https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-9-page-5.htm[xxxvi] Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident (en allemand Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, en abrégé PEGIDA). Pegida veut freiner l’immigration en Allemagne ; il accuse les autorités de ne pas appliquer les lois sur l’immigration. Pegida a organisé de nombreuses manifestations, souvent accompagnées de contre-manifestations. En 2015, Lutz Bachmann, le fondateur de Pegida, a démissionné du mouvement après s’être apparemment fait passer pour Adolf Hitler et avoir tenu des propos racistes sur Facebook.[xxxvii] Rovan, Anne. ‘’Banlieues : Valls repart en guerre contre «l’apartheid»’’, Le Figaro, 13 avril 2016.,https://www.lefigaro.fr/politique/2016/04/13/01002-20160413ARTFIG00343-banlieues-valls-repart-en-guerre-contre-l-apartheid.php?a3=763-1563365-889084[xxxviii] Rovardiction du voile à l’université : Hollande désavoue Valls’’, Le Figaro,  14 avril 2016, https://www.lefigaro.fr/politique/2016/04/14/01002-20160414ARTFIG00388-interdiction-du-voile-a-l-universite-hollande-desavoue-valls.php[xxxix] Ibid.[xl]  Kintzler, Catherine. Qu’est-ce que la laïcité ?. Paris: Vrin, coll. « Chemins philosophiques », 2007.

Peillon, Vincent. Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson. Paris: Seuil, 2010.


Dr. Mohamed Chtatou

Professeur universitaire et analyste politique international

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