Analyse – Maroc-Algérie : l’arroseur mesquin royalement arrosé
Dans un communiqué publié le 18 juillet 2021, le ministère algérien des Affaires étrangères a annoncé qu’il rappelait son ambassadeur à Rabat « pour consultation ». Alger précise qu’elle se réserve le droit de prendre « d’autres mesures » si nécessaire.
Toujours, selon le même ministère, l’Algérie attend des « explications claires » des autorités marocaines « sur la situation d’une extrême gravité créée par les propos inadmissibles de son ambassadeur à New York ».
L’Algérie accuse le Maroc de soutenir un « groupe terroriste connu »
Comme le rapporte l’agence de presse marocaine MAP, le représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies à New York, Omar Hilale, a affiché son soutien au « droit à l’autodétermination du peuple kabyle », dans une note officielle diffusée auprès des pays participant à un sommet des pays non-alignés les 13 et 14 juillet.
Pour Alger, cette « note officielle […] consacre formellement l’engagement du Royaume du Maroc dans une campagne hostile à l’Algérie, par un soutien public et explicite à un prétendu « droit à l’autodétermination du peuple kabyle » “qui, selon ladite note, subirait « la plus longue occupation étrangère » ». Dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères ajoute, en référence au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), récemment classé comme terroriste par Alger : « Cette double affirmation vaut reconnaissance de culpabilité à l’égard du soutien multiforme que le Maroc accorde actuellement à un groupe terroriste connu, comme ce fut le cas pour le soutien aux groupes terroristes qui ont ensanglanté l’Algérie durant la « décennie noire ». »
De son côté, le diplomate marocain a dénoncé la référence faite par Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, au conflit du Sahara occidental, lors de son discours. Le chef de la diplomatie algérienne s’était en effet dit « solidaire » du « peuple sahraoui », appelant l’ONU à se concentrer davantage sur « la reprise du conflit armé entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario ».
Omar Hilale s’est ensuite indigné du choix d’évoquer la question du Sahara occidental qui selon lui « relève exclusivement du Conseil de sécurité des Nations unies, [et] n’était ni à l’ordre du jour de la réunion, ni en rapport avec son thème ».
« L’autodétermination n’est pas un principe à la carte. C’est pourquoi le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination », a ensuite affirmé le diplomate marocain dans sa note, suscitant de nombreuses réactions d’indignation en Algérie.
La question du statut du Sahara occidental oppose depuis des décennies le Maroc aux séparatistes sahraouis dont la revendication est soutenue par l’Algérie. Le Polisario, un front politique armé qui lutte pour l’indépendance de cette région, appelle à un référendum d’autodétermination prévu par l’ONU, tandis que le Maroc, qui contrôle plus des deux tiers de ce vaste territoire désertique, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté. Les négociations menées par l’ONU et impliquant le Maroc et le Polisario avec l’Algérie et la Mauritanie comme observateurs sont suspendues depuis mars 2019.
Algérie déstabilisée par les propos du Maroc en Faveur de l’autodétermination de la Kabylie
L’Algérie a vivement dénoncé la déclaration du représentant permanent du Maroc auprès de l’ONU, dans laquelle il a déclaré soutenir le « droit du peuple kabyle à l’autodétermination. » Le représentant permanent du Maroc auprès de l’ONU a déclaré que le peuple kabyle a le droit à l’autodétermination, le décrivant comme » l’un des plus anciens peuples d’Afrique, qui subit la plus longue occupation étrangère. » En réponse, le ministère des affaires étrangères algérien a déclaré qu’il était en droit de recevoir des éclaircissements sur la position finale du Royaume du Maroc concernant cet incident extrêmement dangereux.
L’ambassadeur marocain a ajouté que « le peuple kabyle mérite de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination. » Le ministère des Affaires étrangères algérien a annoncé que la représentation diplomatique marocaine à New York a remis un mémorandum officiel à tous les États membres du Mouvement des non-alignés, dont le contenu est « officiellement consacré à démontrer l’implication du Royaume du Maroc dans une campagne anti-algérienne. » Il dénonce le soutien public et explicite au droit à l’autodétermination supposé du peuple kabyle qui, selon le mémorandum, « a subi le plus long état d’occupation étrangère. »
Auparavant, lors d’une réunion virtuelle du Mouvement des non-alignés en Azerbaïdjan, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, avait évoqué le conflit du Sahara. Le communiqué considère ce mémorandum comme une « reconnaissance du soutien multiforme que le Maroc apporte actuellement à un groupe terroriste bien connu », faisant référence au Mouvement séparatiste pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), que l’Algérie a récemment désigné comme un groupe terroriste, avec le Mouvement Rachad.
L’Algérie a qualifié la déclaration diplomatique marocaine de : « imprudente, irresponsable et manipulatrice ». Elle a souligné qu’elle « fait partie d’une tentative à courte vue, réductrice et futile visant à créer une confusion honteuse entre la question de la décolonisation reconnue comme telle par la communauté internationale et ce qui n’est qu’un simple complot ourdi contre l’unité de la nation algérienne. » La déclaration marocaine contredit directement les « principes et accords qui structurent et inspirent les relations algéro-marocaines, en plus de contredire de manière flagrante le droit international et la loi constitutive de l’Union africaine », selon l’Algérie.
Le communiqué du ministère des Affaires étrangères conclut en disant qu’à la lumière de cette situation découlant d’un acte diplomatique douteux accompli par un ambassadeur, l’Algérie, qui est une république souveraine et indivisible, est en droit de recevoir des éclaircissements sur la position finale du Maroc concernant cet incident extrêmement dangereux. Le Front de libération nationale a publié une déclaration notant que le mémo marocain « exige une action nationale large et urgente pour dissuader toute tentative de porter atteinte à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Algérie ». Il a appelé les partis et les associations à renforcer la cohésion nationale et à soutenir les institutions de l’État dans ces circonstances difficiles.
Pour sa part, le Rassemblement national démocratique, membre du gouvernement, a dénoncé un tel plan visant à porter atteinte à la stabilité de l’Algérie, affirmant qu’il implique officiellement le Maroc dans une campagne hostile à la nation. Le Mouvement islamique d’édification nationale a décrit le mémo marocain comme « une déclaration de guerre contre chaque Algérien », appelant à une réponse rapide et égale de l’État et de ses institutions souveraines. Le mouvement a indiqué que la situation exige le soutien immédiat et l’unité de toutes les institutions et de tous les partis, en mettant de côté toutes les différences politiques.
Kabylie : Le rêve d’indépendance du peuple amazigh
Le 20 avril 2018, les Kabyles, aussi appelés Amazighs d’Algérie, sont descendus dans la rue pour marcher pour l’indépendance de leur région. Cette marche a eu lieu en commémoration du Printemps amazigh et de la répression de 2001 par le régime algérien qui a tué 116 manifestants et donc déclenché le mouvement d’autodétermination. Cette marche pacifique pour l’indépendance a vu défiler des banderoles et des slogans appelant au respect des droits humains et culturels, ainsi qu’à l’égalité économique.
Chaque année, le 20 avril, les Amazighs algériens descendent dans la rue pour réclamer l’indépendance de la Kabylie montagneuse à l’occasion de l’anniversaire du Printemps amazigh. Les événements sanglants de 2001 ont déclenché la naissance d’un mouvement pour l’autodétermination de la région de Kabylie (connu sous son acronyme français MAK) qui continue à gagner du terrain parmi les Kabyles en Algérie et en France où vit une importante diaspora.
Plusieurs villes de la région de Kabylie ont commémoré l’anniversaire du Printemps amazigh en brandissant des banderoles et en scandant des slogans en faveur de l’indépendance en vue d’obtenir l’égalité économique et les droits linguistiques et culturels. Le MAK invoque une série de griefs dont la région de Kabylie a été témoin après l’indépendance de l’Algérie. Les Amazighs reprochent au régime algérien de chercher à éradiquer leurs particularités linguistiques et culturelles en imposant une politique d’arabisation couplée à une marginalisation économique. Le MAK a été fondé par Ferhat Mhenni, qui dirige un gouvernement kabyle provisoire en exil. Le mouvement s’identifie comme un mouvement pacifiste cherchant l’autonomie par rapport à Alger comme prélude à la fondation d’un État kabyle indépendant.
Human Rights Watch, EuroMed Rights, Amnesty International et Front Line Defenders ont condamné dans les termes les plus forts la discrimination exercée par l’Algérie à l’encontre de la minorité amazighe et ont demandé l’abandon de toutes les charges retenues contre Kamal-eddine Fekhar, un éminent militant des droits de l’homme, et ses 40 co-accusés. Le régime algérien a été accusé par des ONG locales et internationales de défense des droits pour son implication et son impartialité dans les affrontements interethniques qui ont frappé l’ancienne ville de Ghardaïa.
Violence contre le peuple amazigh à Ghardaïa
Des sources ont fait état de violents affrontements intercommunautaires entre Amazighs (Mozabites) et Arabes (Malékites) à Ghardaïa depuis 2013 (International Crisis Group 21 novembre 2016, 10 ; Jamestown Foundation 6 février 2014). Selon l’International Crisis Group, [International Crisis Group version anglaise] » depuis 2013, les embrasements locaux entre Mozabites et Arabes ont été rapides à s’enflammer et presque impossibles à éteindre » (International Crisis Group 21 novembre 2016, 10). Concernant les affrontements de 2013, cette même source indique que les Amazighs [version anglaise d’International Crisis Group] » disent qu’ils sont confrontés à une discrimination structurelle dans les politiques d’arabisation ainsi qu’à des attaques contre leurs maisons, leurs symboles religieux et leurs entreprises par des groupes arabes de Maliki » (International Crisis Group 21 novembre 2016, 9).
Selon les Country Reports 2014, 13 personnes sont mortes et plusieurs centaines ont été blessées au cours des mois de violents affrontements qui ont eu lieu à Ghardaïa en 2014 (US 25 juin 2015, 32). Cette même source ajoute que les forces de sécurité n’ont pas su répondre de manière adéquate à ces violences (US 25 juin 2015, 32). De même, le BTI rapporte que » l’État a été critiqué pour sa gestion des émeutes de 2014 » et que » l’apparente partialité des services de sécurité à l’égard des jeunes Ibadites a renforcé les clivages ethniques et un sentiment d’injustice pour eux aux mains de l’État » (BTI 2016, 31). International Crisis Group rapporte que [version anglaise d’International Crisis Group] » les Mozabites […] ont filmé et distribué des vidéos de la police abritant des manifestants arabes, preuve, selon eux, du parti pris des autorités » (International Crisis Group 21 novembre 2016, 11).
Country Reports 2014 rapporte également que, selon les médias indépendants, « l’incapacité ou le manque de volonté des forces de sécurité à empêcher de nouvelles violences […] a exacerbé le conflit » (US June 2015, 33). Selon International Crisis Group, [version anglaise d’International Crisis Group] » la violence a atteint son apogée en 2015 » avec » des dizaines de personnes des deux côtés » » tuées et des centaines de blessés » en juillet 2015 (International Crisis Group 21 novembre 2016, 11).
D’autres sources rapportent que, suite à leur arrestation lors des affrontements à Ghardaïa en juillet 2015, des dizaines de militants pro-autonomie restent détenus, dont l’activiste et défenseur des droits de l’homme Kamel-Eddine Fekhar (HRW 25 août 2015 ; CMA 15 janv. 2017). Dans une déclaration commune, le 29 mai 2017, Human Rights Watch, EuroMed Rights, , Amnesty International et Front Line Defenders, ont demandé aux autorités algériennes d’abandonner toutes les charges contre Fekhar et 40 autres personnes, décrits comme des militants pacifiques en faveur des droits de la minorité amazighe, qui étaient en détention provisoire (Human Rights Watch et al. 29 mai 2017).
Traitement des membres du MAK par les autorités algériennes
Le quotidien algérien El Watan indique ce qui suit dans un article de janvier 2017 :
“L’autre fait à retenir est la répression à laquelle sont confrontés tant les dirigeants que les militants et la fondation du mouvement […]. Le MAK est la principale préoccupation des services de sécurité en Kabylie […]. Les militants, malgré qu’ils militent pacifiquement, sont systématiquement arrêtés et conduits au commissariat. “ (El Watan 12 janvier 2017)
Dans un article de juin 2017, la même source indique que « les militants du MAK sont souvent soumis à des interrogatoires, et ses manifestations sont réprimées par les forces de sécurité » (El Watan 28 juin 2017). Le site Internet du MAK comporte une section intitulée « Intimidation Alerts », où les « intimidations contre les sympathisants, les militants et les dirigeants du MAK » sont enregistrées par individu et par date (Makabylie.org). Il contient une liste de neuf personnes qui ont été arrêtées, détenues, convoquées, interrogées, fouillées ou se sont vu retirer leur passeport par les autorités, le tout au cours de la période allant de mars 2013 à juillet 2016 (Makabylie.org).
Les Rapports par pays sur les pratiques en matière de droits de l’homme pour 2016 du Département d’État des États-Unis rapportent qu’en février 2016, le président du MAK a déclaré au quotidien algérien El Watan qu’une centaine de militants du MAK avaient été brièvement arrêtés à Tizi Ouzou pour empêcher leur participation à une réunion nationale du MAK (US 3 mars 2017, 19). Selon la même source, en juin 2016 à Larbaa Nath Irathen, les autorités ont arrêté « plusieurs » militants du MAK qui s’apprêtaient à tenir une réunion non-autorisée (US 3 mars 2017, 19). Country Reports 2016 indique que, selon des rapports de presse, des affrontements ont eu lieu lors de manifestations visant à demander la libération de ces militants, et que certains manifestants et policiers ont été blessés (US 3 mars 2017, 19).
En 2017, de multiples sources font état des arrestations et des incidents de violence suivants :
- “En janvier 2017, lors d’une marche organisée à Béjaïa par le MAK pour célébrer le nouvel an berbère, des dizaines de manifestants ont été arrêtés puis relâchés, alors que la marche n’était pas interdite. “ (Le Matin d’Algérie 12 janvier 2017 ; TSA Algérie 12 janvier 2017 ; El Watan 14 janvier 2017).
- Le 21 février 2017, lors d’un rassemblement du MAK à M’chedellah pour la Journée internationale de la langue maternelle, des militants du MAK ont été interpellés par les forces de sécurité (El Watan 21 févier 2017 ; Kdirect.info 22 févier 2017).
- Le 20 mai 2017, lors d’une marche à Bouira, des militants du MAK ont été brutalisés et arrêtés par les forces de l’ordre (El Watan 20 mai 2017 ; L’Express 7 juin 2017).
- Le 14 juin 2017, une marche commémorative de militants kabyles à Azazga a été bloquée par les forces de l’ordre (CMA 15 juin 2017 ; El Watan 16 juin 2017). Selon certaines sources, cette marche avait été organisée par le MAK (El Watan 16 juin 2017 ; La Liberté 15 juin 2017). Certains militants ont été arrêtés (El Watan 16 juin 2017 ; Le Mag 16 juin 2017). Selon un résumé traduit par la BBC d’un article de La Liberté, un journal algérien, plusieurs militants du MAK étaient parmi eux (La Liberté dans BBC 17 juin 2017).
Des sources ajoutent que le 26 juillet 2017, les sites internet du MAK et de son agence de presse Siwel ont été bloqués (Siwel 26 juillet 2017 ; Maghreb Émergent 29 juillet 2017). Selon le site web de Siwel, les autorités ont ordonné à l’entreprise publique de télécommunications Algérie Télécom de bloquer neuf sites associés au MAK (Siwel). Aucune information indiquant si les sites sont toujours inaccessibles depuis l’Algérie n’a pu être trouvée parmi les sources consultées.
Des sources rapportent, aussi, que les autorités algériennes ont interdit à plusieurs reprises des réunions dans un café littéraire à Aokas, à Béjaïa, en raison de liens présumés avec le MAK (Siwel 21 juillet 2017 ; Algérie Patriotique 24 juillet 2017 ; Algérie Focus 27 juillet 2017). Selon Algérie Focus, le gouvernement a autorisé une réunion prévue le 29 juillet 2017, après que » [un] collectif de citoyens » a remplacé un collectif culturel en tant qu’organisateur, » après que des affirmations trompeuses ont été faites par les autorités sur l’ »appartenance » au MAK des organisateurs de ce café littéraire » (Algérie Focus 27 juillet 2017).
Conclusion : “Autodétermination du Sahara“ et son effet boomerang sur la Kabylie
Le séparatisme au Sahara a été créé par l’Algérie, la véritable partie au conflit qui a bloqué toute avancée de l’ONU vers une solution politique mutuellement acceptable. L’Algérie devrait se regarder dans le miroir et arrêter de se vanter du principe d’autodétermination pour servir son agenda hégémonique connu de tout le monde. Si l’Algérie était vraiment attachée à ce principe, elle ferait mieux de le défendre chez elle et d’accorder au peuple de la région de Kabylie le droit de décider lui-même de son sort.
“Le courageux peuple kabyle a enduré la plus longue occupation de l’histoire de l’Afrique et mérite d’être indépendant, “ a déclaré M. Hilale. Ses remarques marquent une inflexion dans la politique étrangère de Rabat après l’échec de toutes les tentatives de rapprochement avec les dirigeants algériens belliqueux depuis 1975. La région rétive de Kabylie est maintenant l’épicentre d’un mouvement pro-démocratique connu sous le nom de Hirak qui continue à ébranler les fondements de la junte militaire au pouvoir en Algérie.
Cette attitude politique courageuse du Maroc en faveur du peuple amazigh de Kabylie et de toute l’Algérie arrose royalement l’arroseur militaire algérien, qui est depuis le 22 février 2019 fortement contesté par le peuple algérien frère par le biais du Hirak.
Professeur universitaire et analyste politique international