La référence socioculturelle dans la littérature amazighe


Cette réflexion modeste a pour dessein de souligner le poids de la référence socioculturelle dans la littérature amazighe. Les exemples qui seront analysés sont puisés de deux genres ou formes d’expression littéraire amazighe : le proverbe et la poésie. L’intérêt de la réflexion sera de mettre en évidence les implications de la référence au niveau du sens et partant dans le processus d’échange linguistique. Des thématiques qui peuvent intéresser les étudiants de licence et de master amazighe, d’autant plus que la matière (les corpus) existe et ne demande qu’à être exploitée et sauvegardée.
Parce que de tradition orale, la littérature amazighe, pour dater les événements, les faits historiques et les situations d’existence, recourt à la mémoire. Cette dernière s’investit dans des modes d’expressions qui lui sont adaptés, en l’occurrence la poésie (avec tous ses sous genres) et le proverbe. Et si la connivence préexistante entre les locuteurs amazighophones appartenant à une aire géographique circonscrite, permet la transmission d’un message dépourvu ambiguïté, ce n’est pas le cas, dans des situations d’échange où le récepteur auditeur ne maîtrise pas le code culturel.
Ainsi, pour comprendre la signification du vers poétique de l’aède des Moha Ou Ayyach (Midelt), une connaissance de sa référence est obligatoire. Autrement, le sens nous échappera. Cet Anechad nous :
A YUCCEN GHAS BBEY ADAR UMA LAHDID IMCENK
TUFAC TWADA XF CRAD ULA KWEN YAZU LMUS
(Chacal, coupe-toi la patte, le piège t’enserre
Mieux vaut marcher sur trois que d’être scalpé par un couteau).
Pour comprendre le sens de ce vers, il faut rappeler qu’il fonctionne comme une morale de fable. En effet, le vers réfère à la fable amazighe du chacal et du hérisson. Ce dernier, ayant flairé sur le chemin la présence d’un piège, s’est retourné vers son compagnon de route le chacal et lui dit :

oncle chacal, gifles-moi !

et pour quelle raison, demanda le chacal ?

parce que moins âgé que vous, je vous ai manqué de respect en marchant devant vous. Et je vous prie de m’en excuser et me laisser vous suivre.
Quelques pas plus loin ; le piège se referma sur la patte du chacal.
Ce rappel est suffisant pour comprendre le vers de l’aède, mais le récepteur qui ne connaît pas la fable aura des difficultés à en saisir la signification profonde.
Un proverbe que nous trouvons toujours en usage principalement chez les Ait Atta du Sud-est nous dit :
UR DAK TTELLEGH
(Elle ne vous lèche pas)
Cet adage porte sur l’incompréhension qui s’installe entre une personne terrorisée par la peur et une autre qui en minimise les faits. Le plaignant énonce le proverbe pour mettre en relief sa souffrance qui n’e semble pas être partagée. Et pour comprendre le sens de ce proverbe, il faut rappeler l’histoire qui le sous tend.
Il s’agit de deux personnes pourchassées par une lionne. Ils se réfugient dans étables et se couvrent de paille. L’un des fugitifs sent que son pied est léché et devient blême de peur. Il s’adresse à son copain et lui dit :

la lionne m’a déniché !

ne dit pas de bêtise, nous avons réussi à lui échapper, lui retorque-t-il !

Elle ne vous lèche pas, répond le fugitif !
En fait, il ne s’agissait pas de la lionne, mais d’une vache qui a commencé à lécher le pied du plaignant.
Ces deux exemples confirment le poids de la référence socioculturelle dans la compréhension du sens. Le proverbe et le vers sont « elliptiques ». Ils renvoient à des faits et situations que seuls les locuteurs natifs peuvent, aisément comprendre. Le code culturel qui les gouverne instaure une complicité entre les locuteurs. Et touts personne ne le maîtrisant pas ne s’en trouve exclue. C’est le principe d’économie et les capacités de mémorisation qui sont à la base de ces modes d’expression. La mémoire humaine est limitée. L’homme a tendance à dire plus avec moins de mots. Et ce n’est pas un hasard si la poésie, parce que rythmée et facile à mémoriser, constitue le moyen privilégié par les communautés de traditions orales.


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