Les Maîtres Musiciens Jajouka du Rif Occidental : Tradition Millénaire Amazighe sans Pareil


 “La musique des Maîtres Musiciens est l’un des grands sommets de joie, un chœur tonitruant et transportant des bourdonnements ondulants et une fanfare stridente et extatique… (The Master Musicians music is one of the great legal highs, a thundering, transporting chorale of undulating drones and shrill, ecstatic fanfare…”)

Rolling Stone

 “Tempête de son (a firestorm of sound)”

New York Times

Les Maîtres Musiciens de Jajouka sont un groupe exclusivement masculin de Jajouka, un petit village de la tribu amazighe des Ahl Srif situé au pied des montagnes du Rif au nord du Maroc, à une centaine de kilomètres de la principale ville portuaire marocaine de Tanger.  Ils font partie de la grande confédération rifaine antique connu sous le nom des Ghomaras arabisée du Xème au XVème. D’après Westermarck, cet ethnologue finlandais, ils détiennent leur don musical d’un saint soufi de la tribu Temsaman du Rif depuis le VIIème siècle.

 Reconnus pour leur musique par la famille royale marocaine depuis des siècles, par des maîtres de jazz, des dieux du rock ‘n’roll, des écrivains respectés et des artistes de haut niveau du monde entier, mais en réalité ce n’est pas leur l’influence sur la culture occidentale qui les distingue, c’est leurs rythmes et leurs mélodies très complexes qu’ils commencent à apprendre dès l’enfance de leurs parents qui leur permet de devenir de vrais Ma’almins ou Maîtres Musiciens. Les compétences, les rites et les secrets des Maitres Musiciens de Jajouka ont été transmis de génération en génération et ont traversé des siècles d’histoire du Maroc et de la Méditerranée ainsi que maintes croyances religieuses.

Histoire et légende

Selon la tradition, la musique de Jajouka était un cadeau du maitre soufi Sidi Ahmed cheikh, l’un des premiers prédicateurs islamiques à avoir visité le village au 16ème siècle. Il est un saint vénéré par les Ahl Srif et dont le mausolée fournit toujours intensément aux villageois une baraka (bénédiction divine) sans limites et un pouvoir spirituel de guérisseurs hors norme. Cette musique syncrétique pourrait aussi être une survivance du culte de Pan et d’Astarté et des rites de l’ancienne Lupercalia romaine.

Chaque année, le Bou-Jeloud, homme semblable à un bouc, émerge de sa grotte au-dessus du village, attiré par le rythme des tambours et le son des ghaitas (cornes à double anche marocaines) pour apporter de la fertilité au village et ses habitants.

Sous la direction de Bachir Attar, les Maîtres Musiciens de Jajouka continuent à faire entrer cette tradition ancestrale au XXIe siècle et à l’échelle internationale. Ils ont joué leur musique partout dans le monde entier qui est devenue, sans aucun doute, l’acte musical le plus enregistré dans le monde islamique. Ils sont apparus dans de nombreux films et ont accueilli dans leur village une multitude de personnalités – d’Ornette Coleman et William S. Burroughs à Mick Jagger et Talvin Singh. Mais, malheureusement, en dépit de cette carrière internationale hors commun, ils sont presque inconnus au Maroc des médias, des professionnels de la musique et des chercheurs d’ethnomusicologie ou chercheurs académiques, tout court.

Les Maîtres Musiciens de Jajouka jouent une variété de pièces musicales religieuses, folkloriques, et anthropologiques, anciennes et nouvellement écrites sur des instruments traditionnels fabriqués localement. La plupart des compositions de leur vaste répertoire sont uniques à la famille Attar et à leurs traditions à Jajouka.

Leurs musiques les plus connues sont :

  • Le rite de Boujeloudia, « la danse du père des peaux (Bou-jeloud) », est joué dans le village pendant la semaine de fête de l’Aïd el-Kébir, on retrouve ce rite aussi dans les régions amazighes sous l’appelation bou-irmawen/bou-ilmawen. Chaque année dans le village, un homme est cousu dans des peaux de chèvre pour danser sous le nom de Bou-jeloud, qui apparaît aux Occidentaux comme l’ancien dieu de fertilité : Pan. Le dieu-bouc qui joue de la flûte pour attirer les vierges pour acte sexuel qui apporte la fertilité au printemps. Les musiciens jouent de la musique ancienne pour appaiser Bou-jeloud et le ramener dans sa grotte après ses actes de fertilisationannonciateurs d’un bon cycle agricole et une bonne récolte. Les femmes touchées par les branches qu’il tient à la main auront, par la suite, beaucoup d’enfants en bonne santé.
  • La composition Khamsa ou Khamsine, leur numéro musical le plus ancien et le plus complexe. Il a été joué pendant des siècles par les Maîtres jajouka pour les sultans du Maroc, à la fois dans leurs palais et sur les champs de bataille pour encenser les troupes lors de batailles contre les nsaras (Chrétiens) ;
  • Hadra, musique de transe soufie qui fait appel à l’énergie spirituelle du saint enseveli à Jajouka, Sidi Ahmed Cheikh, qui aurait béni la famille Attar et leur musique avec de la baraka et le pouvoir de guérir les personnes atteintes de maladies mentales et physiques ; et
  • La taqtouqa jabaliya, musique de célébration de fêtes familiales.

La musique de Jajouka est considérée comme faisant partie de la tradition soufie de l’islam. Avant la colonisation du Maroc par la France et l’Espagne, les Maîtres Musiciens de ce village étaient les musiciens royaux des sultans. Au cours des siècles passés, ils avaient été excusés par les dirigeants du pays pour les travaux manuels, l’élevage de chèvres et l’agriculture, afin de se concentrer sur leur musique, car les puissants rythmes de transe et les bourdonnants bois étaient traditionnellement considérés comme ayant le pouvoir de guérir par le son les malades.

Qui sont-ils ?

La plupart des habitants de Jajouka sont membres de la tribu Ahl Srif. Le clan Attar de Jajouka est la famille fondatrice du village et le gardien de l’une des traditions musicales les plus anciennes et uniques. La musique et les secrets de Jajouka ont été transmis de génération en génération, de père en fils, selon certains chercheurs étrangers, depuis 4000 ans. Les musiciens de Jajouka apprennent dès la petite enfance une musique complexe, unique à ce patelin, le village est une sorte d’école pour musiciens en pleine campagne. Après de nombreuses années de formation, les musiciens deviennent enfin des Ma’almins ou des Maîtres. Ils possèdent la baraka, qui leur donne le pouvoir de guérir et l’endurance nécessaire pour jouer la musique la plus intense et la plus complexe qui soit au monde.

En effet, ces musiciens sont connus mondialement pour leur prouesse respiratoire appelée : respiration circulaire (circular breathing) qui leur permet de jouer leurs instruments à vent (ghita) pendant des heures sans s’arrêter pour reprendre le souffle. Pour Bachir Attar, le chef du groupe, cette spécificité musicale, unique dans son genre au monde, est un don divin sans pareil.

CD de musique de fusion des Maîtres Musiciens de Jajouka

L’agriculture de subsistance est l’activité principale de la région des Jajouka. Les principales cultures sont les olives, le travail du sol pour produire des légumes tels que les carottes, les navets, les pommes de terre, et l’élevage de moutons, qui sont pâturés sur des terres communes, tandis que les volailles sont élevées par les femmes. Le bétail, les poulets et l’huile d’olive de haute qualité constituent un élément important de l’économie de la tribu. Il existe également une production de miel à petite échelle par certains villageois entreprenants.

En été, les bergers amènent les troupeaux sur les pentes les plus élevées. On peut les entendre s’entraîner sur des flûtes de bambou à des kilomètres. C’est une forme de pratique, à l’air libre, pour pouvoir accéder plus tard au rang, tant convoité, de Maître Musicien : Ma’alem.

Au cours des dernières années, l’électricité et la téléphonie mobile sont arrivées dans le village et il existe une route passable qui a permis de réduire les coûts de transport des biens essentiels vers cette petite localité sachant que par le passé le coût du transport avait rendu de nombreux articles inaccessibles ou d’un coût prohibitif pour les villageois.

Le territoire des Ahl Srif était également une région où le kif (cannabis) était cultivé, mais sa culture a récemment été interdite par le gouvernement, quoique sa consommation continue inlassablement, d’ailleurs les Maitres Musiciens en consomment pas mal avant leurs concerts locaux et durant les répétitions.

Jajouka et les Beatniks

Les Maîtres Musiciens de Jajouka, sont connus pour leur cérémonie de transe antérieure à l’islam qui évoque les anciens rites de Pan, dieu de la fertilité à pattes de chèvre de la Grèce antique.

La musique des Maîtres Musiciens a été décrite comme « une tempête de son » par le New York Times. Embrassé dans les années 1950 par le gurus Beatniks tels l’artiste Brion Gysin et l’écrivain Paul Bowles, le village de Jajouka est devenu, par la suite, la Mecque incontestée des célébrités telles que les Rolling Stones, Ornette Coleman, Timothy Leary, etc. et aussi le célèbre musicien indien Ravi Shankar, etc.

Brion Gysin, William S. Burroughs, Steven Davis et d’autres écrivains ont relié des éléments des traditions musicales de Jajouka aux cérémonies grecques et phéniciennes. Burroughs a surnommé les Maîtres Musiciens de Jajouka « un groupe de rock vieux de 4000 ans ». Cependant, il était, probablement, en train de relier les rites uniques de Boujeloudia, interprétés à Jajouka lors de la fête musulmane de l’Aïd el-Kebir, à Lupercalia, l’ancienne célébration romaine, plutôt que de dater précisément les origines de la musique elle-même.

Bachir Attar, dirigeant actuel des Maîtres Musiciens de Jajouka, dont le père, el-Hadj Abdesalam el-Attar, a dirigé le groupe jusqu’à sa mort en 1981, explique que les compositions les plus sacrées de la famille Attar remontent à plus de 1000 ans.

Les Maîtres Musiciens de Jajouka ont une longue histoire enregistrée par des artistes occidentaux subjugués par leurs musiques et rites préislamiques. Arnold Stahl a produit un disque, « Tribu Ahl Srif : Maîtres Musiciens de Jajouka », enregistré sur place dans le cadre d’un film documentaire écrit et produit par lui-même. Ce double album a été publié au début des années 1970 par la Musical Heritage Society. Au cours des années 1970, le label français Disque Arion a sorti un album de la même musique, produit par Stahl et intitulé : « Le Rif : La tribu Ahl Srif ». Les deux albums sont crédités aux Maîtres Musiciens de Jajouka.

Le nom de Maîtres Musiciens de Jajouka a été utilisé pour la première fois par Brion Gysin et William S. Burroughs dans les années 1950, et par Timothy Leary et Rosemary Woodruff Leary dans les années 1960 et 1970, ainsi que par le LP de Brian Jones publié en 1971. Dans les années 1980, les musiciens étaient parfois appelés Maîtres Musiciens de Jahjouka, Maîtres Musiciens de Jajouka ou Maîtres Musiciens de Joujouka dans des articles et sur des documents officiels.

Les Maîtres Musiciens et les Hippies

Deux des grandes influences de la Beat (Beatnik) Generation, Brion Gysin, peintre et inventeur, et Paul Bowles, écrivain et compositeur, ont entendu pour la première fois la musique soufie de transe des Jajouka dans un moussem(festival religieux célébrant un saint local à la fin de la saison et cycle agricole) près de Sidi Kacem, au Maroc, en juillet 1950. Lorsqu’il a entendu les Masters pour la première fois, Gysin a déclaré qu’il voulait écouter leur musique tous les jours de sa vie. À Tanger, il rencontre Mohamed Hamri, un peintre en herbe de Jajouka. Quand Hamri a emmené Gysin à Jajouka, Gysin a été surpris de constater que la musique dont il était tombé amoureux était interprétée par les oncles de son ami marocain.

Avant l’indépendance du Maroc, Tanger, cette ville du nord, était alors une zone internationale, où tout pouvait et devait se passer. Dans le climat exotique et aventureux de ce centre urbain très proche de l’Europe, le peintre et écrivain Brion Gysin et le peintre marocain Mohamed Hamri ont ouvert en 1954 le restaurant, désormais légendaire et populaire, 1001 Nights, situé dans une aile du palais Menehbi sur le Marchan. Gysin a engagé les Maîtres Musiciens de Jajouka pour jouer, danser et entretenir une clientèle largement internationale versé dans un orientalisme dépaysant et exquis. C’est là que l’écrivain William Burroughs, figure légendaire de la Beat Generation, a entendu la musique pour la première fois, c’était l’époque de l’interzone qu’il a décrite dans son livre « The Naked Lunch ».

Bachir Attar leader du groupe Jajouka et icône internationale de la World Music

À la fin des années 1950, Gysin et Burroughs habitaient au Beat Hotel, au 9 rue Git le Couer, à Paris. Là, Gysin a inventé la méthode d’écriture et la Dreamachine avec Ian Somerville et a travaillé avec Burroughs, Somerville et le cinéaste Antony Balch dans des expériences cinématographiques de Cut Up sur une bande-son des Maîtres Musiciens de Gysin.

Quand les Rolling Stones étaient à Tanger en 1967, Hamri et Gysin les rencontrèrent et Hamri noua un lien avec Brian Jones. En guise de cadeau, Brion Gysin amena Brian Jones, fondateur des Rolling Stones, à Jajouka, et il est tombé, sur le champs, follement amoureux de la musique de Masters, bien qu’il ait déclaré : « Je ne sais pas si je possède l’endurance nécessaire pour supporter la tension incroyable et constante du festival ».

Il est revenu en 1968 pour enregistrer la musique envoutante et psychédélique des Maîtres Musiciens. Avant sa mort, en 1969, Brian avait préparé la couverture, et édité et produit l’album d’enregistrements qu’il avait réalisés des Ma’almins. Le LP « Brian Jones presents The Pipes of Pan at Jajouka » (« Brian Jones présente Les hautbois de Pan à Joujouka ») est sorti en 1971 et réédité en 1994, rendant hommage à la mémoire de Brian, mort noyé en 1969, et permettant à un public international plus large de découvrir pour la première fois la musique remarquable des Maîtres Musiciens. Cet album original était très influent et a conduit des dizaines de musiciens connus mondialement à visiter le village au cours des années suivantes. Ainsi, les Maîtres Musiciens de Jajouka sont devenus, conséquemment, une icône de la contre-culture et leur réputation a été cimentée grâce aux Rolling Stones et cette réputation perdure encore aujourd’hui.

En janvier 1973, le musicien de jazz Ornette Coleman enregistra des morceaux de musique avec les Masters. Une petite partie de ce qui a été enregistré est sorti sur l’album de 1975 intitulé « Dancing In My Head ». Toujours en 1975, le livre de Hamri, « Tales of Joujouka », a été publié. Grâce à Rikki Stein, les Masters ont joué pour la première fois en 1980 à Worthy Farm, en Grande Bretagne, dans le cadre d’une tournée de trois mois qui comprenait une semaine de résidence au Commonwealth Institute de Londres.

Musique confrérique païenne et sacrée

Les Maîtres Musiciens de Jajouka adhèrent à la musique de transe soufie traditionnelle de leur saint patron, transmise de génération en génération depuis l’aube de l’histoire. Après avoir visité le village en septembre 1969, Timothy Leary écrivit un essai sur son temps avec Mohamed Hamri et les Maîtres Musiciens dans son livre de 1971, « Jail Notes », intitulé « Le groupe de rock’n’roll de quatre mille ans ». Leary se fonda sur la croyance de Burroughs que le rituel Boujeloud, joué à Jajouka, doit son origine à la divinité grecque antique Pan.

Les musiciens de la confrérie Jajouka joue une forme de musique de roseaux, et de percussions qui repose sur l’improvisation et des rythmes complexes, dont la plupart sont uniques à ce groupe.

Leur flûte s’appelle la lira et est considérée comme l’instrument le plus ancien de Jajouka. L’instrument à double anche s’appelle la ghaita ; il ressemble à un hautbois, mais possède un son plus fort et plus pénétrant. Le tambour s’appelle le tbel et est fait de peau de chèvre et se joue avec deux bâtons en bois. Il existe également un autre tambour en peau de chèvre appelé tarija, qui permet une virtuosité plus rapide.

La musique de la région est étroitement liée au folklore. Selon la tradition d’Attar, il y a des centaines d’années, un homme-bouc appelé Bou-Jeloud est apparu à un ancêtre des Attar dans une grotte et a dansé au son de sa musique de hautbois. Les musiciens du village rejouent cette musique et le rite y afférent chaque année par respect à cette tradition ancestrale et par souci de renouvellement et de continuité.

Après l’Aïd el-Kébir, à la pleine lune, les musiciens organisent un festival au cours duquel cette musique fabuleuse est interprétée. Elle se caractérise par un certain rythme et une certaine mélodie et peut être interprétée par de nombreux ensembles à l’aide d’instruments différents tels que la ghaita et le tbel accompagnés par la lira et même le gambri et le bendir. Tout le monde peut danser frénétiquement, mais il faut chercher l’homme avec un chapeau et une peau de chèvre : Bou-jeloud qui pourrait sortir de nulle part et entrer en transe tout en frappant les spectateurs avec des feuillages fraichement cueillis pour bénir la gente féminine et la terre et les rendre fertiles.

Cette musique s’inscrit, en essence, dans un rituel de fertilité, une variante qui existe depuis des millénaires dans le pourtour méditerranéen mais qui est peut-être mieux conservée uniquement au village des Jajouka. Des traditions similaires existent dans toutes les régions méditerranéennes où des personnages masqués et effrénés, à certaines périodes de l’année, répandaient la panique et la peur parmi les villages. Certaines théories (notamment celle de l’anthropologue du 19ème siècle, Edward Westermarck) soulignent les similitudes entre ces traditions et le festival Lupercalia romain.

À Jajouka, les rites sont centrés sur un personnage nommé Bou-jeloud et sur la femme dont il est amoureux, Aisha Qandisha. Bou-jeloud essaie en colère de frapper les musiciens et les spectateurs, mais il est contrôlé par la puissante force de la musique, la Boujeloudia. Bou-jeloud tient des branches dans ses mains et, dans sa frénésie, il pourrait frapper n’importe qui. Les femmes frappées par lui seront sûrement fertiles à l’avenir ainsi que les champs d’agriculture. Aisha Qandisha danse et le séduit tout au long du rite sans tomber sous son emprise.

Bou-jeloud ou bou-irmawen/ilmawen en pleine transe

Les instruments de Jajouka 

Ghaita :

Double corne de roseaux avec une série de trous en bois d’abricot fabriqué à Ouezanne, une ville du nord du Maroc. Parfois appelé le hautbois arabe, des variations de la ghaita peuvent être trouvées dans d’autres parties du monde telles que la Perse (Ney), l’Inde (Shehnai et Nagaswaram), le Tibet (Gyaling), la Thaïlande (Pi) et la Chine (Suona).

Tbel :

Un tambour à double peau fabriqué dans une variété de tailles et fait en peau de chèvre et joué avec des bâtons et des mains.

Darbouga :

Un plus petit tambour en céramique arabe trouvé partout au Moyen-Orient. Il produit un son très puissant pour sa taille.

Bendir :

Un grand tambour peu profond avec caisse claire, très courant en Afrique du Nord.

Gambri :

Les variations marocaines sont également connues sous les noms de loutar, hejhouj ou sentir. Loutar est spécifiquement en forme de poire alors que celui de la confrérie musicale des Gnawa, il a tendance à être de forme rectangulaire et même une forme ovale est disponible. Luotar est un luth rustique avec dos en peau de chèvre. Il comporte quatre cordes fabriquées traditionnellement à partir d’intestins de chèvre, mais qui sont maintenant faites de cordes de nylon. L’instrument est généralement joué avec un long médiator incurvé, ce qui ajoute à l’attaque et la texture du son.

Lira :

Une flûte commune en bambou semblable fabriquée, sur place, à Jajouka.

Kamanja :

Un violon joué debout sur le genou avec le gambri, la batterie et le chant.

Les genres musicaux des Jajoukas

Khamsa ou Khamsine (55) :

Khamsa ou Khamsine se traduit littéralement par le chiffre cinquante-cinq en Arabe. Il s’agit du nombre de temps d’un cycle rythmique très complexe interprété par les Maîtres Musiciens de Jajouka. Khamsa ou Khamsine a la forme d’une suite avec plusieurs sections réservées pour des transits ou des événements importants. Cette tradition exclusive d’interprétation de cette pièce n’appartient qu’aux Maîtres Musiciens de Jajouka et figure peut-être parmi les plus anciennes. En plus d’être originale et plus ancienne, elle témoigne également de la maîtrise de ces instruments par les musiciens, la ghaita et le tbel, ainsi que de leur utilisation intensive en parallèle. En raison de sa complexité rythmique et harmonique, seul le vrai Ma’alam peut jouer cette musique intense et vivace.

Dans les temps anciens, khamsa ou Khamsine était interprétée à la fois par de petits ensembles que par un orchestre pouvant compter jusqu’à 30 musiciens de ghaita et 20 musiciens de tbel. El-Hadj Abdesalam Attar, le père de Bachir Attar, dirigerait le groupe en répétant le rythme très complexe en tapant du pied sur le sol.

Dans le passé, quand un visiteur important vint au palais du sultan, cette suite a été jouée en son honneur en tant que symbole de bienvenu et expression d’hospitalité royale. Certaines sections pourraient également être jouées lorsque les musiciens accompagneraient le sultan au combat en servant d’hymne royal. Cette musique servait aussi pour réveiller le sultan le matin et le faire endormir la nuit.

Pendant des siècles, les Maîtres Musiciens de Jajouka ont été employés par les sultans marocains en tant que musiciens royaux. Ils sont porteurs de dahirs chérifiens (autorisation royale) détaillant leurs droits en tant que citoyens privilégiés, ce qui leur permettait de rester les musiciens royaux – même pendant la colonisation française et espagnole. Pendant tout ce temps, les musiciens ont été autorisés à prélever une dîme annuelle des récoltes des clans avoisinants de leur village, un privilège qu’ils ont conservé jusqu’au début du XXème siècle.

Hadra :

Le mot Hadra signifie « présence » en arabe. Dans le contexte de l’islam, c’est le terme donné aux rituels de surérogatoires collectifs pratiqués par des ordres mystiques. Dans de nombreux cas, il s’accompagne de musique induisant la transe. À Jajouka, il s’agit de la musique la plus sacrée et peut-être la plus importante tradition préservée par les Maîtres Musiciens de Jajouka. Le Saint, Sidi Ahmed Sheikh, leur chef spirituel ancestral, la leur a transmis et a béni cette musique avec une puissante propriété curative ou baraka prophylactique. C’est l’essence de Jajouka : la paix de l’âme et l’extase des sens. Beaucoup de personnes souffrant de maladies physiques et mentales ont été guéries par la musique de Hadra pendant des centaines d’années.

Parfois, un homme mentalement instable sera amené au village, il est attaché à un arbre près du mausolée de Sidi Ahmed Sheikh. Les musiciens lui jouent la pièce de Hadra pendant parfois plusieurs jours jusqu’à ce qu’il commence à se réveiller et à écouter réellement un raisonnement supérieur transmis par cette musique divine. Lorsque les musiciens remarquent sa réaction à la guérison sonore envisagée, le rythme s’accélère à un point tel que l’individu instable commence à danser jusqu’à l’effondrement total. Par la suite, les instruments (ghaita et tbel) sont passés sur son corps par les Maitres Musiciens et, à son réveil, il est se sent débarrassé du fardeau de la maladie.

Cette musique a une section d’introduction lente, avec une longue boucle rythmique complexe et apaisante qui soutient une mélodie tout aussi longue et élaborée. Cette section d’introduction lente est suivie d’une version rythmique plus rapide. Plus tard, la section danse suit et peut être conclue par une autre section lente de musique.

Pour la Hadra Les Maîtres Musiciens de Jajouka jouent divers instruments traditionnels, dont la ghaita, la lira et le gambri ainsi que des tambours. Cette musique est composée de plusieurs parties assez simples, qui sont ensuite étroitement assemblées d’une manière étrangère à la plupart des oreilles occidentales, de sorte que la résolution de phrases et de sections individuelles peut être difficile à discerner. La musique peut être rallongée indéfiniment et de nombreuses représentations durent des heures, certains musiciens prenant des pauses et d’autres prenant la relève. La musique de Jajouka a toujours été très respectée et recherchée par les habitants de la région.

Même lorsque les musiciens de Jajouka sont en tournée, il reste toujours un petit groupe dans le village qui jouent la musique de la confrérie chaque vendredi matin dans le sanctuaire de Sidi Ahmed Cheikh, par respect de la tradition et comme forme d’éloge du saint patron et de sa baraka.

On raconte que ce saint homme a labouré son champ accompagné d’un groupe de lions amazighs, exploit qui a inspiré l’insigne de Jajouka, un lion créé par le tissage calligraphique.

Disque de Brian Jones leader des Rolling Stones de la musique des Maîtres Musiciens de Jajouka, 1971

Boujeloudia:

Lors de la fête religieuse de l’Aid El-Kebir, les villageois de Jajouka savent que Bou-jeloud sera sur eux. Ainsi, un feu de joie est allumé au centre de la place du village, la seule lumière viendra de ses flammes. Une fois que les ghaitas ont commencé à jouer, il n’y a même pas une fraction de seconde du silence pour le reste de la nuit, il n’y a pas de chant, seulement le son strident d’une vingtaine de hautbois soutenus par l’inexorable battement du tambour. On ne voit pas Bou-jeloud arriver, il se trouve soudain entre le feu et le cercle des spectateurs, une silhouette ténébreuse tapant ses pieds nus sur la terre, le danseur tenant dans sa main une branche, frappant de temps en temps une spectatrice. Les cris provoqués par son geste sont recouverts par la musique. Ce qui a commencé comme un concert est devenu un spectacle visible, un rituel. Cette métamorphose ayant eu lieu, l’élément du temps n’est plus présent. Finalement, lorsque la tension de l’observateur diminue, Bou-jeloud disparaît de la même manière qu’il est entré dans le ring. Le spectacle est redevenu un concert, les interprètes sont entrés dans les notes joyeuses c’est maintenant qu’ils produisent les moments les plus passionnés et les plus excitants de la nuit.

Khamsa ou Khamsin (Cinquante-Cinq) :

 Les maîtres musiciens de Jajouka ont en leur possession des décrets scellés qui leur ont donné le titre de jouer pour le sultan régnant du Maroc. Cette musique est complètement différente de la passionnée Boujeloudia et est jouée sur de petites flûtes en bambou, gambri, violon et tambours. Ils montent à la tête de l’armée et annonce en musique l’arrivée du sultan dans une nouvelle ville.

La musique populaire des Jbalas, Taqtouka jabaliyya :

La musique folklorique quotidienne du Rif, jouée sur gambri, lira, violon et batterie. C’est un style plus doux et plus silencieux de beauté éthérée.

Une légende entoure les Maîtres Musiciens de Jajouka : s’ils cessaient de jouer de la musique, le monde s’achèverait.

Islam conciliateur

Lorsque l’Islam est arrivé en Afrique du Nord à la fin du 7ème siècle il s’est retrouvé face à face d’une forte tradition païenne chez les Amazighs qui ont rejeté l’aspect orthodoxe de cette nouvelle religion. Après plusieurs revers militaires des conquérants musulmans, ces derniers ont lâché du lest et ont adopté un ton conciliateur qui a opté pour l’islamisation soft des anciennes traditions. Ainsi, les rites amazighs d’abord acceptés puis incorporés dans la tradition soufie, plus tard, ce qui a donné naissance au maraboutisme.

La tradition Jajouka, millénaire sans aucun doute sur le parcours du temps, et païenne dans le sens des croyances préislamique, a été islamisée par le saint soufi Sidi Ahmed Cheikh dans sa philosophie, et liée au calendrier islamique puisque leur rite maître, la boujeloudia, se passe juste après la fête musulmane du sacrifice : l’Aid el-Kebir. L’Islam a introduit dans le rite en question le personnage très islamique de lHaj à côté des personnages païens de bou-jeloud (homme bouc) et l’ensorceleuse Aicha Kandicha (esprit malsain).

Si la tradition des Jajouka est toujours vivace et populaire, aujourd’hui, c’est parce qu’elle n’a pas été stigmatisée par l’Islam des conquérants dans le temps des conquêtes mais, néanmoins, elle est rejetée catégoriquement, de nos jours, par les Islamistes qui voit en elle une forme d’idolâtrie flagrante. Heureusement que ces gens, toutefois, ne font pas légions dans le monde rural du Maroc.

Pour les Maîtres Musiciens de Jajouka, leur tradition musicale est un hymne de fraternité et de communion pour toute l’humanité, en bref, une forme de coexistence et de dialogue des religions et des cultures, surtout dans un monde fragmenté par des idéologies réductrices et hégémoniques. 

Bibliographie:

Hamri, Mohamed (1975), Tales of Joujouka. Capra Press.

Gysin, Brion, The Process.

Schuyler, Philip (2000) « Joujouka/Jajouka/Zahjoukah – Moroccan Music and Euro-American Imagination », in Armbrust, Walter, editor. « Mass Mediations: New Approaches to Popular Culture in the Middle East and Beyond ». Berkeley: University of California Press, 2000.

Strauss, Neil (12 October 1995). « The Pop Life: To Save Jajouka, How About a Mercedes in the Village? ». The New York Times.

Davis, Stephen (1993). Jajouka Rolling Stone: A Fable of Gods and Heroes. Random House.

Palmer, Robert (14 October 1971). Jajouka: Up the Mountain. Rolling Stone.

Le lion calligraphique des Jajoukas sur la pochette d’un disque du groupe

Dr. Mohamed Chtatou

Professeur universitaire et analyste politique international

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