La tradition démocratique chez les Imazighen du Maroc


Organisation sociale

Le lignage agnatique ou patrilinéaire (rifain : dharfiqth ; imazighen : ighs ; ishilhayen : afus) était, jusqu’après l’indépendance du Maroc vis-à-vis de la France et de l’Espagne en 1956, l’unité sociale de base, avec une profondeur de quatre à six générations dans le Rif et de quatre seulement chez les Imazighen (voir « Groupes de parenté et descendance »). [i] Chez ces derniers, cependant, elle avait un caractère corporatif, ce qui n’était pas, ou pas toujours, le cas dans le Rif. [ii]

Dans la seconde moitié du XXe siècle et surtout depuis les années 1970, en raison de la migration de la main-d’œuvre, le patrilignage a été éclipsé en importance par la famille nucléaire. Au-dessus du patrilignage se trouve la communauté locale, puis la section tribale (Rifain : rbac ou khums, Imazighen/Ishilhayen : taqbilt), et enfin la tribu elle-même. [iii]

Au sein de certaines tribus marocaines, à l’époque précoloniale, les sections étaient regroupées pour former cinq unités primaires de « cinquièmes » ( khams khmâs ) – comme chez les Aith Waryaghar du Rif et les Ait ‘Atta du Saghro et de l’Atlas central – qui pouvaient être très différentes les unes des autres en termes de fonction ; cependant, à l’exception du sud du Maroc et des oasis présahariennes, il n’y a pas de hiérarchie formelle et, en fait, les membres laïcs des tribus berbères ont toujours fait preuve d’un égalitarisme farouche. [iv]

Dans le sud, les lignées sacrées descendant du prophète Mohammad (très nombreuses au Maroc, même chez les Berbères) forment une strate supérieure. La masse des tribus berbères blanches, laïques et analphabètes, forme la strate intermédiaire, et les nombreux groupes résidentiels (ou qsur) de haratines, cultivateurs sédentaires de palmiers dattiers noirs, dont certains sont traditionnellement en relation de clientélisme avec des sections tribales berbères spécifiques, forment la strate inférieure. Cette stratification sociale précoloniale se transforme cependant aujourd’hui en un système de classes [v]basé principalement sur la richesse et les considérations économiques. [vi]

L’organisation politique

Dans le Rif précolonial, l’unité d’intégration politique la plus élevée était la tribu (dhaqbitsh, qui, comme le mot « taqbilt », est dérivé de l’arabe qabîla), bien qu’en tant qu’unité, elle soit beaucoup moins souvent invoquée que la section (rbac ou khums). Un système à trois niveaux de conseils représentatifs ( aitharbicin, agraw ), respectivement pour la communauté, la section et la tribu, était convoqué selon les besoins et se réunissait généralement dans le sûq. Les conseillers (Rifain : imgharen ; sing. amghar ) étaient toujours des notables de la tribu.

À partir de la fin du XIXe siècle, le choix du qayid tribal, bien que généralement ratifié par décret sultanique, tendait à confirmer les hommes forts locaux dans leurs fonctions. Parmi les tribus des Imazighen, les élections annuelles des chefs au niveau de la tribu, de la section et de la communauté avaient lieu au printemps par rotation et complémentarité des sections participantes. Chaque année, c’était au tour d’une des sections de fournir le chef ; ses membres s’asseyaient à part, et les membres des autres sections choisissaient le chef parmi eux. L’insigne du chef était un brin d’herbe que celui-ci plaçait dans son turban.

Chez les Ait cAtta, cette procédure se déroulait, jusqu’à la « pacification » finale par les Français en 1933, dans la capitale tribale et siège de la cour suprême d’Igharm Amazdar, dans le Saghro. Compte tenu de l’idéologie égalitaire, le chef suprême, ou amghar n-ufilla, comme les chefs inférieurs, [vii] avaient peu de pouvoir et pouvaient être démis de leurs fonctions avant la fin de leur année s’ils étaient jugé inapte de quelque manière que ce soit, ou si l’année en question avait été mauvaise ou calamiteuse. À l’inverse, s’il était un chef compétent pendant la guerre et si, sous son mandat, la récolte avait été bonne et les moutons avaient grossi, il avait des chances de rester en poste une année de plus, voire davantage.

Aujourd’hui, les tribus ont été nominalement éradiquées sur le plan administratif et les sections tribales ont cédé la place à la commune rurale jamaca qarawiyya, mais les conseils communaux traditionnels sont toujours des organes élus et représentatifs qui se réunissent chaque semaine sur les marchés pour délibérer des questions locales.

Le contrôle social

Dans le Rif et ailleurs, le conseil de section était compétent pour traiter la plupart des délits, comme le vol ou les litiges fonciers, mais les blessures et les meurtres relevaient généralement de la compétence du conseil tribal (aitharbicin n’dqbitsh). Des amendes prohibitives (haqq ; lit.,  » vérité, droit « ) étaient imposées par les membres du conseil à quiconque commettait un meurtre au marché ou sur un chemin y menant ou en revenant, le jour du marché, la veille et le lendemain.

Dans toutes les régions amazighes, la forme la plus efficace et la plus radicale de contrôle sociopolitique était le serment collectif (Tamazight : tagallit), par lequel un homme accusé d’un crime quelconque devait attester de son innocence avec le soutien de ses agnats. Il le faisait devant le sanctuaire d’un saint, le nombre d’agnats, ses cojurés, variant selon la gravité du délit. Les sanctions surnaturelles de mort ou de cécité en cas de parjure constituaient une incitation puissante à ne pas jurer faussement.

Transhumance des Ait cAtta

Bien que Ben AbdelKrim ait décollectivisé les serments rifains en 1922, ils ont persisté dans l’Atlas jusqu’à la fin de la période coloniale, avec l’annulation du Dahir berbère. [viii] À l’époque coloniale (après la défaite des Rifains en 1926), les meurtres par vengeance sont devenus beaucoup moins fréquents qu’avant 1921 ; ces affaires sont traitées par les tribunaux de la puissance protectrice. Le tribunal du qayid entendait les affaires de moindre importance et les qudât s’occupaient des délits.

Conflits

Dans le Rif précolonial en particulier, les querelles de sang (entre les groupes lignagers) et les vendettas (au sein des lignages, et généralement entre les frères et leurs fils) étaient endémiques. Chez les Aith Waryaghar, les vendettas étaient environ deux fois plus nombreuses que les querelles de sang : sur les 193 conflits recensés par Hart (1994) pour la période allant de 1880 à 1921 environ, 122 étaient des vendettas contre seulement 71 des féodalités, ce qui indique l’absence de base corporative dans le lignage rifain.

Les réseaux d’alliance, appelés lfuf (sing. liff), conçus comme égaux en taille mais généralement pas en fait, englobaient des sections tribales entières ou les divisaient en deux, mais ils ne s’étendaient pas au-delà des frontières tribales individuelles. Cependant, étant donné l’importance des lignages corporatifs dans les régions Imazighen, et peut-être aussi Ishilhayen, l’accent était mis ici sur la querelle. Les querelles étaient en partie responsables d’un certain degré de dispersion des individus, étant donné qu’il était habituel pour un meurtrier, avec ou sans ses parents agnatiques coresponsables, de fuir sa maison et de chercher l’exil dans une autre tribu.

Dans toutes les régions, cependant, la résolution des conflits entre groupes était l’affaire des imrabdhen (sing. amrabedh ) ou des igurramen (sing. agurram ), membres de lignées saintes et généralement charismatiques descendant du Prophète Mohammad ; la médiation des conflits entre tribus laïques faisait partie de leur métier.

Les Ait cAtta et l’organisation politique

En analysant le cas des Ait cAtta, David Hart, à son grand mérite, n’est pas tenté de prendre les apparences pour la réalité. [ix] Au contraire, il révèle de nombreux détails de l’histoire et de l’organisation politique des Ait cAtta qui, à la fois, contrecarrent la tentative anthropologique de percevoir une élégance fonctionnelle dans le système social et contredisent les tribus. Cependant, la théorie segmentaire peut avoir du sens en termes analytiques et ethnosociologiques, la réalité sociale ne parvient jamais à s’adapter entièrement aux modèles idéaux qu’on lui construit.

Ainsi, alors que « l’ensemble de la teneur » de la vie tribale est  » étonnamment égalitaire  » (p. 170), certains segments des Ait cAtta sont néanmoins  » plus égaux que d’autres  » selon divers critères (pp. 79, 90-91). Les Ait cAtta affichaient autrefois un degré remarquable de cohésion tribale, favorisé par un corpus oral de droit coutumier (izref) hautement adaptable aux circonstances changeantes, l’existence d’un  » capital  » fixe installé par les sédentaires, et par le principe des « cinq cinquièmes » mentionné plus haut.

 Ce principe a centralisé les notions d’identité de groupe à la fois parmi les segments de clans territorialement discontinus et les Ait cAtta. Pourtant, les alliances tribales internes étaient généralement instables (p. 206), les membres des tribus se battaient entre eux et les Ait cAtta ne se mobilisaient jamais au niveau « supertribal » afin d’engager dans une véritable guerre des voisins qu’ils considéraient comme des ennemis permanents dans une véritable guerre (par opposition aux querelles sporadiques ; pp. 194-95).

De nombreuses autres caractéristiques de la vie sociale divergent également des notions idéales détenues par les membres de la tribu de la façon dont les choses étaient, sont ou devraient être. La société Ait cAtta s’articule autour du concept d’agnation (p. 146), mais souvent un fils demandait une part distincte des biens appartenant à la lignée à la fois pour ‘’affirmer son autonomie personnelle’’ et se libérer de l’obligation de partage de la responsabilité d’un homicide commis par un agnat (p. 120).

Contrairement à la façon dont ils apparaissent dans de nombreux autres récits de tribus nord-africaines, shorfa et « saints » (igurramen) qui étaient installés parmi les Ait cAtta ne pouvaient apparemment rien faire pour arrêter les attaques à grande échelle ; on apprend en tout cas que leur prétendu « pacifisme » n’était pas bien plus qu’une illusion (p. 25, 202). En outre, le choix d’un partenaire de mariage par un homme semble rarement conforme à la préférence culturellement accentuée pour la fille des frères de son père : ici, comme dans la formation d’autres sortes d’alliances (par exemple, liff, p. 204), les hommes cherchaient un éventail de choix aussi large que possible, et conservaient la prérogative de s’affranchir des obligations qui leur devenaient lourdes en tant qu’individus.

Nature démocratique des Imazighen

Dans son corpus sur les Imazighen du Rif : The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History, [x] David Hart nous révèle la nature démocratique des Rifains, ils sont certes bagarreurs, têtus, désordonnés et coriaces mais démocrates au fond bien que cette qualité de caractère n’a pas été  étudié à fond par ni les anthropologues européens ni ceux de l’Amérique.

Suite aux événements du 11 septembre 2001 à New York, les Amazighs du Congrès Amazigh se sont déplacés à l’ambassade américaine de Rabat pour présenter leurs condoléances au gouvernement américain et se démarquer du fondamentalisme violent moyen-oriental anti démocratique et anti modernité.

Cela, David Hart le démontre, avec brio, dans son article intitulé : “Scratch a Moroccan, Find a Berber,” publié dans The Journal of North African Studies en 1999 : [xi]

‘’Although Arabs and Berbers have lived in juxtaposition in the Maghrib for well over a millennium, it is quite apparent that the Berber element is very much more than just a residue. It is, indeed, the base of the whole North African edifice, and it is still very strongly so today, so much so that one can say: scratch a Moroccan, find a Berber. In my view there is nothing political, or nothing avowedly political, about the Berber linguistic and cultural movement, for it is also eminently peaceful in its intentions. Most recently, too, its stance has also become anti-fundamentalist, given the unprecedented rise of Islamism in Algeria and the current state of civil war between it and the government. What the movement wants and what in my opinion it should be accorded is official recognition in both countries, Algeria and Morocco, by virtue of being written into their respective constitutions. These would appear to be fully legitimate aspirations, and one can only hope that they will soon be realised.”

[“Bien que les Arabes et les Berbères aient vécu en juxtaposition dans le Maghreb pendant plus d’un millénaire, il est évident que l’élément berbère est bien plus qu’un simple résidu. Il est, en effet, la base de tout l’édifice nord-africain, et il l’est encore très fortement aujourd’hui à tel point qu’on peut dire : grattez un Marocain, trouvez un Berbère. A mon avis, le mouvement linguistique et culturel berbère n’a rien de politique, ou rien d’ouvertement politique, car il s’agit d’un mouvement qui n’est pas politique car il est aussi éminemment pacifique dans ses intentions. Plus récemment, son attitude est également devenue anti-fondamentaliste, étant donné la montée sans précédent de l’islamisme en Algérie et de l’état actuel de guerre civile entre celui-ci et le gouvernement. Ce que le mouvement veut et ce qui, à mon avis, devrait lui être accordé, c’est une reconnaissance officielle dans les deux pays, l’Algérie et le Maroc, en vertu de son inscription dans leurs constitutions respectives. Il s’agit là d’aspirations tout à fait légitimes, et on ne peut que souhaiter qu’elles se concrétisent rapidement.’’]

Démocratie amazighe d’après Gellner

Le rôle joué par les igurramen ( » saints « ) de la lignée Ihansalen et l’influence politique qu’ils exerçaient étaient si importants que l’ordre politique dans cette région pouvait légitimement être qualifié d’hagiarchie (gouvernement des saints); [xii] non seulement cet ordre politique doit être distingué de ceux existant dans les régions du Haut-Atlas occidental, de l’Anti-Atlas et du Rif étudiées par Montagne [xiii] – à la fois celui de la petite république gouvernée par la jmaca (assemblée) de la taqbilt (canton), et celle des grandes qayid (El Glawi, El Gondafi, El Mtuggi, etc.), mais aussi l’oscillation entre ces régimes républicains et tyranniques, qui était un élément clé de la thèse de Montagne, est totalement absente du pays d’Ahansal ; l’hagiarchie en question, qui n’est qui n’est ni  » républicaine  » ni  » tyrannique « , est en outre très stable.

Gellner reconnaît l’existence de la jmaca parmi les tribus du pays d’Ahansal, mais leur refuse le statut d’institutions politiques sous prétexte que la jmaca n’est pas une institution : [xiv]

‘’Berber jema‘as have no sense of corporate identity distinct from that of the group of which they are the jema‘a; they have no continuity other than that of that group; they have, of course, no kind of secretariat or records.”

[‘’Les jmacas berbères n’ont aucun sens de l’identité collective distincte de celle du groupe dont ils sont les jmacas ; ils n’ont aucune continuité autre que celle de ce groupe ; elles n’ont, bien sûr, aucune sorte de secrétariat ou d’archives.’’]

Mais ce que Gellner passe sous silence c’est que la jmaca est une institution politique élue démocratiquement dans toute l’aire amazighe du Maroc pour une période fixe et jouissait pleinement d’une légitimité tribale et contrairement à ce qu’il pense elle avait un secrétariat assuré par un des fqihs de la tribu ou clanou, des fois, plusieurs qui notaient les minutes des réunions et les lois en arabes dans des registres appelés kounaches. D’ailleurs on a trouvéces kounaches dans plusieurs timzgida ‘’mosquées’’ du monde amazigh marocain.

Gellner, en tout état de cause, ne semble pas croire que le système politique amazigh est pleinement démocratique : [xv]

“Berber society oscillates between two rival and opposed social forms, between on the one hand democratic or oligarchic tribal republics ruled by assemblies or hierarchies of assemblies, and on the other hand ephemeral tribal tyrannies, exemplified in modern times by the ‘great caïds’ of the South.”

[‘’La société berbère oscille entre deux formes sociales rivales et opposées, entre, d’une part, des républiques tribales démocratiques ou oligarchiques gouvernées par des assemblées ou des hiérarchies d’assemblées, et d’autre part des tyrannies tribales éphémères, illustrées à l’époque moderne par les « grands caïds » du Sud.’’]

Il semble aussi oublier que la politique des grands caids n’était pas amazighe mais coloniale qui avait pour objet de contrecarrer les nationalistes marocains pan-arabistes. Comme d’habitude les Amazighs se sont trouvés entre deux feux de deux groupes qui ne servaient aucunement leurs intérêts propres. N’est-il pas clair que les nationalistes de l’Istiqlal se sont servis de l’Armée de Libération amazighe sous la houlette de Abbas Lamsadi, pour pousser les Français à partir puis après l’indépendance Mehdi Ben Barka s’est chargé de le liquider. Sans oublier, pour autant, que l’hégémonie politique de l’Istiqlal, qui se prenait au début de l’indépendance pour partie unique, était à l’origine du soulèvement du Rif de 1958-1959. [xvi]

Laïcité amazighe (takalant)

Les activistes amazighs marocains utilisent la laïcité comme leur cri de guerre, et ils pensent crânement que c’est le bon véhicule pour apporter la modernisation, la justice sociale et la démocratisation au pays.  La laïcité est, certes, une idéologie, une philosophie et un mode de vie en soi pour les activistes amazighs et, alternativement, l’approche miracle instrumentalisée pour des objectifs politiques et idéologiques au nom de l’identité berbère (Amazighité). La laïcité dans le discours amazigh, et la vie intellectuelle marocaine en général, semble osciller sur un pendule, en quelque sorte, entre l’utopie, les vœux pieux et les bonnes intentions, d’une part, et les considérations pratiques et les limites, d’autre part.

Les identités ethnolinguistiques et religieuses nuancent la dynamique politique de la laïcité dans un contexte nord-africain où l’arabe s’affirme comme la  » langue de Dieu  » et la langue supérieure à la langue indigène Tamazight. Les Imazighen sont donc empêchés de maintenir leur propre langue et leurs coutumes en raison des processus liés d’arabisation et d’islamisation, un contexte dans lequel la culture amazighe est perçue comme hostile à l’identité culturelle.

Une telle politisation d’identités et de pratiques religieuses n’est pas un phénomène nouveau et a été démontré à plusieurs reprises dans le contexte de la colonisation et d’autres formes d’oppression. Dans le cas du mouvement amazigh, le concept de laïcité joue un rôle politique particulier dans la résistance des activistes indigènes à l’idéologie arabo-islamique et le déplacement des valeurs culturelles par l’islamisation. [xvii]

Cette évolution est intrigante : en tant que groupe marginalisé, les activistes amazighs doivent trouver un équilibre entre la préservation de la tradition et de la culture et la recherche d’un lieu d’appartenance. Ils y parviennent par le biais du discours de la laïcité, en s’appuyant sur les histoires et les valeurs locales pour développer un discours culturellement spécifique, puis en le reliant à une notion universelle de la  » laïcité  » dans un contexte de mondialisation.

Mohamed Chafik ⵎⵓⵃⴰⵎⵎⴰⴷ ⵛⴰⴼⵉⵇ (1926-), intellectuel et leader amazigh

Dans son Dialogue avec un ami amazigh, [xviii] Cheik Abdessalam Yassine, le feu guide spirituel du mouvement islamiste al-cadl wa’l-Ihsane (Justice et Bienfaisance), Amazigh lui-même, « exhorte les Imazighen à abandonner leur intérêt pour la langue et la culture populaire amazighes« , [xix] et considère leur militantisme linguistique laïque en soi comme une trahison à l’Islam et une forme de shirk [xx]. Un autre leader islamiste du mouvement, al-Badil al-Hadari (Alternative civilisationnelle), a l’idée de créer « une alliance islamiste-amazighe pour affronter le mouvement amazigh pro-occidental« . Il soutient l’affirmation de Yassine selon laquelle être Amazigh est une identité  » égoïste, terrestre et mondaine « . [xxi] Le fait qu’al-Hadari considère automatiquement le mouvement amazigh comme « pro-occidental  » en raison de sa nature séculaire est intrigante : les relations entre les identités ethniques, linguistiques et religieuses ont des connotations hautement politiques dans le contexte nord-africain et en relation avec les structures de pouvoir mondiales. Yassine et le mouvement amazigh présentent des réactions opposées à une modernité occidentale envahissante – et forcée – qui comporte une composante séculaire. [xxii]

Pour Mohammed Chafik, un éminent leader amazigh et linguiste, « la clé de la modernité est l’identité berbère basée sur la langue et la culture- l’amazighité » : [xxiii]

‘’L’entrée dans la modernité dépend de la réponse à la question : qui sommes-nous ? Il n’y a pas d’entrée dans la modernité sans justice et sans égalité entre les hommes, sans résolution des conflits au sein de notre société, conflits qui sont liés à la question de notre origine et de notre identité en tant qu’individu et en tant que collectivité.’’

Ben Abdelkrim et sa République confédérée du Rif : démocratie contrôlée

Au début de 1921, les troupes espagnoles commencent à marcher vers le nord-est du Maroc à partir des zones côtières qu’elles tiennent déjà. [xxiv] Le général espagnol Manuel Fernández Silvestre avait pénétré de plusieurs kilomètres dans le Rif quand Ben Abdelkrim lui envoie un avertissement :

« si vous traversez la rivière Amekran, nous considérerons cela comme un acte de guerre« .

Fernández Silvestre aurait ri en lisant le message. Il dispose de 24 000 soldats équipés d’armes modernes et d’artillerie. Ils n’ont rencontré aucune forme de résistance pendant la marche dans la campagne, et le général pensait donc que le contrôle de cette zone serait un jeu d’enfant. Mais le plan de Ben Abdelkrim était d’attirer ces forces dans les zones de haute montagne. Le 22 juillet 1921, après que les forces espagnoles aient occupé le campement d’Anoual, elles ont été attaquées par 3 000 combattants du Rif commandés par Ben Abdelkrim. Submergé par cette attaque surprise, le général Silvestre, qui n’était arrivé à Anoual que la veille, décida de se retirer. Sous un feu nourri et épuisées par la chaleur intense, les troupes espagnoles se sont dispersées dans une foule confuse et ont été abattues ou poignardées par les tribus. [xxv]

Après la bataille, les hommes de Ben Abdelkrim ont commencé à progresser vers l’est, où ils ont envahi plus de 130 postes espagnols. Les garnisons espagnoles ont été détruites sans qu’une réponse coordonnée aux attaques ne soit organisée. [xxvi] À la fin du mois d’août 1921, l’Espagne a perdu tous les territoires qu’elle avait gagnés dans la région depuis 1909 et les troupes et les civils espagnols ont pu se retirer dans les territoires marocains occupés par la France. [xxvii]

Pour l’Espagne, la bataille d’Anoual et les combats qui ont suivi ont été un véritable désastre. Près de 22 000 soldats espagnols ont été tués, dont le général Manuel Fernández Silvestre, 700 ont été faits prisonniers et beaucoup d’autres ont été blessés. Ben Abdelkrim a perdu environ 800 hommes mais a mis la main sur 11 000 fusils, 3 000 carabines, 1 000 mousquets, 60 mitrailleuses, 2 000 chevaux, 1 500 mules, 100 canons et une grande quantité de munitions. Ben Abdelkrim a fait remarquer plus tard :

« En une seule nuit, l’Espagne nous a fourni tout le matériel dont nous avions besoin pour mener une grande guerre« .

C’était la première défaite en Afrique d’une puissance coloniale européenne, dotée d’une armée moderne et bien équipée, face à des résistants sans ressources, sans organisation et sans logistique. C’était également la première fois dans l’histoire que la guerre des tunnels était utilisée aux côtés des tactiques de guérilla modernes. [xxviii]

La bataille d’Anoual a eu un impact mondial, d’un point de vue psychologique et politique, car elle a montré qu’avec des effectifs réduits, des armes légères et une grande mobilité, il est possible de vaincre des armées traditionnelles. Elle a également poussé l’armée espagnole à recourir à des tactiques horribles contre les populations indigènes, notamment à l’utilisation d’armes chimiques. [xxix]

Dans un télégramme envoyé par le haut-commissaire du Maroc espagnol Dámaso Berenguer le 12 août 1921 [xxx] au ministre espagnol de la Guerre, Berenguer déclare : [xxxi]

‘’Je me suis obstinément opposé à l’utilisation de gaz suffocants contre ces indigènes, mais après ce qu’ils ont fait, et de leur conduite perfide et trompeuse, je dois les utiliser avec une véritable joie.’’

Fort de son succès, Ben Abdelkrim proclame en 1922 la République confédérée des tribus du Rif. Cette république a eu un impact crucial sur l’opinion internationale, car elle est la première république issue d’une guerre de décolonisation au XXe siècle. Ben Abdelkrim crée un parlement qui élit un gouvernement. Ce premier gouvernement crée une monnaie et une banque d’Etat, une justice moderne et indépendante, une infrastructure routière, introduit le téléphone et le télégramme, érige des ponts, met en place une irrigation structurée, impose l’ordre et la sécurité et surtout interdit la vendetta, les guerres de clans et construit des écoles. [xxxii]

La glorieuse bataille d’Anoual de 1921

De nombreux ingénieurs, aventuriers et hommes d’affaires français, espagnols, allemands, britanniques et américains soutiennent le combat de Ben Abdelkrim pour l’indépendance. Ainsi vers 1923, Ajdir la capitale de la nouvelle République, avait tout pour revendiquer modestement ce statut. En effet, à côté du parlement, Ben Abdelkrim a érigé des écoles, des établissements administratifs, une cour de justice, une bibliothèque, un centre d’archives, des ministères, des bases militaires.

En 1924, l’Espagne retire ses troupes des territoires qu’elle occupait le long de la côte marocaine. La France, qui avait de toute façon des revendications sur le sud du Rif, se rend compte que permettre à une autre puissance coloniale d’être vaincue en Afrique du Nord par des indigènes créerait un dangereux précédent pour ses propres territoires, et décide d’entrer dans le conflit. [xxxiii]

À partir de 1925, la république de Ben Abdelkrim doit faire face à une alliance des forces françaises dirigées par Philippe Pétain (environ 200 000 hommes) et des forces espagnoles dirigées par Miguel Primo de Rivera (environ 300 000 hommes). Face à une résistance intense, l’armée espagnole intensifie l’utilisation d’armes chimiques contre la population civile du Rif. Devant la menace de génocide, Ben Abdelkrim se rend aux Français, comme prisonnier de guerre le 26 mai 1926, en demandant que les civils soient épargnés. [xxxiv]

Si la guerre du Rif a été perdue par Ben Abdelkrim et les siens, le choc qu’elle a représenté la transforme paradoxalement en victoire. Plus qu’un banc d’essai, l’expérience d’Abdelkrim, avec toutes ses contradictions, est évidemment une première.

« Je suis convaincu que, si nous en avions eu le temps, nous serions devenus une grande nation d’hommes libres« ,

déclarera plus tard Ben Abdelkrim. Cette parole n’est ni celle d’un jouet ni celle d’un vaincu, mais bien l’expression d’une force nouvelle et l’expression d’un espoir indéfectible de liberté.

Proclamation de la République du Rif (tagduda n-Arif)

Après la victoire d’Anoual à l’été 1921, Ben Abdelkrim se sent plus sûr d’organiser et de développer efficacement le mouvement rifain, né au cours de la guerre. L’absence d’une armée régulière rifaine cohérente et le manque d’un organe de coordination entre les tribus, en plus de la gestion de l’économie et de l’administration, ont conduit Ben Abdelkrim à organiser un congrès général démocratique pour étudier et évaluer la situation après la victoire et pour établir les nouveaux instruments pour rendre le mouvement plus solide. Le plan a été accepté avec un grand enthousiasme par les habitants et les représentants des tribus ont été invités à y participer. [xxxv]

La réunion a eu lieu le 18 septembre 1921. Abdelkrim commença par un grand discours dans lequel il évoqua les relations entre le Rif, l’Espagne et le Maroc, dénonça tout type de colonialisme, tant espagnol que français, et déclara qu’il n’acceptait aucun traité du protectorat :

« Nous n’avons jamais reconnu ce protectorat et nous ne le reconnaîtrons jamais. Nous voulons être nos propres gouverneurs et maintenir et préserver nos droits légaux et indiscutables, nous défendrons notre indépendance avec tous les moyens dont nous disposons et nous élèverons notre protestation devant la nation espagnole et son peuple intelligent, qui, selon nous, ne discute pas la légalité de nos demandes. »

Dans le même acte, plusieurs points importants sont convenus, comme l’indépendance du Rif. Abdelkrim fut nommé émir (chef de l’État), un Conseil national des notables fut constitué et le 18 septembre fut fixé comme jour de l’indépendance. Il fut également approuvé le paiement par l’Espagne d’une indemnité aux rifains touchés par la guerre et par l’occupation militaire, pendant les douze années suivantes. Deux points importants des relations extérieures ont également été décidés : l’établissement de relations amicales avec tous les états et la demande d’adhésion à la Société des Nations, prédécesseur des Nations unies. [xxxvi]

Ben Abelkrim, lors de la proclamation de la république déclara : [xxxvii]

‘’Nous sommes le gouvernement de la République du Rif, créée en juillet 1921. Nous tenons à informer les Etats signataires du Traité d’Algésiras en 1906 que leurs ambitions ne pourront aboutir. L’histoire le leur a bien prouvé, ces derniers jours. Ils sont dans l’erreur s’ils considèrent que le Rif fait partie du Maroc. Géographiquement, notre république fait partie de l’Afrique. Notre langue est singulièrement différente de toutes les autres.’’

En juin 1922 une lettre fut adressée à la Société des Nations par Arnall et Boujibar, qui se sont rendus à Londres en juin 1922. Ce document a été envoyé de Londres au Conseil Général le 6 septembre 1922 :

‘’Nous, représentants dûment accrédités du gouvernement réel de Rif, vous informons que nous constituons un pouvoir représentatif dûment élu, composé de membres de quarante et une tribus de Rif et de Gomaras. Parmi les points les plus importants convenus, nous avons une assemblée représentative dûment élue qui gouverne le nôtre en pleine conformité avec les objectifs de la Société des Nations, deuxièmement, nous sommes disposés à garantir les droits de toutes les nations dans tous les domaines liés au commerce, et nous n’établissons en aucun cas des droits plus contraignants que ceux fixés dans d’autres régions du Maroc, un autre point, nous sommes disposés à donner des preuves et des garanties qui démontrent que nous sommes capables de gouverner le pays dans l’intérêt de la paix et du commerce international. »

Mhamed Azerkan, ministre des Affaires étrangères de la République du Rif envoya un message très clair pour les Espagnols, basé sur la paix et la reconnaissance mutuelle avec les bons voisins, en argumentant avec des accords universels :

« Le gouvernement rifain, établi selon les idées modernes et les principes de la civilisation, se considère indépendant, tant sur le plan politique que sur le plan économique, avec le privilège de jouir de notre liberté comme nous en jouissons depuis des siècles, et de vivre comme le reste des peuples. »

Le Conseil national rifain a tenu plusieurs sessions, au cours desquelles il a approuvé une constitution de 40 articles, [xxxviii] fondée sur le principe de l’autorité du peuple. Les membres du gouvernement sont responsables devant l’Assemblée nationale. Abdelkrim fut nommé président du conseil. Selon Mariano Salafranca, la constitution, ainsi que de nombreux autres documents, ont été brûlés par les troupes espagnoles lorsqu’elles ont pris Ajdir, la capitale rifaine. [xxxix]

Ben Abdelkrim (1982-1963)

L’étape suivante a été la formation d’un gouvernement moderne, qui a mis fin aux anciennes structures traditionnelles et a introduit un modèle démocratique basé sur une administration très représentative. Le gouvernement était composé d’un président ou émir (Ben Abdelkrim), d’un vice-président (le frère de Ben Abdelkrim), de quatre ministres (des finances, des affaires étrangères et de la marine, de la défense et de l’intérieur), ainsi que de deux secrétaires et de trois inspecteurs et « payeurs ». L’esprit de changement et de modernité s’est manifesté par le fait que la plupart des membres du gouvernement sont jeunes, aucun ne dépasse 45 ans, allant jusqu’à ce que le secrétaire particulier de Ben Abdelkrim, Seddik avait 22 ans. Tous ont fait des études supérieures et maîtrisent des langues étrangères. [xl]

Organisation interne et administration de la République

Ben Abdelkrim a mis en œuvre son processus d’innovation en créant des institutions, telles que les forces de sécurité et les forces armées, toutes deux composées d’hommes de confiance issus de différentes tribus. Leur première tâche était de garantir l’ordre à l’intérieur, la seconde était de défendre le territoire national contre les agressions extérieures. Dans chacune des tribus, une mahkama est établie, un bureau gouvernemental à des fins politiques et militaires. Une police secrète fut créée, qui fournissait des informations précises et très importantes pour le gouvernement du Rif. [xli]

Une autre tâche de l’Etat était la collecte des impôts, qui était assurée par une sorte de réseau d’agents fiscaux établi par Ben Abdelkrim dans les territoires sous son contrôle. L’activité de réforme s’est également terminée par la fin des conflits entre les tribus, en établissant un système d’alliances (leff) qui a réussi à former une unité tribale et une solidarité entre les Rifains.

En 1926, le journaliste Francisco Hernández Mir écrivait dans Alianza contre el Rif [xlii] que l’organisation des finances était l’œuvre la plus parfaite des initiatives prises par l’éphémère République rifaine et qu’en peu de temps elle avait réussi à réunir plus de 12 millions de pesetas. Cette somme contraste avec les 600 millions de pesetas que Ben Abdelkrim mentionnait à Roger-Mathieu (Mémoires d’Abd-el-Krim), [xliii] collectés non seulement dans la zone qu’il contrôlait, mais aussi dans la zone d’influence espagnole, somme qui était nécessaire pour faire face au budget de 200 millions pesetas de dépenses de la nouvelle république.

Pour contraster avec la grande différence entre ces chiffres, il existe les chiffres les plus fiables concernant le budget fiscal global du protectorat espagnol dans les zones occidentale et orientale. Entre 1916 et 1932, c’est-à-dire en 15 ans, 205 millions de pesetas ont été collectées. Pendant la même période, 511 millions de pesetas ont été dépensées, la différence étant couverte par le budget de l’État espagnol. Les dépenses de la République rifaine étaient équivalentes à celles du protectorat espagnol entre 1916 et 1927, ce qui donne une idée des différences en termes de taille de l’organisation politico-administrative et militaire du protectorat et de la république dirigée par Ben Abdelkrim.

Le ministère des Finances rifain, dirigé par Abdeslam, l’oncle paternel (ou maternel selon Sigifredo Sainz, captif à Ajdir) de Ben Abdelkrim, était financé essentiellement par les Habous et l’impôt coranique Zakat, que le général espagnol Manuel Goded a remplacé par le Tertib, [xliv] un impôt traditionnel préconisé par les puissances européennes, ce qui suscita des protestations populaires dans tout le Maroc. [xlv] Les amendes imposées aux villages constituaient une autre source de revenus fiscaux. Les principales dépenses étaient, selon Goded, les salaires des militaires et des fonctionnaires et d’autres dépenses diverses.

Pour compléter l’organisation de l’Etat, M’Hammed Ben Abdelkrim, frère du président, engagea en 1923 le capitaine et financier anglais Charles Alfred Percy Gardiner pour créer la Banque de l’Etat du Rif, avec la faculté d’émettre des billets. Gardiner fit de nombreux retraits d’argent à son profit, en raison de toutes sortes d’organismes et de services monopolistiques et même de mines inexistantes. Tout ce stratagème a été réduit à néant peu de temps après, Gardiner s’étant révélé être un escroc opportuniste sans moyens matériels et financiers pour réaliser ce qui était établi dans le contrat qu’il avait signé. Malgré cela, Gardiner envoya même à Rif une quantité inconnue de billets de un et cinq rifains, la monnaie de la république, malgré le fait que l’institut d’émission n’ait jamais été créé. Ces billets n’ont pas été mis en circulation et, selon Juan de España, le pseudonyme utilisé par le diplomate espagnol José Antonio Sangróniz, ils ont été jetés à la mer sur ordre d’Abdelkrim. [xlvi]

Sur le plan juridique, le président Ben AbdelKrim abolit la vengeance et son prix diyyath (dette de sang), met en place des tribunaux et crée des prisons qui n’avaient jamais existé au Rif, comme la célèbre prison de Tajanoust, sur la rivière Isli, dans la capitale Ajdir.

Le système pénal était compliqué à élaborer, car avant la république il n’y avait pas de codes écrits et il n’y avait pas de distinction claire entre les crimes civils et strictement militaires. Ainsi, l’aide à l’évasion de prisonniers, un combattant commettant un acte de lâcheté et l’homosexualité étaient considérés comme des délits passibles de la peine de mort. Les maires qui échouaient dans l’action de guerre étaient démis du commandement de leurs unités. En revanche, les absences légères étaient punies de 15 jours de détention et de 30 jours supplémentaires sur le front de guerre, en tant que gardes dans des endroits dangereux. Les problèmes de discipline, l’incorporation en retard ou la possession d’un fusil de chasse étaient considérés comme des fautes militaires. Avec ces réformes, Ben AbdelKrim a établi avec peu de ressources un grand ordre et une grande sécurité sur le territoire.

En ce qui concerne la santé et l’éducation, Rif connaissait une grande pénurie de ressources humaines et matérielles. Les Rifains souffraient de nombreuses maladies et les personnes blessées par les bombardements aériens espagnols et celles blessées au combat rendaient les besoins sanitaires critiques, tant en termes de personnel que de ressources matérielles. Cette situation a conduit Ben AbdelKrim à solliciter l’aide internationale en général et la Croix-Rouge internationale en particulier.

La république disposait de deux hôpitaux, l’un dans la capitale Ajdir et l’autre à Chefchaouen, mais tous deux manquaient de moyens de toutes sortes. La première étape a été de faire venir un médecin de Fès, spécialiste en médecine générale. Plus tard, l’hôpital d’Ajdir a reçu deux expéditions humanitaires et deux personnes : un infirmier norvégien (Walter Heintgent) et un guérisseur noir de Tanger (Mohamed). L’hôpital de Chefchaouen avait encore moins de ressources. Après l’expulsion des Espagnols, l’Espagne et la France interdisent l’aide humanitaire, à l’exception de trois expéditions qui s’occupent exclusivement des prisonniers étrangers. [xlvii]

Dans le domaine de l’éducation, Ben AbdelKrim créa de nouvelles écoles. Par exemple, l’école Ajdir, l’école Zauia Adoz, l’institut religieux musulman de Chefchaouen et des écoles d’alphabétisation pour jeunes et adultes, dans le but de généraliser l’enseignement obligatoire. Il a même organisé une délégation d’étudiants pour les envoyer suivre des études supérieures en Égypte ou en Turquie.

L’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) : bouclier contre l’islamisme et le mouvement démocrate amazigh

Le dahir et la création l’Institut Royal de la Culture Amazighe, ou IRCAM, est en partie le résultat de la pression nationale et internationale pour créer un régime transparent de justice sociale et de droits de l’homme. Ces initiatives ont répondu à bon nombre des demandes formulées au cours des années 1970, 1980 et 1990 par les diverses associations culturelles, les groupes d’étudiants et les mouvements politiques associés au diffus Mouvement culturel amazigh (MCA), et de plus en plus, les États-Unis et d’autres alliés ont salué les efforts de réforme du Maroc comme une réussite. Les changements dans l’imaginaire national signalent également une réponse créative de l’État marocain à la politique islamiste transnationale, une réponse qui marie la rhétorique de l’identité ethno-nationale à un discours universaliste de la démocratie. Le dahir servi donc à transformer les militants amazighs en alliés de l’État dans la  » guerre contre le terrorisme  » sur les plans national et international.

Assemblée Mondiale Amazighe (AMA)

Néanmoins, la création de l’IRCAM et ses interventions pour promouvoir l’art et la culture berbères dans les sphères des médias et de l’éducation n’ont pas été sans opposition dans les rangs des militants amazighs, et n’ont pas été reconnues comme autre chose qu’une « politique » d’État distante par la masse des Berbères dans les campagnes. Les activistes ont contesté chaque décision menant à la réforme des programmes scolaires, car ils soupçonnent que l’institut n’est qu’une tentative de l’État de coopter l’opposition amazighe et de transformer la culture berbère vivante en folklore statique.

Malgré le dahir, des militants amazighs ont été arrêtés à plusieurs reprises par la police et menacés d’être accusés de trahison pour avoir participé à des manifestations de rue en faveur des droits fonciers des Berbères et de la désignation de Tamazight comme langue nationale du Maroc reconnue par la Constitution. Un tel climat de répression perçue est accepté avec une apathie évidente par la plupart des Berbères, mais a ironiquement radicalisé certains militants amazighs qui sont devenus les partisans idéaux de la guerre mondiale contre le terrorisme de George W. Bush.

Considérant l’État marocain comme un bastion du nationalisme arabe, ces derniers ont adopté des positions de plus en plus anti-arabes qui vont jusqu’à nier la légitimité de la cause palestinienne et à soutenir l’invasion américaine de l’Irak, positions qui ont conduit à des conflits avec les groupes d’opposition islamistes et marxistes, ainsi qu’avec des éléments de la sécurité de l’État marocain. Plutôt que d’assurer l’unité nationale, la création de l’IRCAM a sans doute exacerbé la fragmentation non seulement du mouvement amazigh, mais aussi de la politique d’opposition marocaine en général.

Les répercussions de la création de l’IRCAM sur le mouvement amazigh et la politique oppositionnelle marocaine sont plus difficiles à juger. D’une part, l’institut a réussi à rassembler des militants amazighs de différentes associations et factions idéologiques. A la veille du dahir, trois groupes distincts et opposés pouvaient être identifiés : le Mouvement National Populaire  » royaliste  » et ses associations alliées, tirant leur soutien principal du Moyen Atlas ; l’AMREC  » historique « ,  » modéré  » basé à Rabat dont les membres sont essentiellement l’intelligentsia urbaine ; et le Tamaynunt/Université d’Eté d’Agadir  » de gauche  » qui tirait sa base principalement du Sous. Parmi les militants employés dans les centres de recherche, ces divisions se sont avérées intenables et se sont rapidement effondrées.

En revanche, la création de l’IRCAM a effectivement divisé le mouvement en deux macro-factions : ceux qui soutiennent le programme de l’institut, et ceux qui s’y opposent, soit par principe, soit par ressentiment de ne pas avoir été recrutés. Les militants qui ont rejoint l’institut témoignent de la difficulté du choix, de la conscience qu’ils avaient de perdre leur crédibilité aux yeux de leurs pairs, mais ils ont fini par croire qu’ils avaient une meilleure chance de faciliter le changement en travaillant au sein du système. Aujourd’hui, ils sont souvent dénoncés par certains de leurs anciens camarades comme ayant été makhzenisé (voire ircamisé), s’étant littéralement transformés en représentants de facto de l’État (al-makhzen). Les opposants ne cachent pas leur conviction que l’institut travaille dans l’intérêt des forces globales du nationalisme arabe.

Bien que les militants amazighs périphériques soient heureux de bénéficier des largesses de l’IRCAM (en termes d’invitations à des conférences ou d’offres de publication de leur poésie), ils lui reprochent de monopoliser l’expression publique de la culture berbère au détriment des petites associations et des efforts d’organisation à la base. Avec l’énorme budget de l’IRCAM et sa capacité à attirer des militants supplémentaires à Rabat, les fonds publics et le soutien des militants aux efforts locaux de développement social et de préservation culturelle se sont avérés de plus en plus rares, et de nombreuses associations amazighes ferment leurs portes.

En ce sens, l’IRCAM et ses organisations sœurs de Rabat ont radicalisé davantage un certain nombre de militants amazighs dans l’arrière-pays marocain et exacerbé un clivage urbain-rural de longue date. Dans les éditoriaux des journaux, sur les listes de diffusion par e-mail, par le biais de tracts photocopiés et lors de manifestations publiques périodiques, ces critiques ont adopté un discours de plus en plus extrémiste face à ce qu’ils considèrent comme la persistance de la domination d’une élite arabisée de Fès.

Ils déplorent le manque de représentation berbère dans les échelons supérieurs du gouvernement et revendiquent le droit de créer un parti politique amazigh. Ils décrient la marginalisation économique des zones rurales berbérophones et appellent à un investissement soutenu de l’État dans les infrastructures. Ils demandent la protection des terres tribales contre l’expropriation continue par les agents de l’État et les spéculateurs privés, identifiant la terre, comme la langue, comme une partie essentielle de l’identité berbère.

Enfin, ils demandent l’institution de Tamazight comme matière obligatoire dans toutes les écoles, et pas seulement celles fréquentées par des élèves majoritairement berbérophones. La situation actuelle de l’enseignement linguistique, insistent-ils, ne fera qu’assurer la disparition de la langue berbère et la marginalisation accrue des berbérophones ruraux.

Pour Boukous, la problématique de l’enseignement de Tamazight et comme suit : [xlviii]

‘’L’enseignement des langues non standard en contexte plurilingue et pluridialectal connaît des problèmes linguistiques et sociolinguistiques qu’il convient de résoudre pour produire un enseignement/apprentissage de qualité. Les pays en développement sont généralement confrontés à ces problèmes et, selon Bijeljac-Babic (1985), peu parviennent à leur trouver des solutions adéquates. La problématique posée ici est principalement relative à la gestion de la variation dans l’enseignement des langues non standardisées, en termes d’ingénierie pédagogique et d’ingénierie linguistique.’’

Quant à la solution/les solutions il envisage ce qui suit :

‘’Quoique l’enseignement de l’amazighe au Maroc soit récent et qu’il soit confronté à des contraintes au niveau de son opérationnalisation, l’évaluation de cette expérience peut se révéler riche et instructive pour les chercheurs et les praticiens dans le domaine des sciences de l’éducation, notamment les pédagogues, les didacticiens et les sociolinguistes de l’éducation. Sur le plan de la politique éducative, à l’épineuse question de l’enseignement des langues nationales ou régionales non standardisées, notamment dans les pays en développement, l’expérience marocaine fournit une réponse originale qui s’écarte du modèle du pontage (bridging) selon lequel l’enseignement de la langue maternelle prépare le lit de la langue d’enseignement, généralement une langue étrangère, maîtrisée seulement par les élites. La solution adoptée au Maroc a aussi le mérite de s’inscrire dans une vision citoyenne de l’éducation (SkuttnabbKangas et Philippson, 1994 ; Boukous, 2001, 2005). Sur le plan proprement sociolinguistique, les solutions adoptées dans le cas de l’enseignement de l’amazighe sont intéressantes en ce qu’elles tentent de gérer l’alternative suivante : enseignement des dialectes ou enseignement d’une langue standardisée qui ne soit pas un monstre linguistique. La gestion de ce dilemme est rendue possible par l’adoption d’une approche qui consacre la « polynormativité » aux dépens d’une approche réductrice conduisant à l’appauvrissement des composantes de la langue amazighe, c’est-à-dire une approche qui met en œuvre une démarche intégrative et cumulative des convergences et des différences linguistiques.’’

Conclusion

La démocratie est un exemple classique du concept  » essentiellement contesté (‘essentially contested’) », [xlix] puisqu’il n’y a pas, et il n’y aura probablement pas, de consensus final sur sa définition ou son contenu. Néanmoins, il existe certaines caractéristiques de la démocratie qui font l’objet d’un consensus significatif et le monde possède d’innombrables exemples de pratiques démocratiques qui ont existé sur de longues périodes et qui se sont étendues à de vastes espaces géographiques. L’idée que la démocratie est une forme de gouvernance fondée sur un certain degré de souveraineté populaire et de prise de décision collective reste largement répandue et incontestée.

Les définitions procédurales de la démocratie, présentées notamment dans l’ouvrage de référence de Robert Dahl (1971), Polyarchy, [l] comprennent deux dimensions : la contestation et la participation. La contestation rend compte de la concurrence pacifique nécessaire à la règle démocratique, un principe qui présume de la légitimité d’une certaine opposition, le droit de contester les décisions de l’autre, la protection des libertés jumelles d’expression et d’association, l’existence d’élections libres et équitables, et un système de contrôle de la qualité. La participation englobe l’idée de souveraineté populaire, qui suppose la protection du droit de vote ainsi que l’existence du suffrage universel.

Les définitions libérales de la démocratie maintiennent les préoccupations concernant la contestation et la participation, mais ajoutent des références plus explicites à la protection de certains droits de l’homme. Les définitions libérales incluent une dimension institutionnelle qui saisit l’idée de souveraineté populaire, et comprennent des notions de responsabilité, de contrainte des dirigeants, de la représentation des citoyens et de la participation universelle. [li]

À l’époque contemporaine, aucun État n’a jamais existé avec une majorité et une identité amazighes claires qui se soient consolidées dans le temps ou qui aient reçu une reconnaissance générale du reste des pays. Cela ne signifie pas, cependant, que des tentatives pour les créer n’ont pas été faites. De 1921 à 1926, les tribus rifaines ont proclamé la République du Rif dans le nord du Maroc, qui était alors un protectorat espagnol. En guerre contre l’Espagne durant toute son existence, elle a été liquidée par le pouvoir colonial. En 2012, un groupe de Touaregs et d’Arabes du nord du Mali a proclamé l’indépendance de l’État de l’Azawad. La nouvelle entité politique a duré quelques mois avant d’être détruite par une coalition de mouvements armés islamistes.

Manifestation de soutien au Hirak à Rabat en juin 2017

Le peuple amazigh s’est auto-organisé dans d’autres instances, en dehors de ces deux tentatives de création d’État. Parmi les plus remarquables aujourd’hui, on peut citer les quatre suivantes :

  • Assemblée mondiale amazighe (AMA) est une institution qui vise à défendre, promouvoir et développer les droits des peuples autochtones, en particulier Amazighs, et aussi la reconnaissance officielle de l’identité, de la culture et de la langue Amazighes, dans les différents pays de Tamazgha. Elle a été fondé le 11/12/2011.
  • Le Congrès mondial amazigh (CMA) rassemble des représentants des pays à population amazighe, dans le but d’unir leurs voix sur la scène internationale pour promouvoir leurs droits politiques, sociaux, culturels et linguistiques. Il a tenu son premier congrès en 1997.
  • En Libye, en proie à l’agitation gouvernementale depuis la disparition du régime du dictateur Kadhafi, le Conseil suprême amazigh regroupe plusieurs conseils locaux amazighs.
  • Le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) a établi à Paris en 2010 un gouvernement provisoire en exil, également connu sous son nom amazigh, Anavad. Il milite pour l’indépendance totale de la Kabylie et est déclaré comme organisation terroriste par le régime des militaires algériens pan-arabistes.

Si les mouvements politiques et culturels amazighs partagent un consensus sur l’unité culturelle et linguistique du monde amazigh, son unité politique et la considération des Amazighs comme une nation sont plus controversées. Une partie du mouvement amazigh défend le concept du peuple amazigh comme une seule nation vivant sur un territoire plus ou moins défini -Tamazgha-, tandis qu’une autre partie soutient que chacune des grandes régions de Tamazgha sont des nations séparées par elles-mêmes, ayant leurs propres projets politiques distincts – c’est surtout vrai pour les mouvements de souveraineté kabyle et touareg. Dans ce dernier cas, la notion de  » peuples amazighs « , plutôt que  » le peuple amazigh « , est parfois utilisée. [lii]

Des notes de fin de texte :


[i] ‘’Tribalism: the backbone of the Moroccan nation”, The Journal of North African Studies, 4:2, 1999, pp. 6-22, DOI: 10.1080/13629389908718358

[ii] Gellner, Ernest & Charles Micaud, eds. Arabs and Berbers: From Tribe to Nation in North Africa. Lexington, Mass.: D. C. Heath and Co., 1972.

[iii] Montagne, Robert. The Berbers. Their Social and Political Organisation. London : Routledge, 1973 (2020). Initialement publié en 1931.

La France est entrée dans le monde nord-africain en 1830. Son rôle politique manifeste y a pris fin en 1962. L’interpénétration des cultures et des langues qui a résulté de la conquête coloniale n’est pas encore terminée. Un moment viendra sans doute où il faudra dresser le bilan intellectuel de cette époque. Le nom de Robert Montagne figurera alors en tête de la liste des Français qui ont étudié la société berbère. L’éclat de ses idées, la rigueur et la perspicacité de sa documentation, l’étendue de sa vision historique et comparative, la simplicité et la vigueur de son style (ce qui n’est pas toujours le cas dans les ouvrages savants sur l’Afrique du Nord), tout concourt à montrer que nous avons là un penseur et un observateur social de tout premier plan, qui mériterait d’être beaucoup plus connu qu’il ne l’est actuellement en dehors du monde francophone.

Publié à l’origine en 1931 et réédité en 1973, ce livre présente les découvertes de Robert Montagues sur le monde berbère, apportant une contribution majeure à la compréhension de l’Islam et de l’Afrique. Les étudiants des civilisations préindustrielles et des sociétés tribales, ainsi que toute personne concernée par le Moyen-Orient ou l’Afrique, apprécieront ce texte.

[iv] Zartman, I. William. “The Elusive Berber”, Africa Today, vol. 21, no. 1, Indiana University Press, 1974, pp. 83–87, http://www.jstor.org/stable/4185379.

[v] Chtatou, Mohamed. ‘’Réflexions sur les classes sociales marocaines’’, Le Monde Amazigh, 23 janvier 2020. https://amadalamazigh.press.ma/fr/reflexions-sur-les-classes-sociales-marocaines/

[vi] Chtatou, Mohamed. ‘’ Aspects du leadership et de la démocratie chez les Amazighs du Maroc’’, Le Monde Amazigh, 15 juin 2019. https://amadalamazigh.press.ma/fr/aspects-du-leadership-et-de-la-democratie-chez-les-amazighs-du-maroc/

[vii] Hart, David M.  Dadda ՙAtta and his Forty Grandsons. The Socio-Political Organisation of the Air ՙAtta of Southern Morocco. Cambridgeshire, U.K.: Middle East and North African Studies Press, 1981.

[viii] Chtatou, Mohamed. ‘’Ben Abdelkrim Al-Khattabi dans la tradition orale des Gzennaya’’, Awal 14, 1996.

[ix] Hart, David M. The Ait ‘Atta of Southern Morocco: Daily Life and Recent History. Cambridgeshire, U.K.: Middle East & North African Studies Press, 1984.

[x] Hart, David M. The Moroccan Rif – The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History. (Viking Fund Publications in Anthropology No. 55). Tucson: University of Arizona Press, for Wenner–Gren Foundation, 1976.

[xi] Hart, David M. “Scratch a Moroccan, Find a Berber,” The Journal of North African Studies 4, no. 2, 1999, p. 26.

[xii] Gellner, Ernest. Saints of the Atlas. London: Weidenfeld and Nicolson, 1969, p.35.

[xiii] Montagne, Robert.  Les Berbères et le Makhzen dans le sud du Maroc. Paris : Félix Alcan, 1930.

’Les Berbères et le Makhzen porte à son sommet la science coloniale et apparaît comme le point de départ de la théorie segmentaire de la sociologie contemporaine. Le modèle segmentaire permettra de poser l’existence d’un autre paradigme que celui de l’homo aequalis de la civilisation industrielle occidentale et de l’homo hierarchicus identifié à l’espace indien. Il constitue un apport essentiel de l’orientalisme arabisant à la sociologie’’, Henry Laurens, ‘’L’orientalisme français : un parcours historique’’, in Youssef Courbage et Manfred Kropp (dir.). Penser l’Orient. Beyrouth, Liban : Institut français du Proche-Orient / Orient Institut (Beirut), ‘’Contemporain publications’’, no 16, 2004, pp. 103-128.

[xiv] Gellner (1969), op. cit., p.90.

[xv] Gellner (1969), op. cit., p.26.

[xvi] Entre octobre 1958 et février 1959, les campagnes du Rif central ont été secouées par une révolte, qui est généralement désignée sous le terme générique d’’’événements du Rif’’. La répression massive de cette révolte a été terrible, comme l’ont reconnu les autorités publiques elles-mêmes à travers l’IER. Sur ces événements voir : Waterbury (1975) ; Monjib (1992) ; Hart (1976) ; Nahhass (2014).

[xvii] Harzoune, Mustapha. ‘’Notes sur les kabyles et la laïcité’’, Hommes et Migrations, n°1218, Mars-avril 1999. Laïcité mode d’emploi, 1999, pp. 22-27.

DOI : https://doi.org/10.3406/homig.1999.3291

[xviii] https://yassine.net/biography/fr/1996/12/05/1996-dialogue-avec-un-ami-amazigh/

[xix] https://www.yabiladi.com/forum/l-amazighite-mauvaise-ihssane-2-637689.html

[xx] Shirk (arabe : شِرْك, action d’associer, d’où associationnisme), est un mot qui, en islam, se réfère au fait d’associer à Allah, le Dieu unique, d’autres dieux ou d’autres puissances ou divinités, leur accordant ainsi l’adoration qui n’est due qu’à Allah seul.

[xxi] Aksikas, J. Arab Modernities: Islamism, Nationalism, and Liberalism in the Postcolonial Arab World. New York, NY: Peter Lang, 2009, p. 121.

[xxii] Tozy, Mohamed. ‘’L’évolution du champ religieux marocain au défi de la mondialisation’’, Revue internationale de politique comparée, vol. 16, no. 1, 2009, pp. 63-81.

[xxiii] Chafik, Mohamed. “Chafik’s speech’’, Le Monde Amazigh, 59, 2005b, p. 5.

[xxiv] Pour ce qui est de l’intérêt militaire espagnol en Afrique, voir Balfour, S. & P. La Porte. ‘’Spanish Military Cultures and the Moroccan Wars, 1909-36’’, European History Quarterly, 30, 2000, pp. 307-332. Iglesias Amorín, A. ‘’La cultura africanista en el Ejército español (1893-1975)’’, Pasado y Memoria, 15, pp.  99-122.

[xxv] Gajate Bajo, M. ‘’Las campañas De Marruecos Y La opinión Pública. Una Puesta Al día’’, Hispania, vol. 79, n.º 263, décembre 2019, pp. 727-56, doi:10.3989/hispania.2019.018.

L’objectif de cet article est d’offrir une vue panoramique et critique des progrès académiques réalisés dans l’analyse de l’impact public des campagnes hispano-marocaines. L’opinion du secteur militaire sur la mise en place complexe du Protectorat hispano-français au Maroc (1912) et sur les campagnes de guerre traumatisantes qui l’ont accompagnée était assez bien connue, surtout après les célèbres défaites de Barranco del Lobo (1909) et d’Anoual (1921). Au cours des dernières décennies, cependant, des progrès ont été réalisés dans la compréhension de la position des civils sur ces mêmes événements. Enfin, une perspective plus large confirme que l’étude de l’opinion publique – son développement, ses changements et ses divisions – est un terrain de plus en plus fertile et propice à l’analyse historiographique, avec un large éventail d’approches et de méthodologies.

[xxvi] Chtatou, Mohamed. “Bin –Abd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya,” in Tribe and State: Essays in Honour of David Montgomery Hart, ed. Joffé, E. G. H. & C. R.Pennell. Middle East and North Africa Studies Press, 1991, pp. 182–212.

[xxvii] Ayache, G. Les origines de la guerre du Rif. Paris & Rabat : Société Marocaine des Éditeurs Réunis & Publications de la Sorbonne, 1981.

[xxviii] Campos Martínez, José M. Abd-el-Krim y el Protectorado. Malaga : editorial Algazara, 2000.

[xxix] Messari, Nizar.’’L’utilisation des armes chimiques pendant la guerre du Rif (1921-1926) ou de l’ambiguïté des frontières et des séparations en politique’’, Cultures & Conflits, Forum, 25 avril 2014.  http://journals.openedition.org/conflits/18827

[xxx] Voir à ce propos le communiqué officiel du Premier ministre espagnol, ‘’España condena enérgicamente el uso de armas químicas en Siria’’ 27 août 2013. (http://www.lamoncloa.gob.es/ServiciosdePrensa/NotasPrensa/MAE/2013/270813-siria.htm

[xxxi] Madariaga, M. R. & Lazaro Avila C. ‘’La guerre chimique dans le Rif (1921-1927) : état de la question’’, Raha, R., Charqui M. & el Hamdaoui A. (eds.). La Guerre Chimique contre le Rif. Rabat : Les Editions Amazigh, 2005, pp. 9-50 (publié auparavant sous le titre ‘’Guerra quimica en el Riff, 1921-1927’’, Historia, vol. 16, n° 324, 2003, pp. 50-87).

[xxxii] Hart, David Montgomery. ‘’Clanes, linajes, comunidades locales y luchas en una tribu rifeña (Ait Uriaguel, Marruecos)’’, in Hart, David Montgomery y Raha Ahmed, Rachid (eds.). La sociedad bereber del Rif marroquí. Sobre la teoría de la segmentariedad en el Magreb. Granada : Editorial Universidad de Granada y Diputación Provincial de Granada, 1999. http://www.tifraznarif.net/pdf/livres/2017/sociedad%20bereber.pdf

[xxxiii] Balfour S. Deadly Embrace. Morocco and the Road to the Spanish Civil War. Oxford : Oxford University Press, 2002.

[xxxiv] Wanaïm, Mbarek. ‘’La France et Abdelkrim : de l’apaisement politique à l’action militaire (1920-1926)’’, Cahiers de la Méditerranée, 85, 2012. http://journals.openedition.org/cdlm/6780 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.6780

[xxxv] Madariaga, Rosa. Abd-El-Krim El Jatabi : la lucha por la independencia. Madrid : Alianza Editorial, 2009.

[xxxvi] Tahtah, Mohamed. Entre pragmatisme, réformisme et modernisme. Le rôle politico-religieux des Khattabi dans le Rif (Maroc) jusqu’à 1926. Rotterdam, 1995. http://www.tifraznarif.net/pdf/livres/2017/pragmatisme.pdf

[xxxvii] https://www.yabiladi.com/articles/details/61642/histoire-lorsque-mohamed-abdelkrim-el-khattabi.html

[xxxviii] ‘’Abd El-Krim (1882-1963). Le stratège de la guerre du Rif’’, Le Monde diplomatique, https://www.monde-diplomatique.fr/mav/86/A/52519

[xxxix] Woolman, David S. Abd-el-Krim y la Guerra del Rif. Barcelona: editorial Oikos-Tau S.A., 1988. (Version originale: Rebels in the Riff. Abd El Krim and the Riff Rebellion. Redwood City, California: Standford University Press, 1968.)

[xl] Pennell, C.R. Country with a Government and a Flag: The Rif War in Morocco, 1921-1926. Boulder, Colorado : Lynne Rienner Publications. 1986.

[xli] Gabrielli, Léon. Abd-El-Krim et les événements du Rif (1924-1926). Casablanca : Éditions Atlantides, 1953.

[xlii] Hernández Mir, Francisco. Del desastre a la victoria (1921-1926) Alianza contra el Rif. Madrid : Libreria Fernando Fe, 1926.

[xliii] Roger-Mathieu, J. Mémoires d’Abd-El-Krim. Paris : Librairie des Champs-Elysées, 1927.

[xliv] Le tertib est un impôt foncier sur les revenus agricoles, assis sur les récoltes annuelles, sur les arbres fruitiers et sur le cheptel, et basé sur la déclaration faite par les contribuables de leurs biens imposables.

[xlv] Klein, M. ‘’Le ‘tertib’, impôt agricole au Maroc’’, La revue marocaine de droit : revue mensuelle, Volume 8, Issue 5, 1956, pp. 203-212.

[xlvi] Pennell, C. R. “Ideology and Practical Politics: A Case Study of the Rif War in Morocco, 1921-1926.” International Journal of Middle East Studies, vol. 14, no. 1, Cambridge University Press, 1982, pp. 19–33, http://www.jstor.org/stable/163332.

[xlvii] Aidi, Hisham. ‘’Les blessures ouvertes du Rif’’, Multitudes, vol. 68, no. 3, 2017, pp. 10-18.

[xlviii] Boukous, A. (2007). L’enseignement de l’amazighe (berbère) au Maroc : aspects sociolinguistiques. Revue de l’Université de Moncton, Numéro hors-série, 2007, pp. 81–89. https://www.erudit.org/fr/revues/rum/2007-rum2172/017709ar.pdf

[xlix] Gallie, W.B. ‘’Essentially Contested Concepts’’, Proceedings of the Aristotelian Society, 51, 1956, pp. 167-198.

[l] Dahl, R. A. Polyarchy: Participation and Opposition. New Haven, CT: Yale University Press, 1971.

[li] Ennaji, Moha, ed. Multiculturalism and Democracy in North Africa. Aftermath of the Arab Spring. London: Routledge, 2014. https://doi.org/10.4324/9781315817439

En étudiant les liens entre le multiculturalisme, les minorités, la citoyenneté et la démocratie en Afrique du Nord, ce livre soutient que le multiculturalisme dans cette région – et dans le monde arabe en général – a atteint un niveau significatif en termes d’échelle et d’importance.

Dans le reste du monde, on observe une tendance – bien que contestée – à une plus grande reconnaissance des droits des minorités. Le monde arabe, et plus particulièrement l’Afrique du Nord, semble toutefois faire exception à cette tendance, car les États arabes continuent de promouvoir des idées très unitaires et homogénéisantes de la nation et de l’unité de l’État, tout en décourageant, voire en interdisant, la mobilisation politique des minorités. Le postulat théorique central de ce livre est que l’Afrique du Nord est une région multiculturelle, où la culture est intrinsèquement liée à la politique, à la religion, au genre et à la société, et un lieu où la démocratie prend progressivement racine malgré de nombreux obstacles politiques et économiques.

Comblant les lacunes de la littérature sur cette question, ce livre ouvre de nouvelles voies de réflexion et de recherche sur la diversité, en liant les politiques fondées sur la différence culturelle à la culture démocratique et à la justice sociale. Multiculturalisme et démocratie en Afrique du Nord sera utile aux étudiants et aux chercheurs qui s’intéressent à la sociologie, aux études culturelles et, plus largement, aux sciences politiques.

[lii] Sami Esselimani, Sami; Mustafa Sagsan& Sevki Kiralp. « E-Government Effect on Participatory Democracy in the Maghreb: Indirect Effect and Government-Led Participation », Discrete Dynamics in Nature and Society, vol. 2021, Article ID 6642998, 13 pages, 2021. https://doi.org/10.1155/2021/6642998


Dr. Mohamed Chtatou

Professeur universitaire et analyste politique international

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