Moha ou Hammou Azayi sous un nouvel éclairage
Dans le cadre de ses activités scientifiques, le Centre des Etudes Historiques et Environnementales a organisé une table ronde pour présenter l’ouvrage de Mme Fatima Amahzoune intitulé : Moha Ou Hammou Zayani Amahzoune : La saga d’un grand guerrier (1857-1921), en présence de son auteure. Le livre a été présenté par M. Ali Bentaleb Directeur du Centre des Etudes Historiques et Environnementale, et M. Hammou Belghazi sociologue au Centre des Etudes Anthropologiques et Sociologiques. La modération a été assurée par M. Moha Moukhlis du Département de communication, et ce, le jeudi 11 mai 2023 à 15H00, à la salle du Conseil d’administration, siège de l’IRCAM. Nous publions, ci-après, l’intervention du chercheur sociologue Hammou Belghazi.
C’est avec un grand plaisir et beaucoup d’attention que j’ai lu l’ouvrage de Fatima Amahzoune, dédié à son grand-père Moha u Hammou Azayi (1857-1921), une figure emblématique du Moyen-Atlas et une personne fascinante de l’histoire du Maroc contemporain.
Je dois dire que ce livre de 346 pages est une contribution précieuse à la mise en lumières de certains aspects de l’histoire et de la culture locales amazighes. Mme Amahzoune y traite un ensemble de faits et d’événements survenus dans le Moyen-Atlas et étalés sur une période assez longue, pratiquement un siècle. C’est-à-dire avant, pendant et après la colonisation.
Les événements historiques et les faits socio-culturels abordés dans cet ouvrage sont le produit d’actions parfois combinées, parfois opposés. Des actions accomplies par des individus (Moha u Hammou et les membres de son lignage), des groupes (tribus et confédérations tribales) et des institutions officielles (Makhzen et protectorat).
Sur la plupart de ces événements et de ces faits, l’ouvrage contient énormément de données. Son auteure descend très souvent dans le détail, vers l’infiniment petit. Un tel foisonnement n’est pas dû au hasard. Il s’explique par la diversité des sources d’information mobilisées pour la confection du livre. On y trouve des sources écrites et des sources orales.
Les sources écrites consistent en livres, articles de fonds et de presse, archives, correspondances et dahirs sultaniens… Les sources orales sont composées de poèmes, de récits légendaires, de proverbes, d’anecdotes, de blagues et de témoignages.
A ces diverse sources d’informations s’ajoutent, pour illustration, des cartes géographiques, des tableaux généalogiques, des photographies et des épitaphes.
La collecte et l’exploitation de toutes ces données, notamment des témoignages, montrent la qualité du savoir-faire de l’auteure en matière d’enquête de terrain. Les résultats de ses recherches font voir sous un autre jour une série d’événements et faits historiques dont le plus imposant est évidemment la célèbre bataille de Lehri, près de Khenifra. Bataille où Moha u Hammou et son « armée » de valeureux guerriers ont fait subir un échec cuisant à aux forces de l’occupation, une première dans l’histoire de la guerre coloniale française.
Par ailleurs, l’ouvrage de F. Amahzoune repose sur une description et une analyse d’ordre socio-anthropologique des faits sociaux et culturels abordés, à savoir l’hospitalité, les arts culinaires, le costume, le tapis, les fêtes, l’ascendance et la religion. Ces axes ou ces thèmes, d’après une enquête personnelle, réalisée en 2012, sont les critères par lesquels les Imazighen de la région de Zemmour et du Moyen-Atlas définissent leur identité culturelle.
Outre l’enquête de terrain, le livre se caractérise par une dimension ethnographique de qualité. L’auteure a réalisé une description minutieuse de l’habitat, de la répartition des tâches, une description des bijoux, des ustensiles de cuisine, de la préparation et du contenu des repas, de l’éducation des enfants, du réseau relationnel intra- et interlignager, de la conduite de l’Amghar et de ses descendants, etc. Sur ce plan, le livre est une source d’informations pour les chercheurs en sociologie et anthropologie.
Ce qui est aussi frappant dans ce texte, c’est le souci de l’auteure d’être objective. En effet, son objectivité se manifeste dans diverses situations, même dans le cas de ses proches. Lorsque Fatima Amahzoune brosse le portrait d’un oncle ou d’un cousin, elle relate ses actions louables et ses actions blâmables. Mais qui dit objectivité, dit subjectivité
On ne peut parler de l’une sans évoquer l’autre. Ce sont deux choses liées comme le sont l’ordre et le désordre. Dans ce livre, le lecteur trouvera des passages subjectifs. En un sens, la subjectivité de l’auteure est tout à fait normale, voire légitime. Légitime dans la mesure où l’objet de l’ouvrage s’inscrit dans le cadre de la démarche qu’on appelle en socio-anthropologie la méthodologie des proches.
Cette méthodologie consiste à traiter les objets de recherche de l’intérieur. C’est en fait une méthode qui permet d’avoir accès à un maximum de données et d’informations spontanées et fiables. Cette manière de procéder est l’un des points forts du livre. Celui-ci, à ma connaissance, est le premier travail dans son genre sur Mouha u Hammou Azayi.
Sur le plan de la forme, l’ouvrage se caractérise par un style plaisant à lire ; un style attractif, dynamique et soutenu. Plus encore, un style ponctué de d’expressions ou de paragraphes relatant des situations comiques, parfois satiriques. Ce qui détend la lourde atmosphère que produit le récit des événements tragiques de l’époque, au premier rang desquels se place la tragédie de Lehri.
En somme, le livre de Fatima Amahzoune, après lecture, se révèle être riche de données et de renseignements sur le système sociétal du Moyen-Atlas, à travers la saga de Mouha u Hammou Azayi. C’est un ouvrage qui peut beaucoup apporter pour les chercheurs en sciences sociales, qui s’intéressent à l’étude de l’histoire et de la culture amazighes.
HAMMOU BELGHAZI (Chercheur à l’IRCAM)