La glorieuse Bataille d’Anoual et la Guerre du Rif, cent ans après
La Guerre du Rif n’était ni une « petite guerre » parmi d’autres, ni une bataille de type Première Guerre mondiale ; c’était un des premiers exemples de guerre irrégulière et asymétrique moderne. L’armée française a dû synthétiser sa guerre coloniale et son art opérationnel scientifique pour vaincre les Rifains.
Il faut dire que les experts en tactiques de guérilla rifains ont merveilleusement tiré parti des armes modernes et de la propagande sachant pertinemment que les partisans de Ben Abdelkrim étaient à la fois les adeptes des guerriers amazighs et les précurseurs des combattants révolutionnaires modernes. Par conséquent, la Guerre du Rif (1921-1926) fournit incontestablement des informations utiles pour les combattants contemporains, en particulier en ce qui concerne la conduite simultanée d’opérations militaires, politiques et communicationnelles.
Il y a cent ans de cela débutèrent au Maroc chérifien les événements qui conduisirent à la Guerre du Rif (1921-1926), une guerre de décolonisation, d’indépendance et d’émancipation qui ébranla, sans aucun doute, un ordre mondial crée par l’homme blanc pour le confort de l’homme blanc. Jusqu’à sa défaite en 1926 après une jonction des forces coloniales espagnoles et françaises, Ben Abdelkrim a eu le mérite de tenir la dragée haute aux puissances coloniales européennes avec une poignée d’hommes décidés à en découdre avec les envahisseurs européens. L’aspect de ses affrontements sanguinaires qui, connurent pour la première fois l’usage des armes chimiques par les Européens, sans vergogne, et leurs lendemains incertains ont marqué le 20ème siècle et perdurent encore tant que le Maroc n’a pas reçu de d’excuses officielles et de dédommagements de l’Espagne et de la France pour entamer réellement une ère de réconciliation.
Le colonialisme existe, certes, toujours aujourd’hui dans une forme économique insidieuse mais très virale. Toutefois, l’âme de l’émir Ben Abdelkrim est toujours parmi nous ainsi que son sentiment de lutte acharnée contre l’injustice et la subjugation.
Dans ce sens, Ghita Zine écrit dans Yabiladi : [i]
““Pour nous la Bataille d’Anoual n’est pas encore terminée, parce qu’elle est intimement liée à une question de mémoire qui s’étend au temps présent “, a affirmé Boutayeb. “Nous demandons réparation de ce qui a été fait et de ce qui a suivi la bataille, à savoir les bombardements chimiques. Cette question n’a pas non plus eu réponse à ce jour“, nous dit le spécialiste. C’est dans ce contexte que le militant travaille sur la création d’une Commission de vérité et de justice, regroupant des membres marocains et espagnols, sur la base du principe de la justice transitionnelle. Cette commission “va être créé sur la base de la Déclaration de Tanger faite à l’occasion et sur la base méthodologique de la justice transitionnelle entre Etats, sur laquelle nous avons travaillé la semaine dernière lors d’une rencontre à la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc (BNRM), avec la participation aussi d’Espagnols qui veulent adhérer “, nous a encore déclaré le spécialiste. “
Protectorat espagnol de 1912
En comparaison au Maroc français, l’Espagne se voyait attribuer non seulement un territoire relativement petit, mais également caractérisé par un terrain aride et infertile et habité par une population rebelle et indomptable. En effet, tout s’est dégradé à partir de 1909. Les rivalités complexes existantes, combinées à la pénétration des capitaux européens, ont donné lieu à des affrontements localisés et finalement à une rébellion de grande ampleur qui devait durer près de vingt ans.
Au niveau de la péninsule ibérique, les effets ont été extrêmement importants. L’agitation ouvrière et la colère contre le régime s’intensifièrent. Avec les souvenirs encore frais de 1898, l’appel des réservistes de la classe ouvrière pour devenir les plieurs de canon des nouvelles ambitions impérialistes a été accueilli par des émeutes qui ont atteint leur apogée lors de la « semaine tragique » de Barcelone en été 1909.
Avec l’agitation populaire croissante et l’émergence du nationalisme régional, les militaires espagnols sont de plus en plus sollicités pour servir de garde prétorienne à l’ordre social dominant. Dans le même temps, une nouvelle génération d’officiers jeunes et dynamiques, bientôt connus sous le nom d’Africanistas, a vu l’occasion de contourner l’échelle bureaucratique du corps d’armée gonflé pour obtenir une promotion rapide en faisant preuve de mérite sur le champ de bataille marocain. Cependant, le favoritisme royal, le népotisme et la corruption avec lesquels les médailles et les honneurs sont décernés à ces officiers provoquent la colère de ceux qui vivent en Espagne continentale. Cela marque le début de fissures internes au sein d’une armée espagnole aliénée et aigrie. Enfin, alors que les campagnes marocaines deviennent un cauchemar sans fin pour les différents gouvernements espagnols, conscients de l’impopularité dont ils font l’objet dans leur pays, ils continuent à les sous-financer et les dissimulent pratiquement à l’opinion publique.
Les positions espagnoles dans le nord de l’Afrique remontent au XVe siècle et au XVIe, lorsque la Couronne de Castille a pris possession de Ceuta et Melilla, entre autres. À partir du XIXe siècle, la faiblesse du sultanat du Maroc a provoqué l’intervention – militaire et administrative – des puissances européennes, dont l’Espagne. Après la bataille de Castillejos contre les troupes marocaines en 1860, l’Espagne signe avec le Maroc le traité d’Oued Ras, par lequel les territoires de Ceuta et Melilla sont étendus entre autres compensations. Loin de parvenir à une paix durable, les révoltes et les flambées de violence se poursuivent. En 1906, la France et l’Espagne divisent définitivement le Maroc en zones d’influence par la conférence d’Algésiras. L’Espagne établit son protectorat par le traité de Fès (1912), qui durera jusqu’en 1956.
En 1912, le protectorat espagnol au Maroc devient officiel ; une zone située au nord du pays est cédé par l’administration coloniale française. Cette zone comprend la région montagneuse du Rif (nord-est du pays) et la région voisine de Jebala, qui se révolte contre les colonisateurs. De violentes révoltes avaient commencé à se produire des années auparavant, à l’arrivée des troupes espagnoles. Pour mater les rebelles, le gouvernement espagnol du président de l’époque, Antonio Maura, a ordonné l’envoi de troupes supplémentaires sur cette ligne de front inhospitalière ; certaines étaient volontaires et d’autres, enrôlées de force – surtout parmi les classes inférieures – ce qui a provoqué des troubles dans la population, comme en témoigne la Semaine tragique de Barcelone (1909).
Au sujet du protectorat espagnol, Mimoun Aziza écrit : [ii]
“Il s’est avéré dès le départ que l’Espagne ne pourrait avoir qu’un rôle secondaire au Maroc. Pour l’opinion publique espagnole cette expérience coloniale a toujours été considérée comme un problème et une source de conflit. Les réactions en métropole contre ce qu’on a appelé la guerre du Maroc sont directes et violentes. La mobilisation anticolonialiste du mouvement ouvrier et la rébellion populaire de la » Semana Trágica » à Barcelone et dans d’autres villes catalanes démontrent clairement que le peuple espagnol dans sa majorité était contre l’implication de l’Espagne dans l’aventure coloniale. Les partis de gauche notamment les socialistes s’opposaient farouchement à cette intervention, du fait que leur pays a besoin de ces sommes d’argent pour se développer. « C’est, disaient-ils en pillant les douars, en détruisant les hameaux que l’Espagne est en train d’imposer en Afrique la civilisation qui rapporte tellement de profit aux capitalistes de tous bords ». “
L’inefficacité de ces troupes mal dirigées aboutit au Désastre d’Anoual (Desastre de Annual), [iii] en juillet 1921, où les pertes espagnoles se chiffrent en milliers et où le général qui les commandait, Manuel Fernández Silvestre, meurt au combat, selon la version officielle. Le leader du Rif, Ben Abdelkrim al-Khattabi, déclara la République du Rif. Le conflit reflète les carences de l’armée espagnole, avec des troupes mal organisées et peu motivées, comme le démontre le rapport du général Juan Picasso (« Dossier Picasso« ), et donne lieu à la création de la Légion espagnole en 1920. En outre, la mauvaise gestion politique de ces événements a favorisé l’instauration de la dictature du général Miguel Primo de Rivera (1923-1930).
Au sujet de l’enquête du général Juan Picasso (« Dossier Picasso« ) sur les responsabilités du Désastre d’Anoual, Julio Martin Alarcon écrit dans El Mundo : [iv]
““J’accuse le général Berenguer de négligence, le général Silvestre d’imprudence et le général Felipe Navarro d’incompétence pour ses responsabilités de haut-commissaire d’Espagne au Maroc, de commandant général de Melilla et de commandant en second de Melilla, respectivement, au cours d’une série d’actions militaires dans le Rif avant et pendant l’abandon de la position d’Annual et la retraite douloureuse et la reddition du fort de Monte Arruit qui s’ensuivit, entre fin juillet et début août 1921, au cours desquelles environ 12 000 hommes sont morts. “
L’enquête du général Juan Picasso sur les événements de l’année n’est pas terminée, mais l’acte d’accusation du procureur militaire José García Moreno basé sur cette enquête l’est. Le paragraphe résume la conclusion la plus essentielle : la catastrophe de l’Anoual est due à la négligence et à l’irresponsabilité du haut commandement. “
L’émir Ben Abdelkrim
Le conflit entre le peuple du Rif et les Espagnols a éclaté au cours de l’été 1921. Inspiré par les débats sur la réforme sociale et religieuse de l’Islam, Ben Abdelkrim rejette la domination française et espagnole et aspire à un État indépendant dans le Rif, qui éventuellement s’étendra au reste du Maroc, par la suite. [v]
« Je voulais faire du Rif un pays indépendant comme la France et l’Espagne, et fonder un État libre avec une souveraineté totale« ,
expliquait-il.
« Une indépendance qui nous assurait une liberté totale d’autodétermination et de gestion de nos affaires, et de conclure les traités et les alliances qui nous conviendraient.« [vi]
Leader charismatique, Ben Abdelkrim [vii] a recruté des milliers de Rifains dans une armée disciplinée et motivée. Les Rifains avaient le double avantage de se battre pour protéger leurs foyers et leurs familles des envahisseurs étrangers et de le faire sur leur propre terrain montagneux et traître. Entre juillet et août 1921, les forces de Ben Abdelkrim ont décimé l’armée espagnole au Maroc, tuant quelque 10 000 soldats et en faisant des centaines de prisonniers. L’Espagne envoie des renforts et, au cours de l’année 1922, parvient à réoccuper le territoire tombé aux mains des forces de Ben Abdelkrim. Cependant, les Rifains continuent de remporter des victoires contre les troupes espagnoles et parviennent à capturer plus de 20 000 fusils, 400 canons de montagne et 125 canons, qui sont rapidement répartis entre leurs combattants. [viii]
Le chef rifain rançonne ses prisonniers pour que les Espagnols subventionnent son effort de guerre. En janvier 1923, Ben Abdelkrim obtient plus de quatre millions de pesetas du gouvernement espagnol pour la libération des soldats faits prisonniers par les Rifains depuis le début de la guerre. Cette somme énorme a permis de financer les plans ambitieux de Ben Abdelkrim, qui souhaitait s’appuyer sur sa révolte pour créer un État indépendant. [ix]
En février 1923, Ben Abdelkrim jette les bases d’un État indépendant dans le Rif. Il accepte les promesses d’allégeance des tribus du Rif et assume le leadership politique en tant qu’émir (commandant suprême du Jihad) de la région montagneuse. [x] Les Espagnols ont répondu en mobilisant une autre force de campagne pour reconquérir le Rif. Entre 1923 et 1924, les Rifains infligent aux Espagnols un certain nombre de défaites, couronnées par la conquête de la ville montagneuse de Chefchaouen en automne 1924. Les Espagnols perdent encore 10 000 soldats dans cette bataille. De telles victoires donnèrent à Ben Abdelkrim et à ses légions rifaines plus de confiance que de prudence. Si les Espagnols pouvaient être vaincus si facilement, pourquoi pas les Français ? Erreur, les Français avait une armée coloniale aguerrie et plus d’expérience militaire sans oublier pour autant son matériel de guerre moderne et efficace.
La Guerre du Rif suscite une vive inquiétude en France. [xi] Lors d’une tournée de son front nord en juin 1924, Lyautey est alarmé de voir comment la défaite des forces espagnoles laisse les positions françaises vulnérables aux attaques des Rifains. Le Rif est une terre pauvre et montagneuse qui dépend fortement des importations de nourriture en provenance des vallées fertiles de la zone française. Lyautey doit renforcer la région située entre Fès et la zone espagnole afin d’empêcher les Rifains d’envahir la région pour assurer leurs besoins alimentaires.
Pour Romain Ducoulombier, Ben Abdelkrim a gagné cette guerre d’indépendance grâce à son sens inné d’organisation et son charisme démesuré : [xii]
“Abdelkrim gagne la guerre grâce à un redoutable outil militaire : il organise les bandes tribales traditionnelles autour d’un noyau de réguliers bien armés, bien encadrés et bien entraînés. Mais il manque la paix. Aucune puissance européenne, même vaincue comme le sont à nouveau les Espagnols en décembre 1924, lors du désastre de Chechaouen, ne peut accepter ce que demande Abdelkrim : « Nous considérons que nous avons le droit, comme toute autre nation, de posséder notre territoire, et nous considérons que le parti colonial espagnol a usurpé et violé nos droits, sans que sa prétention à faire de notre gouvernement rifain un protectorat ne soit fondée. […] Nous voulons nous gouverner par nous-mêmes et préserver entiers nos droits indiscutables ». La radicalité de sa déclaration des droits condamne la République du Rif à l’anéantissement. “
Impact
Lyautey retourne à Paris en août pour informer le premier ministre, Edouard Herriot, et son gouvernement de la menace que représente l’état insurrectionnel de Ben Abdelkrim. Cependant, les Français sont débordés par l’occupation de la Rhénanie et par la mise en place leur administration en Syrie et au Liban, et ne peuvent épargner ni les hommes ni le matériel que Lyautey estime être le minimum absolu pour préserver sa position au Maroc. Alors qu’il demande l’envoi immédiat de quatre bataillons d’infanterie, le gouvernement ne peut en réunir que deux. Conservateur de longue date, Lyautey sent qu’il n’a pas le soutien du gouvernement radical d’Herriot. Âgé de soixante-dix ans et en mauvaise santé, il retourne au Maroc sans avoir la force physique ou politique de contenir les Rifains.
En avril 1925, les forces de Ben Abdelkrim se tournent vers le sud et envahissent la zone française. Elles recherchent le soutien des tribus locales qui revendiquent les terres agricoles au sud du Rif. Les commandants de Ben Abdelkrim rencontrent les chefs de ces tribus pour leur expliquer la situation telle qu’ils la voient. “La guerre sainte avait été proclamée par Ben Abdelkrim pour chasser les infidèles, et notamment les Français, au nom de la plus grande gloire de l’Islam régénéré. » L’occupation de tout le Maroc par les forces de Ben Abdelkrim, expliquent-ils, « n’était plus qu’une question de jours. » Abdelkrim considère de plus en plus son mouvement comme une guerre de religion (Jihad) contre les non-musulmans qui occupent la terre musulmane, et il revendique le sultanat du Maroc dans son ensemble, et pas seulement la petite République du Rif.
Comme Lyautey l’avait craint, les Rifains envahissent rapidement ses terres agricoles du nord, mal défendues. Les Français sont contraints d’évacuer tous les citoyens européens et de retirer leurs troupes de la campagne vers la ville de Fès, avec de lourdes pertes. En deux mois seulement, les Français avaient perdu quarante-trois postes militaires et subi 1 500 morts et 4 700 blessés ou disparus au combat contre les Rifains.
En juin 1925, alors que ses forces campaient à seulement 40 kilomètres de Fès, Ben Abdelkrim a écrit aux érudits islamiques de la célèbre mosquée-université Qaraouiyyin de la ville pour les rallier à sa cause :
« Nous vous disons à vous et à vos collègues qui êtes des hommes de bonne foi et qui n’avez aucune relation avec les hypocrites ou les infidèles, de l’état de servitude dans lequel est plongée la nation désunie du Maroc », écrit-il.
Il accuse le Makhzen d’avoir facilement succombé aux pressions des Français et de s’entourer de fonctionnaires corrompus. Ben Abdelkrim demande aux chefs religieux de Fès de lui apporter leur soutien par devoir religieux.
Il s’agit d’un argument convaincant, présenté en termes théologiques solides, étayé par de nombreuses citations du Coran sur la nécessité du djihad. Mais les savants religieux arabes de Fès n’ont pas apporté leur soutien aux Amazighs rifains. Lorsqu’elle atteint les faubourgs de Fès, l’armée de Ben Abdelkrim se heurte au « Maroc utile », solidement contrôlé par les Français, créé par le système Lyautey. Confrontés à un choix entre l’aspirant mouvement de libération nationale du Rif et les instruments solidement établis de la domination impériale française, les érudits musulmans de Fès croyaient clairement que le système Lyautey était le plus fort des deux et le plus utile pour leurs intérêts personnels.
Le mouvement de Ben Abdelkrim s’est arrêté devant les murs de Fès en juin 1925. Si les trois piliers de la domination française dans les campagnes étaient les confréries musulmanes mystiques, les grands notables tribaux et les Amazighs, Lyautey en avait obtenu deux sur trois. « La plus grande raison de mon échec« , se disait plus tard Ben Abdelkrim, « était le fanatisme religieux« . L’affirmation est incongrue à la lumière de la propre utilisation de l’Islam par Ben Abdelkrim pour rallier le soutien à une guerre sainte contre les puissances impériales. Mais le leader rifain faisait en fait référence aux confréries mystiques musulmanes. « Les shaykhs des tariqas étaient mes ennemis les plus acharnés et les ennemis de mon pays à mesure qu’il progressait« , croyait-il. Il n’a pas eu plus de succès auprès des grands qaids. « J’ai d’abord essayé de rallier les masses à mon point de vue par l’argumentation et la démonstration, “ écrit Ben Abdelkrim, “mais j’ai rencontré une grande opposition de la part des principales familles puissamment influentes. » À une exception près, affirme-t-il, « les autres étaient tous mes ennemis« .
Dans leur opposition à Ben Abdelkrim, les grands qaids et les shaykhs des confréries avaient tous soutenu la domination française au Maroc comme Lyautey l’avait prévu. Quant aux Amazighs, Ben Abdelkrim et ses combattants rifains étaient eux-mêmes amazighs, ils ont poussé la politique de séparatisme amazighe de Lyautey plus loin que Lyautey lui-même ne l’avait jamais voulu. Ainsi, il ne fait aucun doute que l’identité amazighe des Rifains a contribué à décourager les Arabes marocains de se joindre à leur campagne contre les Français.
Bien que son système de gouvernement colonial ait tenu bon, Lyautey lui-même est tombé face au défi des Rifains. Pour ses détracteurs à Paris, le débordement de la Guerre du Rif dans le protectorat français prouvait l’échec des efforts de Lyautey pour obtenir la soumission totale du Maroc. Alors que d’importants renforts français inondaient le Maroc en juillet 1925, Lyautey, épuisé par des mois de campagne contre les Rifains et par une mauvaise santé, demanda qu’un autre commandant l’assiste. Le gouvernement français envoie le maréchal Philippe Pétain, héros de la bataille de Verdun pendant la Première Guerre mondiale, pour l’assister. En août, Pétain prend le contrôle des opérations militaires françaises au Maroc. Le mois suivant, Lyautey présente sa démission. Il quitte définitivement le Maroc en octobre 1925.
Ben Abdelkrim ne survit pas longtemps à Lyautey, non plus. Les Français et les Espagnols combinent leurs forces pour écraser l’insurrection rifaine. L’armée rifaine s’était déjà repliée sur ses terres montagneuses du nord du Maroc, où elle fut assiégée sur deux fronts par des armées françaises et espagnoles massives en septembre 1925. En octobre, les armées européennes avaient complètement encerclé les montagnes du Rif et imposé un blocus complet pour affamer les Rifains et les soumettre. Les efforts de Ben Abdelkrim pour négocier une solution ont été repoussés et, en mai 1926, les montagnes du Rif ont été envahies par une force européenne conjointe de quelque 123 000 soldats. La résistance rifaine s’effondre, surtout après l’usage massif des armes chimiques pour la première fois dans une guerre coloniale, et Ben Abdelkrim se rend aux Français le 26 mai 1926 pour éviter d’être exécuté par les Espagnols revanchards. Il est ensuite exilé sur l’île de la Réunion, dans l’océan Indien, où il reste jusqu’en 1947.
Avec la fin de la Guerre du Rif, la France et l’Espagne ont repris leur administration coloniale du Maroc sans être gênées par une nouvelle opposition intérieure. Bien que la Guerre du Rif n’ait pas engendré une résistance soutenue aux Français ou aux Espagnols au Maroc, Ben Abdelkrim et son mouvement ont stimulé l’imagination des nationalistes du monde arabe. Ils voyaient les Rifains comme un peuple arabe (et non comme des Amazighs) qui avait mené une résistance héroïque à la domination européenne et avait infligé de nombreuses défaites aux armées modernes pour défendre leur terre et leur foi. Leur insurrection de cinq ans (1921-1926) contre l’Espagne et la France a inspiré certains nationalistes syriens à monter leur propre révolte contre les Français en 1925.
Pour la gauche de par le monde Ben Abdelkrim était un héros international en lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et la droite fasciste. En quelque sorte il incarnait les idéaux de la gauche américaine et européenne, des luttes ouvrières socialistes ainsi que du communisme des pays de l’est. Cette idée est soutenue par William Dean dans son article intitulé : “ Des Américains dans la guerre du Rif“ : [xiii]
“Aux États-Unis, (particulièrement à gauche), Abd el-Krim était considéré comme un brave républicain nationaliste, opposant une résistance héroïque à une domination européenne rétrograde. Il était également le héros des gauches françaises et espagnoles et la Confédération générale du travail (CGT) lui avait manifesté sa solidarité en organisant une marche de protestation à Paris en novembre 1925. L’Union soviétique, Staline et le Kominterm lui exprimèrent aussi leur sympathie. Même s’ils devaient travailler pour le sultan, ce fut Paul Painlevé qui décida des grades de ces aviateurs américains (la plupart d’entre eux souhaitaient conserver leur grade porté pendant la Première Guerre mondiale). Le ministère de la Guerre assura le transport des hommes et des avions de la France au Maroc via l’Espagne et celui des Affaires étrangères adressa à Lyautey le dossier de chacun des membres de l’escadrille afin de limiter leur isolement administratif. Deux journalistes furent envoyés avec eux pour rédiger la propagande « profrançaise » et « proaméricaine » (ce sont exactement les mots employés dans le télégramme) à partir de leurs éventuels exploits héroïques. “
Les tactiques de guérilla de Ben Abdelkrim al-Khattabi auraient influencé plusieurs révolutionnaires de renom, tels que Ho Chi Minh et Mao Zedong. Il existe des preuves que Che Guevara a également utilisé au moins certaines des tactiques et méthodes conçues par les Rifains. Après tout, Alberto Bayo, l’entraîneur de guérilla très respecté du Che, avait combattu pendant sa carrière militaire pendant une période relativement longue contre les Rifains. Fidel Castro, un autre modèle pour le Che, mentionne dans sa biographie que la bataille d’Anoual, était indéniablement l’une des attaques les plus réussies contre les Espagnols lancés par Ben Abdelkrim en 1921. On prétend également que le Che a rencontré Ben AbdelKrim en 1959 au Caire. Fidel Castro ne mentionne pas qu’il a discuté avec le Che de ses lectures sur la guerre du Rif, mais il affirme clairement que Bayo avait l’habitude d’enseigner dans son camp les méthodes de guérilla qu’il avait apprises lors de ses missions au Maroc.
Cependant, ni Bayo ni le Che (ou leurs biographes) ne mentionnent que les tactiques enseignées pendant la formation des révolutionnaires de l’Amérique latine étaient celles de l’époque de la lutte de Ben Abdelkrim. La seule personne dont les deux hommes font l’éloge est le chef rebelle nicaraguayen Augusto César Sandino.
Les protagonistes de la Guerre du Rif
- Miguel Primo De Rivera
Dictateur espagnol entre 1923 et 1930, il fut l’officier le plus haut gradé de la contre-offensive espagnole au soulèvement de la guerre du Maroc. Né en 1870 à Jerez de la Frontera (Cadix), il s’engagea dans l’armée dans sa jeunesse et, entre autres destinations, il s’en alla à Cuba, aux Philippines et au Maroc, où il prit une part active à la Guerre du Rif. Soldat africaniste (comme les généraux Francisco Franco ou José Sanjurjo), il a été promu général – le premier de sa promotion à atteindre ce rang – et a été, entre autres, capitaine général de Valence, de Madrid et de Catalogne, où il a dû lutter contre l’agitation sociale en cours. Lorsqu’il perdit le soutien du roi Alphonse XIII et d’une grande partie des généraux, il démissionna de son poste en janvier 1930 et s’exila à Paris, où il mourut le 16 mars de la même année.
- José Sanjurjo
Il fut le général chargé d’exécuter le débarquement d’Alhoceima, l’offensive espagnole contre la révolte du Rif après le Désastre d’Anoual de 1921. Né à Pampelune (Navarre) en 1872, il a participé à la guerre de Cuba et, une fois celle-ci terminée, a pris part à plusieurs campagnes de la guerre du Maroc. Il devient commandant de Melilla en 1921 et commence la contre-offensive depuis Alhoceima pour soumettre le chef du Rif, Ben Abdelkrim al-Khattabi. Ses succès militaires lui valent d’être nommé Haut-Commissaire d’Espagne au Maroc. D’ailleurs en son honneur, la ville d’Alhoceima fut nommée Villa Sanjurjo pendant le Protectorat. Sanjurjo a joué plusieurs rôles importants pendant la monarchie d’Alfonso XIII, la dictature de Primo de Rivera, qu’il a soutenue, et pendant la première partie de la IIe République. Il a favorisé un coup d’État contre la République qui n’a pas bien tourné. Il est incarcéré, voit sa peine de mort commuée et s’exile au Portugal. Il participe à nouveau activement au coup d’État de juillet 1936, mais meurt dans un accident d’avion à Estoril (Portugal) alors qu’il se dirigeait vers le commandement de la rébellion.
- Manuel Fernández Silvestre
Général de l’armée, il fut général commandant de Ceuta (1919) et de Melilla (1920-1921) pendant la Guerre du Rif et principal responsable du Désastre d’Anoual. Fils de soldat, il est né à Cuba en 1871. Pendant ses études militaires, il rencontre à l’Académie de Tolède, Dámaso Berenguer, futur haut-commissaire d’Espagne au Maroc. Il est à Cuba et, après plusieurs postes là-bas, il arrive en 1904 à Melilla, où il rencontrera plus tard le chef du Rif Ben Abdelkrim al-Khattabi. Les révoltes permanentes des Rifains à partir de 1911 lui permettent de prouver avec un certain succès ses compétences militaires. Il est nommé assistant de campagne du roi Alphonse XIII mais, avec l’escalade du conflit marocain, il est envoyé comme responsable militaire principal de Ceuta, avec Berenguer comme autorité principale dans le Protectorat espagnol. Un an plus tard, il est transféré à la tête du siège de Melilla et commence l’invasion du Rif pour mettre fin à l’insurrection. Cependant, sa négligence à laisser l’arrière sans protection et la bonne direction du chef Ben Abdelkrim al-Khattabi et de la guérilla des tribus du Rif ont causé le Désastre d’Anoual de 1922 et lui-même est mort lors de la déroute.
- Dámaso Berenguer Fusté
Il était un soldat et un homme politique qui a dirigé l’avant-dernier gouvernement de la monarchie d’Alphonse XIII. Né à San Juan de los Remedios (Cuba) en 1873, il a fait une carrière militaire. En 1911, on lui confie le commandement des forces de Melilla, qu’il réorganise. Promu général, il est ministre de la Guerre en 1918, puis haut-commissaire d’Espagne au Maroc, le plus haut rang du protectorat espagnol. Ses bons résultats sont écornés par le comportement de son subordonné, le général Manuel Fernández Silvestre, lors de la catastrophe D’Anoual de 1921. Inculpé et séparé de ses fonctions, il est amnistié et réhabilité lors du coup d’État de Miguel Primo de Rivera. En 1930, il a été nommé président du gouvernement d’Espagne par le roi Alphonse XIII, mais son règne n’a duré qu’un an. Avec la IIe République, en 1931, il est emprisonné pour son rôle dans la Dictature. Amnistié, il reprend un rôle secondaire dans la vie politique espagnole. Il meurt en 1953.
- Ben Abdelkrim al-Khattabi (Mohammed Ben Abdelkrim al-Khattabi)
Il était le chef de la révolte du Rif contre les protectorats espagnol et français. Né en 1882 dans la ville d’Ajdir, dans la province d’Alhoceima, il a étudié le droit islamique à l’université de Fès et a reçu des cours à Salamanque. Il a travaillé pour l’administration coloniale espagnole ; il a été journaliste à « El Telegrama del Rif » et a même été juge islamique (« cadi ») à Melilla avant de devenir chef du Rif. Son opposition au protectorat le pousse à se rebeller contre les administrations espagnole et française. Il dirigea les Rifains dans les attaques qui se terminèrent par le Désastre d’Anoual avec la défaite complète de l’armée espagnole. Il proclame la République du Rif, où il continue à harceler le protectorat espagnol, puis les Français. Sa défaite après l’offensive espagnole qui suit le débarquement d’Alhoceima, le décide à se rendre aux Français en mai 1926. Exilé à l’île de la Réunion (France), il s’échappe et se réfugie en Égypte où il promeut la libération du Maghreb, sans jamais revenir dans son pays le Maroc. Il y meurt en 1963.
- Ahmed ar-Raisouni
Il était un autre grand protagoniste de la Guerre du Rif avec Ben Abdelkrim al-Khattabi. Né à Tétouan (Maroc) vers 1870. Connu comme le « Sultan des Montagnes » pendant la première partie de sa vie, il était un criminel, un pirate et un hors-la-loi. Chef des tribus du Jebala, une région du nord qui s’étend de Tanger au Rif (est), il a combattu l’administration coloniale espagnole. Sa révolte sanglante prend fin en 1913 lorsque ses hommes sont vaincus par le colonel espagnol Manuel Fernández Silvestre, qui dirigeait également les troupes espagnoles vaincues lors de la catastrophe d’Anoual. Suite à sa fréquente capacité d’adaptation, il se soumit à l’autorité espagnole et fut même un chef de groupe espagnol lors de la guerre du Rif dans les années 1920. Il fut vaincu et capturé par les partisans de Ben Abdelkrim al-Khattabi. Il est mort en 1925 en détention chez les Rifains de l’émir.
Africanismo
La nouvelle entreprise coloniale de l’Espagne au Maroc n’était pas tant le résultat de la pression de la classe des officiers pour un nouveau rôle pour l’armée, que du lobby néocolonial à la recherche d’un environnement stable pour ses investissements, comme conséquence de l’insécurité des élites gouvernantes dans une nouvelle ère d’expansion impérialiste. Parce que sa dépendance à l’égard des relations dynastiques et religieuses avait échoué de manière désastreuse en 1898, le gouvernement espagnol a cherché à s’engager dans le système instable des relations internationales.
Le besoin de la Grande-Bretagne d’un Etat tampon entre Gibraltar et l’expansionnisme français en Afrique du Nord-Ouest a permis à l’Espagne d’assumer un nouveau rôle colonial au Maroc dans le cadre de l’intervention européenne pour garantir la stabilité de l’Empire chérifien marocain au profit des investissements capitalistes. Le résultat a été que l’Espagne a joué un rôle dans l’Afrique du Nord pour lequel elle n’avait ni l’expérience coloniale, ni les ressources ni le soutien de la population. L’occasion était perdue pour restructurer une armée inefficace et pauvre en matériel et ressources. Dans le cours des guerres intermittentes avec les tribus du nord du Maroc entre 1909 et 1927, une nouvelle culture militaire appelée l’africanisme (Africanismo) s’est forgé parmi une élite d’officiers coloniaux qui devait former les bases de l’insurrection militaire dans les années 1920 et 1930. [xiv]
Quatre cultures militaires sont esquissées comme caractéristiques de l’Armée d’Afrique : africaniste, juntero, péninsulaire et politique. Bien qu’elles coexistent parfaitement bien, chacune a connu une période d’hégémonie au sein de l’armée en raison de l’action de l’armée au Maroc dans le sens de la stratégie des gouvernements espagnols au sujet du problème marocain. Il est difficile d’identifier des cultures militaires bien définies dans la période antérieure à la colonisation espagnole et son expansion au Maroc entre 1909 et 1912. Plutôt, il y avait des tendances représentées par des individus. Une division plus claire des cultures a émergé pendant la Première Guerre mondiale lorsque le modèle militaire allemand a commencé à influencer les perceptions de nombreux officiers coloniaux professionnels. Les campagnes expansionnistes de 1919-1921 et la catastrophe militaire d’Anoual en 1921 ont ensuite consolidé des cultures distinctes et concurrentes au sein de l’armée.
Beaucoup d’africanistes avaient choisi de servir au Maroc parce que cela leur offrait la possibilité d’une promotion rapide et d’une meilleure paie. L’objectif de l’armée coloniale était de préparer le terrain pour la pénétration en Afrique du Nord de la civilisation occidentale incarnée par les valeurs traditionnelles espagnoles. Soutenir cette mission était la conviction que l’Espagne était la mieux équipée pour cette tâche en raison de ses liens historiques avec le monde arabe, en général, et le Maroc, en particulier. À travers cette pénétration militaire et civile dans la région, l’Espagne avait comme ambition devenir une puissance coloniale dont le statut parmi les nations lui a été refusé en Amérique latine et en Europe auparavant. Cela ne pouvait être accompli que par la formation d’une armée hautement disciplinée et professionnelle et correctement formée et équipée et dirigée par des officiers aguerris par les conditions de la guerre et renforcée par la camaraderie et l’esprit de corps engendré par la bataille.
Les africanistes étaient unis idéologiquement par un sens de la mission au Maroc pour restaurer le prestige de l’armée et de la nation.
« La campagne d’Afrique »,
écrivait Franco en 1921, [xv]
« est la meilleure école d’entraînement, sinon la seule, pour notre Armée, et en elle des valeurs et des qualités positives sont mises à l’épreuve, et ce corps d’officiers en service de combat en Afrique, avec son moral et son estime de soi élevés, doit devenir le cœur et l’âme de l’armée continentale. “
La camaraderie de guerre au Maroc, tant qu’elle s’accompagnait par un engagement dans cette mission, a contribué à éroder les divisions entre les différents corps de militaires qui les avaient distingués comme castes dans l’armée continentale. L’artillerie hautement technique et le corps du génie et le petit mais prestigieux groupe de pilotes mélangé socialement avec des officiers d’infanterie et de cavalerie dans le camp et la vie de garnison. Leur collaboration sur les champs de bataille, notamment après le désastre d’Anoual, a imprégné de nombreux officiers des différents corps d’une haine partagée de l’ennemi et d’un objectif commun de vengeance. Néanmoins, parce que l’infanterie et la cavalerie ont largement combattu dans les campagnes militaires au Maroc, c’est dans leurs rangs que le nouvel esprit de corps était le plus développé.
Le mythe est ainsi né, assimilant la culture Juntero à un modèle militaire péninsulaire caractérisé par la timidité au combat et la bureaucratie. Les relations déjà difficiles entre africanistes et les officiers du Juntero qui avaient forgé leur carrière lors des multiples campagnes marocaines se sont détériorées, en conséquence. De plus, l’idéologie a commencé à jouer un rôle croissant dans leurs divisions. Les dirigeants de la première Junta avait déclaré un engagement largement rhétorique en faveur du renversement de l’ancien système de la Restauration, derrière lequel se posaient principalement des griefs professionnels. A partir de 1921, les militants du Juntero se sont tournés de manière incertaine vers des idées progressistes.
Le coup d’État de 1923 de Primo de Rivera, sympathisant de la junte a exacerbé la tension en raison de l’engagement initial de Primo pour un retrait de l’Afrique et son plaidoyer en faveur de la promotion par ancienneté. Bien qu’il ait été soutenu par des généraux africanistes, Primo a constitué son Directoire militaire entièrement de brigadiers-généraux représentant les régions militaires de la péninsule et son manifeste était rédigé dans la langue des juntes. Le premier africaniste militaire, le général Emilio Mola a écrit qu’après le coup de Primo
“les Junteros sont réapparus. . . parfois atterrissant dans de merveilleux postes civils à travers leurs relations politiques, ou des postes créés dans le secrétariat par le dictateur ainsi que les meilleurs postes de l’Afrique quand la guerre semblait s’estomper. “ [xvi]
Le plan de Primo d’abandonner le protectorat espagnol fut rapidement transformé en un retrait de l’armée à une ligne de défense sécurisée qui a laissé la majeure partie du territoire entre les mains des nationalistes du Rif sous Ben Abdelkrim. Malgré leur soutien pour le coup, les officiers africanistes s’étaient profondément opposés à tout retrait du Maroc. Ils ont fait part de leurs sentiments au dictateur lorsqu’il a visité le protectorat l’été de 1924. Lors d’un dîner offert par la Légion, le lieutenant-colonel Franco de l’époque prononce un discours contre tout retrait et le discours du dictateur plaidant pour le retrait a été accueilli avec silence. [xvii] Un autre africaniste de premier plan, le général Sanjurjo, récemment nommé par Primo de Rivera comme commandant général du secteur est, s’est opposé avec véhémence à l’évacuation dans une correspondance confidentielle avec le dictateur et a refusé son offre de nomination en tant que haut-commissaire. [xviii]
Le consul britannique à Tetouan a commenté cette situation comme suit : [xix]
“L’armée d’occupation, jugée même selon les normes latines, ressemble plus à une société de débats grecque dans sa passion pour la politique qu’à une société de combat ; la critique interne se livre librement et ses énergies se dissipent en préconisant cette politique et en la condamnant . . . ; [Primo de Rivera] n’a pas pu manquer d’observer l’atmosphère nettement anti-establishment. Les officiers de casernes militaires n’ont guère manqué d’invectiver contre le Roi. “
Après le repli sur les nouvelles lignes de défense, opération qui a coûté des milliers de vies, Primo a changé sa politique marocaine en réponse aux pressions des militaires africanistes et l’influence des nouvelles circonstances militaires. Il a maintenant adopté des plans pour une intervention militaire décisive qui commencerait avec une invasion amphibie d’Alhoceima, le cœur des opérations de Ben AbdelKrim. Il s’est également retourné contre ses anciens partisans des Juntas, abolissant le barème fermé et imposant le système de promotion par mérite. Des décrets à cet effet en 1925 et 1926 ont conduit à une tentative de coup d’État, le Sanjuanada, par les officiers de l’artillerie en Espagne soutenus par les Junteros au Maroc tels que Riquelme. Ces événements ont approfondi le clivage politique entre africanistes et les Junteros ; les premiers sont restés fidèles au Dictateur et au Roi, qui était bien connu pour ses sympathies envers eux, tandis que les derniers soutenaient l’avènement de la République en 1931. La même faille existait en 1936 au sujet du déclenchement de l’insurrection militaire. Alors que les africanistes toujours en service au Maroc ont rejoint la rébellion, de nombreux Junteros, y compris certains qui avaient fait du service en Afrique, sont restés fidèles à la République.
Les raisons de la Guerre du Rif
L’Espagne était une puissance africaine depuis le règne de Philippe II. Ses presidios de Ceuta et Melilla, sur la Méditerranée, ont résisté aux sièges musulmans depuis le XVIe siècle et sont devenus le centre d’escarmouches indécises avec des tribus rifaines en 1860 et 1893. Néanmoins, Madrid a obtenu quelques concessions cosmétiques du sultan du Maroc, tandis qu’une avant-garde d’immigrants ibériques sans le sou traversait le détroit de Gibraltar pour se rendre à Tanger, où ils mettaient en colère les habitants en élevant des porcs ou en vendant de l’alcool.
Laissée à elle-même, Madrid se serait probablement contentée du statu quo. Cependant, au vingtième siècle, l’Espagne a été attirée au Maroc de manière furtive, dans le sillage des Français et avec la permission de Londres. En novembre 1912, après plus d’une décennie d’anarchie croissante et d’échauffourées armées suivies de traités dénués de sens que le sultan était impuissant à faire respecter, Paris a cédé à l’Espagne une zone située au nord de l’Afrique. L’os de Jebala et l’épine dorsale du Rif n’était pas un cadeau, mais un don empoisonné. Il s’agissait plutôt d’un morceau torturé de topographie montagneuse, non cartographiée et austère, qui s’étendait sur 225 miles le long de la côte, de Larache sur l’Atlantique à la rivière Moulouya près de la frontière algérienne, et qui était habité par des tribus amazighes indépendantes et meurtrières.
Les Espagnols ont rapidement entrepris de segmenter ce qu’un fonctionnaire espagnol jugeait être « le peuple le plus intraitable de la planète » en territoires et en comandancias, administrés par un haut-commissaire militaire sous l’autorité nominale d’un calife nommé par le sultan. Tétouan, nichée au pied de sombres montagnes de granit est occupée en février 1913 et rapidement désignée comme la nouvelle capitale du protectorat.
Dans le sillage de l’armée espagnole, indisciplinée et rarement payée, l’inévitable nuée de racailles ibériques s’est mise en route pour peupler cette colonizadora en devenir. Emmenés par des unités spécialement recrutées comme les Regulares, une force musulmane créée en 1911, et la Légion étrangère espagnole, créée en 1920 et populairement connue sous le nom de Tercio en mémoire des troupes de l’Espagne impériale, les conscrits espagnols dirigés par un groupe de généraux corpulents et corsetés s’avancent prudemment au-delà de la frange méditerranéenne en octobre 1920.
Leur objectif était Chefchaouen, un ensemble pittoresque de maisons blanchies à la chaux sous des toits pointus en tuiles rouges qui se dressait dans une gorge à cinquante kilomètres de Tétouan dans les montagnes du Rif central. Le sergent Arturo Barea a trouvé charmant le dédale de rues étroites de Chefchaouen, qui résonnait du bruit des sabots des ânes, plus espagnol que marocain, comme la Tolède médiévale par une nuit de lune. Cependant, les regards haineux de la population, combinés au vent qui « gronde au fond des ravins« , confèrent à l’endroit un air de mélancolie intimidante.
La Bataille d’Anoual (1921)
À partir de 1912, avec le traité de Fès, le Maroc devient un protectorat français, ce qui signifie que le sultan a abjuré sa souveraineté. L’Espagne a obtenu des territoires sous forme de protectorat en Afrique du Nord, connu sous le nom de Maroc espagnol, qui s’étendait sur Tanger, le Rif et Ifni. Tous les pouvoirs politiques, économiques et militaires sont entre les mains des autorités étrangères qui « protègent » chaque région. Pendant ce temps, le sultan conserve certains de ses pouvoirs, mais ceux-ci sont essentiellement cérémoniels – en réalité, son pouvoir a été érodé.
Dès leur arrivée, les troupes se rendent compte qu’il ne s’agit pas d’une promenade de santé ; les Espagnols se heurtent à une résistance acharnée de la part de certaines tribus du Rif, qui commencent à prendre le contrôle des territoires et à les occuper. La rébellion suivante a lieu parmi les Jebalas et d’autres actions suivront plus tard. La croyance des Espagnols que la colonisation serait une entreprise de tout repos se révèle fausse. Les pertes espagnoles augmentent alors que les forces rifaines combattent continuellement ce qui, à leurs yeux, n’est rien d’autre que des envahisseurs chrétiens venus les convertir à leur religion de force.
Les forces rifaines les plus belliqueuses sont barricadées à Alhoceima, au cœur des montagnes du Rif. Manuel Fernández Silvestre est nommé commandant général de Melilla. En 1921, il commence à déplacer ses troupes vers les localités de montagne en planifiant de mettre un terme à la résistance. Il a réalisé quelque chose que personne n’avait jamais fait, il a traversé la majeure partie du Rif sans avoir à tirer un coup de feu tout en offrant de l’argent aux chefs des tribus pour les amadouer et acheter leur allégeance à l’Espagne.
C’était une bonne tactique, car la plupart des soldats de la campagne étaient inexpérimentés, sous-payés, sous-alimentés et sous-armés, et avaient terriblement peur des forces du Rif. L’Espagne fut surprise d’apprendre la nouvelle du succès de Silvestre et osa espérer que le bain de sang au Maroc allait enfin prendre fin.
Cependant, Silvestre n’a pas désarmé les tribus rifaines, et les forces de Melilla ont été réparties sur 144 petits forts. La plupart de ces endroits n’avaient pas d’eau, ce qui signifiait qu’il fallait aller en chercher à dos de mulets, parfois tous les jours, ce qui les rendait également vulnérables aux embuscades. En bref, Les forces espagnoles étaient trop dispersées.
En 1921, Silvestre espérait réaliser sa dernière avancée et prendre enfin Alhoceima. La plupart des forces espagnoles étaient, cette nuit-là, dans le camp de base de la colonie d’Anoual. Seuls quelques centaines de soldats étaient stationnés dans des forts entre Melilla et eux.
En mai, une tribu amazighe persuade Silvestre de prendre position plus profondément dans le Rif. Un contingent de 1500 hommes quitte la colonie. Ils sont tombés dans une embuscade des forces du Rif, subissant plus de 140 pertes. Ben Abdelkrim, qui dirigeait la campagne du Rif, assiégea Sidi Driss, mais cette fois, l’action des Espagnols eut plus de succès, avec seulement 10 blessés contre une centaine de morts du côté du rifain. Mais l’important est que les Rifains ont pu constater que les Espagnols étaient très vulnérables. Entre temps les forces de Ben Abdelkrim sont passées de 3.000 à 11.000 hommes.
Mais Silvestre, bien sûr, n’en avait aucune idée. Il croyait que c’était des actions isolées. Il a continué à avancer et a occupé la localité d’Ighriben en juin 1921, pensant défendre la colonie D’Anoual par le sud. Il part ensuite à Melilla pour demander des munitions, des vivres, de l’argent et des renforts.
Le 17 juillet, les Rifains de Ben Abdelkrim attaquèrent toutes les lignes espagnoles avec le soutien des tribus locales. Ighriben fut assiégée et ne tomba que cinq jours plus tard. Les colonnes de secours ont tenté de leur venir en aide, mais en vain. La défaite a démoralisé les troupes espagnoles à Anoual.
Le 22 juillet, après cinq jours d’escarmouches, 5 000 soldats espagnols occupant le campement avancé d’Anoual sont attaqués par 3 000 combattants rifains. Les munitions étant épuisées et la base de soutien déjà envahie, le général Silvestre, qui n’était arrivé à Anoual que la veille, décide d’un retrait le long de la ligne de l’avance espagnole précédente.
Peu avant 5 heures du matin, un dernier message radio est envoyé, signalant l’intention de Silvestre d’évacuer Anoual plus tard dans la matinée. Vers 10 heures, la garnison a commencé à quitter le campement en colonne, mais une direction confuse et une préparation inadéquate ont fait que tout espoir d’un retrait discipliné a rapidement dégénéré en une déroute désorganisée. Les conscrits espagnols, sous un feu nourri et épuisés par la chaleur intense, se sont dispersés dans une foule confuse et ont été abattus ou poignardés par les hommes de Ben Abdelkrim. Seule une unité de cavalerie, les Cazadores de Alcántara, est restée en formation et a pu effectuer une retraite combative.
La structure militaire espagnole surdimensionnée du Protectorat espagnol occidental au Maroc s’est effondrée. Après la bataille, les Rifains ont avancé vers l’est et ont envahi plus de 130 postes espagnols. [xx] Les garnisons espagnoles ont été détruites sans qu’une réponse coordonnée aux attaques ne soit mise en place. À la fin du mois d’août, l’Espagne avait perdu tous les territoires qu’elle avait gagnés dans la région depuis 1909. Le général Silvestre a disparu et ses restes n’ont jamais été retrouvés. Selon un rapport, le sergent espagnol Francisco Basallo Berrcerra de la garnison de Kandoussi a identifié les restes de Silvestre par sa ceinture de général. [xxi] Un courrier rifain de Kaddour N-Amar a affirmé que huit jours après la bataille, il a vu le cadavre du général couché face contre terre sur le champ de bataille. [xxii]
Pour Joaquin Mayordomo du journal El Pais, l’Espagne officielle a honteusement enfoui le Désastre d’Anoual dans le silence de l’oubli : [xxiii]
“Du haut de la gorge d’Izzumar, les collines d’Annual, Igueriben et Abarrán sont des phares de la mort. C’est ici que 4 000 Espagnols ont perdu la vie en deux jours, massacrés, sans savoir pourquoi. Tout ce que l’on peut voir au-delà de l’horizon est une campagne aride, desséchée, dépourvue de végétation. Le Rif est pauvre, très pauvre ; mais la folie du roi Alphonse XIII, les militaires et le gouvernement de l’époque ont voulu, au début du siècle dernier, faire de cette région une reconstitution de l’ancien Empire, celui où « le soleil ne se couchait jamais ». Finalement, l’Espagne a appelé cette conquête le Protectorat du Maroc. Un euphémisme qui dissimule plusieurs guerres, un holocauste, des trahisons et l’un des épisodes les plus tristes de la pratique militaire : le désastre annuel. Un désastre que l’Espagne a enfoui dans l’oubli pendant 94 ans sous le plus abominable et sinistre des silences. “
Pendant que le siège d’Ighriben se poursuivait, des renforts étaient arrivés à Anoual et environ 5 000 hommes y étaient stationnés. Ils avaient de la nourriture pour 4 jours et des munitions pour un jour mais pas d’eau. Il était impossible de défendre le village et Silvestre a décidé de l’évacuer. Cependant, au matin du 22, ils ont reçu un message promettant des renforts de Tétouan.
La retraite a commencé à 11 heures et juste au moment où ils quittaient le camp, les forces rifaines ont commencé à tirer et le chaos a éclaté. La bataille de l’Anoual commence. Au milieu de la confusion, les officiers perdent le contrôle de la situation. Les soldats ont essayé de se mettre à l’abri des balles et la fuite s’est transformée en déroute. Les officiers qui ont abandonné leur poste ont subi le plus de pertes parmi leurs troupes, ceux qui sont restés calmes ont réussi à se mettre à l’abri avec moins de pertes.
Pour Richard Pennell, [xxiv] cette retraite n’était pas une, c’était une vraie déroute, sans pareil, les forces espagnoles encore en vie après le désastre d’Anoual étaient attaquées de partout même par les femmes et le général Silvestre s’est fait tuer par les Moujahidines alors qu’il essayait de rejoindre Dar Driouch dans sa voiture. D’après les sources locales, toutefois, il fut tué à la hache sous un olivier par une femme dont le mari fut exécuté par ses soldats. Pour les Espagnols, Silvestre s’est suicidé à Anoual pour sauver son honneur et celui de son armée, mais côté rifain on doute de cette version très européenne, à la mode dans le temps.
La Bataille d’Anoual (1921), est également connue sous le nom de Désastre d’Anoual, est une défaite militaire majeure des Espagnols face aux Rifains dans le nord du Maroc, dans le terrain montagneux et vallonné du Rif. Les Espagnols ont subi 13 363 morts et blessés. Après la bataille, les Rifains ont commencé à avancer vers l’est, où ils ont envahi plus de 130 avant-postes espagnols.
Les conséquences de la déroute espagnole
Une grande partie des troupes survivantes ont trouvé refuge dans la garnison de Mount Arroui. Ils ont réussi à résister pendant une quinzaine de jours, mais les provisions étaient trop rares et l’eau trop peu abondante. Finalement, les Espagnols se rendent, mais les assiégeants ne voyant pas les conditions de reddition satisfaites et cette action tourne au massacre aux poignards.
Pendant ce temps, Melilla, protégée par des renforts venus de la péninsule, courait de grands risques. La Bataille d’Anoual signifie la défaite complète de la campagne africaine ce qui aboutit à la création de la légion espagnole (Tercio de Extranjeros). Pour les forces rifaines, c’est la victoire d’Anoual.
Après la Bataille d’Anoual et les confrontations suivantes, Ben Abdelkrim coince les troupes espagnoles, même hors du Rif. Depuis Melilla, une contre-offensive espagnole intensive commence, ce qui leur permet de récupérer certains des territoires perdus, comme Dar Driouch, Nador, Selouan et le mont Arroui. Ben Abdelkrim est proclamé, alors, émir par les tribus amazighes, mais il n’est pas reconnu par les cheikhs de la partie française du Maroc. Les attaques du Rif contre les garnisons et les colonies espagnoles se poursuivent tout au long de l’année 1924.
La France sous le commandement de Pétain décide d’intervenir et place des forces tout le long des frontières espagnoles. Elles sont attaquées par les forces du Rif et la bataille d’Ouergha a lieu, ce qui permet aux Français d’entrer en guerre. Ils attaquent les troupes du Rif par le sud en jonction avec les troupes espagnoles au nord avec une utilisation controversée d’armes chimiques par ses derniers, produits et vendus par l’Allemagne. Ben Abdelkrim assiégé de tout part se rend aux Français en 1926, mettant fin à la Guerre du Rif. Il est déporté à l’île de la Réunion.
La terrible défaite subie par les Espagnols a motivé la création d’un corps militaire plus organisé. La Légion espagnole est créée en émulation de la Légion étrangère française. Ses chefs sont Francisco Franco et Jose Millán-Astray. Son objectif est de ne jamais répéter l’expérience de la Guerre du Rif.
Au sujet de la cinglante défaite d’Anoual, Frédéric Lasserre et Catinca Adriana Stan écrivent : [xxv]
“La bataille d’Anoual a marqué une cinglante défaite espagnole dans la guerre du Rif (1920-1926), là encore au Maroc, contre la république berbère du Rif. Suite à la défaite d’Anoual, les Espagnols perdirent tous les territoires qu’ils avaient difficilement conquis dans le nord marocain depuis 1909. Malgré le recours à des armes chimiques, l’armée espagnole ne parvint pas à soumettre l’adversaire, une réalité politiquement d’autant plus douloureuse que la campagne de conquête marocaine débutée en 1909 avait comme objectif politique non avoué de dépasser l’humiliation de la défaite lors de la guerre hispano-américaine de 1898 qui avait abouti à la perte du reste de l’empire des Amériques (Cuba, Porto Rico) et des Philippines (Martínez Gallego et Laguna Platero, 2014). “
L’après Désastre d’Anoual
La crise politique provoquée par ce désastre a conduit Indalecio Prieto à déclarer devant le Congrès des députés :
« Nous sommes à la période la plus aiguë de la décadence espagnole. La campagne d’Afrique est un échec total, absolu, sans exagération, de l’armée espagnole. »
Le ministre de la Guerre ordonna la création d’une commission d’enquête, dirigée par le général Juan Picasso González, qui élabora le rapport connu sous le nom d’Expediente Picasso. Le rapport détaillait de nombreuses erreurs militaires, mais en raison de l’obstruction de divers ministres et juges, il n’allait pas jusqu’à attribuer la responsabilité politique de la défaite.
L’opinion populaire rejeta largement la responsabilité du désastre sur le roi Alphonse XIII, qui, selon plusieurs sources, avait encouragé la pénétration irresponsable de Silvestre dans des positions éloignées de Melilla sans disposer de défenses adéquates à l’arrière. L’apparente indifférence d’Alphonse – en vacances dans le sud de la France, il aurait déclaré « La viande de poulet est bon marché » lorsqu’il a été informé du désastre – [xxvi] a entraîné une réaction populaire contre la monarchie. Cette crise est l’une des nombreuses qui, au cours de la décennie suivante, ont miné la monarchie espagnole et conduit à l’avènement de la Seconde République espagnole.
Après le désastre militaire de l’Anoual, où près de 10.000 soldats ont été tués et plusieurs milliers ont été faits prisonniers, le journaliste espagnol Luis de Oteyza a réalisé alors l’une des grandes exclusivités dont on se souvient encore. Directeur du journal « La Libertad« , Oteyza réussit en août 1922 à atteindre le quartier général du chef du Rif, Ben Abdelkrim, à Ajdir, au nord du Maroc. Ben Abdelkrim accorde à Oteysa une interview exclusive qui provoque un grand émoi en Espagne car le chef rebelle, qui vient de proclamer la République du Rif, est considéré en Espagne comme l’ennemi public numéro un.
Cependant, Oteyza, qui s’est rendu sur place avec deux photographes, est considéré comme un pionnier du journalisme d’investigation. Selon le reporter Eduardo del Campo : « Oteyza propose de réaliser l’une des grandes missions du journalisme : raconter ce qu’il dit, comment il est, ce qu’il fait, qui est cet homme que notre gouvernement et la plupart de notre société considèrent comme l’incarnation du mal« . Exilé après la guerre civile espagnole, Oteyza est mort à Caracas en 1961.
L’interview du leader nationaliste rifain Ben Abdelkrim, accordée exclusivement au reporter espagnol Luis de Oteyza, qui a réussi à entrer dans le campement du leader rifain avec les photographes Alfonso Sánchez Portela (Alfonsito) et José María Díaz Casariego (Pepe Díaz), a été publié dans les pages de couverture des journaux « La Voz » et « La Libertad » et les photographies dans les pages intérieures de l’hebdomadaire « Mundo Gráfico« , du mois d’août 1922. L’interview et les photographies ont été un grand succès journalistique après avoir vaincu la censure de l’époque. La bibliothèque de l’EFE possède plusieurs des plaques de verre originales de l’interview, ainsi que les plus grandes archives de Díaz Casariego qui comprennent environ 3 000 plaques et négatifs de photographies.
L’armée du chef du Rif, Ben Abdelkrim al-Khattabi, a harcelé chaque fois davantage les troupes espagnoles, même en dehors du Rif, après le désastre d’Anoual de juillet 1921, et a même assiégé Melilla, une des villes nord-africaines sous souveraineté espagnole depuis avant le Protectorat. Cependant, avec la chute de la ville de Chefchaouen et le siège de Tétouan, l’armée espagnole entame une contre-offensive qui permet, à partir de Melilla, de récupérer une partie du terrain perdu. Plusieurs enclaves furent à nouveau contrôlées par l’Espagne entre septembre 1921 et janvier 1922.
La victoire militaire après le débarquement d’Alhoceima, en septembre 1925, qui a consolidé la présence espagnole en Afrique du Nord, revêt une importance particulière. Cette opération conjointe de l’armée et de la marine, avec le soutien de la France, est considérée comme le premier débarquement aéronaval de l’histoire. Elle a été dirigée par le capitaine général Miguel Primo de Rivera et exécutée par le général José Sanjurjo, et entre autres commandements, se trouvait alors le colonel Francisco Franco. La chute du Rif et la fin de l’insurrection d’Abdelkrim ont mis fin à une guerre peu appréciée par la société espagnole et ont favorisé le début du photojournalisme espagnol.
Francisco Franco, a dirigé le coup d’État de juillet 1936 contre le gouvernement de la IIe République, qui a débouché sur une guerre civile. Avec le triomphe du soulèvement, il a imposé une dictature qui a duré jusqu’à sa mort en novembre 1975. Né à Ferrol (A Coruña) en 1892, il embrasse la carrière militaire. Il a été affecté au Maroc et a participé à la guerre du Rif où il a atteint le grade de général avec 33 ans seulement en raison de ses exploits de guerre. Il avait rapidement pris part à des batailles, donnant des preuves de courage et de compétence militaire. Il se lie d’amitié avec José Millán Astray, qui fonde la Légion, le Tercio des étrangers, semblable à la Légion française et qui nomme Franco chef de son premier bataillon. En tant que force de frappe, la Légion, avec Franco à sa tête, a fait preuve de courage et de bellicisme dans l’aide à la ville de Melilla lors de la catastrophe d’Anoual. Ce leadership lui permit d’abord d’être promu et plus tard, lorsqu’il prit le commandement du Tercio. Franco s’est distingué dans d’autres succès militaires, comme son travail dans le débarquement d’Alhoceima, ce qui a augmenté son prestige et lui a donné de nouvelles promotions jusqu’à devenir général. En tant que représentant principal de l’armée dite africaniste, il dirigea plus tard la rébellion contre la République. [xxvii]
Suite à la Bataille d’Anoual, la catastrophe au cours de laquelle, pendant quelques semaines de l’été 1921, des milliers de soldats espagnols ont été massacrés ou capturés par les rebelles marocains. Cette catastrophe a choqué le pays et a été, d’une certaine manière, le dernier clou du cercueil du régime libéral malade. S’il ne s’agit pas d’une catastrophe annoncée, elle aurait pu être évitée. L’insuffisance du budget alloué à cette campagne et le manque d’investissement pour acheter la loyauté des indigènes ont été importants. Mais surtout, l’incompétence militaire de généraux aventureux comme Silvestre, le commandant en chef des troupes d’Anoual, s’est avérée décisive. Pourtant, sur les cendres de l’Anoual, une nouvelle armée coloniale commence à se forger, dont la vengeance est le moteur fondamental.
Au cours des six années suivantes, alors que des gouvernements faibles et dépourvus d’une stratégie claire pour le Maroc se succèdent et que l’ordre libéral finit par céder la place à une dictature dont le chef, le général Miguel Primo de Rivera, est connu pour ses opinions d’abandon de la colonie du nord marocain, l’Armée d’Afrique atteint sa maturité. Leur sens de l’élitisme et leur mépris pour les gouvernements et les forces armées de la péninsule les ont amenés à se considérer comme l’avant-garde d’une nouvelle race de conquérants et de héros.
Ainsi, le mépris pour les gouvernements de toute tendance à Madrid et la pratique de méthodes horribles et brutales pour réprimer la dissidence parmi la population indigène ont été les valeurs formatrices des Africanistas. Lorsqu’en 1927, la campagne du Maroc s’achève avec succès, un corps violent mais très efficace d’officiers ambitieux de l’armée atteint le sommet de sa gloire. Leur service actif étant pratiquement terminé, leur mentalité ne pouvait qu’entrer en conflit avec les classes dirigeantes de leur pays. Ceci est particulièrement flagrant lorsqu’une Deuxième République réformatrice et modernisatrice est proclamée en 1931.
Cependant, alors que le mécontentement social et les troubles politiques se poursuivent sans relâche, les forces armées sont de plus en plus sollicitées pour renflouer un régime discrédité. La spirale de la violence et de la répression s’est effectivement terminée par la prise du pouvoir par l’armée en septembre 1923. Au Maroc, la Première Guerre mondiale voit des agents secrets allemands chercher à provoquer une insurrection contre l’administration française. En fait, elle a également alimenté l’esprit de rébellion de nombreux Marocains de la zone espagnole. L’un d’entre eux, Ben Abdelkrim, qui abandonne des années la collaboration avec l’Espagne pour prendre la tête des forces qui infligent à l’Armée espagnole d’Afrique sa pire défaite, le Désastre d’Anoual.
Conclusion
La guerre du Rif était un aperçu des guerres de décolonisation qui ont caractérisé l’après Première Guerre mondiale. Ce fut incontestablement la première étincelle de la guerre révolutionnaire moderne. Après la guerre, Ho Chi Minh qui avait suivi les événements, a rendu hommage au dirigeant marocain, déclarant : [xxviii]
“la leçon de la Guerre du Rif est de montrer clairement la capacité d’un petit peuple à contenir et à vaincre une armée moderne et organisé quand il prend les armes pour défendre sa patrie. Les Rifains ont le mérite de donner cette leçon au monde entier. «
Dans son essai fondateur Sur la guerre de guérilla, Mao Zedong mentionne “la guérilla menée par les marocains contre les français et les espagnols“ pour illustrer sa thèse. [xxix] En mêlant inextricablement propagande, action politique et guérilla pour obtenir l’indépendance du Rif, Ben Abdelkrim a été une source d’inspiration pour Mao [xxx] et tous les révolutionnaires du monde.
Les vainqueurs sont censés écrire l’Histoire, mais ils ont la mémoire courte. Paradoxalement, alors que les guerres perdues, comme l’Indochine ou l’Algérie, ont continué à attirer l’attention longtemps après les défaites, les Français victorieux ont oublié la Guerre du Rif dès qu’elle était terminée. En étudiant à fond Ben Abdelkrim dans son succès initial et son échec final, les théoriciens révolutionnaires ont appliqué avec succès les leçons de la Guerre du Rif ; les contre-insurgés n’ont pas saisi la même occasion.
A juste titre Mathieu Marly se pose la question est ce que la Guerre du Rif était une guerre purement coloniale ou une guerre d’indépendance : [xxxi]
“La guerre du Rif s’inscrit dans la longue durée des guerres coloniales au Maroc opposant, entre les années 1900 et les années 1930, les armées européennes aux confédérations tribales, chefs de guerre et prétendants au trône du sultan. Elle s’en distingue cependant par la nature du mouvement de résistance dirigé par Mohammed ben Abdelkrim Al-Khattabi, lequel parvient à réunir les tribus rifaines sous la bannière d’un État levant l’impôt et imposant la conscription. Cette centralisation politique vise l’efficacité du commandement armé mais elle permet également aux dirigeants rifains d’appuyer la légitimité de leur combat sur le principe wilsonien de la souveraineté des peuples et de défendre ainsi leur cause à la Société des Nations. Mohammed ben Abdelkrim Al-Khattabi mène ce combat à l’échelle internationale, profitant du soutien anticolonial des partis communistes et se présentant à la presse anglophone sous les dehors d’un chef d’État modernisateur jusqu’à faire la une du Time Magazine le 17 août 1925. L’action de l’État rifain qui revendique à l’occasion le titre de République (dawlat al-jumhūriyya al-rīfiyya) trouve un véritable écho au Maghreb et au Moyen-Orient à la suite d’autres mouvements de résistance armée aux impérialismes européens : de la révolution kémaliste aux débuts des années 1920 à la révolte druze en Syrie en passant par les résistances à l’occupation italienne en Tripolitaine et Cyrénaïque. Mais c’est sans doute le caractère révolutionnaire du mouvement rifain, usant d’une propagande nationale et religieuse pour mobiliser sa population et transformer la société rifaine, qui a le plus marqué les futurs chefs militaires des luttes anti-impérialistes, d’Hô Chi Minh à Che Guevara. Pour la même raison, la réaction des armées espagnoles et françaises vis-à-vis des populations rifaines, alliant contre-propagande et action psychologique, annonce par certains aspects la doctrine de la guerre révolutionnaire adoptée par l’armée française durant les guerres d’indépendance d’Indochine et d’Algérie. “
Aujourd’hui, les leçons de la Guerre du Rif devraient également inspirer les dirigeants de la contre-insurrection contemporaine, notamment en ce qui concerne l’application des principes de Lyautey et la conduite simultanée d’actions politiques et militaires. [xxxii] L’exemple de la Guerre du Rif est aussi une incitation à éviter la lecture naïve et « édulcorée » des principes de Lyautey. L’usage de la force faisait partie intégrante de sa méthode coloniale qui visait à gagner le respect et la confiance de la population plutôt que les cœurs et les esprits. L’épisode emblématique de la passation de commandement entre Lyautey et Pétain et le changement ultérieur au niveau opérationnel de la guerre fournit des informations utiles. La synthèse originale et inattendue des arts opérationnels de type colonial et de la Première Guerre mondiale mis en œuvre par l’armée française prouve que les synergies entre actions cinétiques et non cinétiques sont non seulement possibles mais aussi à succès.
Bibliographie :
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- Balfour, Sebastian. Deadly Embrace: Morocco and the Road to the Spanish Civil War, Oxford et New York, Oxford University Press, 2002.
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- Chailland, Gérard. Le nouvel art de la guerre. Paris : L’Archipel, 2008.
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- Loustaunau-Lacau (capitaine) et Montjean (capitaine), « Au Maroc Français en 1925, le rétablissement de la situation militaire », Revue Militaire Française, décembre 1927, janvier-février-mars 1928.
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- Woolman, David. Rebels in the Rif, Abd el-Krim and the Rif Rebellion. Stanford : Stanford University Press, 1968.
Notes de fin de texte :[i] Zine, Ghita. “ Au regard du processus de réconciliation, «la bataille d’Anoual n’est pas encore terminée, “Yabiladi du 17 juillet 2021. https://www.yabiladi.com/articles/details/112507/regard-processus-reconciliation-bataille-d-anoual.html[ii] Aziza, Mimoun. “Le protectorat espagnol au Maroc entre « fraternalisme » et colonialisme, “Wikiwix archive du 21/6/2021. http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fsebtamlilya.org%2Faziza1.html[iii] Alarcón, Julio Martín. “Expediente Picasso : la vergüenza del ejército que arrinconó a Alfonso XIII, “El Mundo du 28 avril 2016. https://www.elmundo.es/la-aventura-de-la-historia/2016/04/22/571a2b10e5fdeaf16f8b4591.html[iv] Ibid.
“Yo acuso de negligencia al general Berenguer, de temerario al general Silvestre y de incompetencia al general Felipe Navarro por sus responsabilidades en las funciones, respectivamente, de Alto comisario de de España en Marruecos, comandante general de Melilla y segundo jefe de Melilla, durante una serie de acciones militares en el Rif previas y durante el abandono de la posición de Annual y la posterior y penosa retirada y rendición del fuerte de Monte Arruit, entre finales de julio y pricipios de agosto de 1921, en el que murieron alrededor de 12.000 hombres.
No se conserva completo el expediente de investigación sobre los hechos de Annual llevado a cabo por el general Juan Picasso, pero sí la acusación del fiscal militar José García Moreno basado en él. El párrafo resume la conclusión más esencial: el desastre de Annual se debió a la negligencia e irresponsabilidad del alto mando. “[v] Ayache, Germain. Les origines de la Guerre du Rif. Paris : Editions de la Sorbonne, & Rabat : SMER, 1981.[vi] Chtatou, Mohamed. “ La notion d’appartenance au groupe chez les Rifains, “Awal, numéro 15, 2001.[vii] Stora, Benjamin, et Akram Ellyas. “Abdelkrim. (Mohamed Ben Abdelkrim Khattabi) (Maroc, 1882-1963, figure historique), “ Les 100 portes du Maghreb. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, trois voies singulières pour allier islam et modernité, sous la direction de Stora Benjamin, Ellyas Akram. Ivry-Sur-Seine, France : Éditions de l’Atelier (programme ReLIRE), 1999, pp. 49-50.[viii] Benchabane, Mehdi. Abdelkrim Al Khattabi (1882-1963) et la Guerre du Rif. Paris : Albouraq, 2016.
“Célèbre pour sa lutte durant la Guerre du Rif (1921-1926), Abdelkrim Al Khattabi est l’une des plus grandes figures de la résistance maghrébine et musulmane à la colonisation européenne. À la tête de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, l’émir rifain a construit un État et une armée moderne qui fit face à la France et à l’Espagne réunies. Fin lettré, fidèle à une éthique islamique et homme de dialogue, il consacra toute sa vie à la libération du Maghreb dans le combat ou dans l’exil. Inspirateur des leaders de la décolonisation, Abdelkrim fut un modèle mondial de résistance et son œuvre suscita de nombreux débats jusqu’à nos jours. “[ix] Chtatou, M. 1996. “Aspectos de la organizacion politica en el Rif durante el reinado de Ben Abdel-Krim El-Khattabi. “In Fundamentos de Antropologia, n° 4 y 5, 1996, pp.61-70.[x] Pennell, C. R. A country with a government and a flag : the Rif War in Morocco, 1921–1926. Outwell, Wisbech, Cambridgeshire, England: Middle East & North African Studies Press Ltd, 1986; (University of Melbourne – University Library Digital Repository)[xi] Courcelle-Labrousse, Vincent & Nicolas Marmié. La guerre du Rif, Maroc, 1921-1926. Paris :
Tallandier, 2008.
“Trop souvent négligée par l’historiographie contemporaine, l’histoire de la guerre dite du Rif suscite ces toutes dernières années un regain d’intérêt. « Coincée » entre les deux guerres mondiales et victime pendant longtemps de son statut de « petite guerre », le conflit du Rif révèle pourtant une facette nouvelle de l’histoire militaire, diplomatique et coloniale non seulement de la France, mais d’une manière plus large de l’Europe. Cet ouvrage s’inscrit dans la redécouverte d’un conflit qui marque à la fois l’un des derniers épisodes européens de pacification coloniale mais également l’une des premières secousses devant amener à un début de prise de conscience de la part des populations autochtones. Construit selon un plan chronologique qui s’impose, l’ouvrage de Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié débute par l’évocation de l’installation des administrations françaises et espagnoles au Maroc pour s’intéresser ensuite à la difficile conquête du Rif par les Espagnols est leur quasi retrait de la zone en 1924. La majeure partie du livre concerne ensuite directement les opérations militaires françaises et les tractations politico-militaires autour des opérations dans le Rif. Si les auteurs ont entrepris de brosser au mieux les « affaires » rifaines et leurs multiples ramifications, on peut toutefois regretter la place peu importante laissée à l’action déterminante de l’aviation française et notamment à celle de son chef le colonel Armengaud. Loin de se cantonner aux rôles traditionnels de l’aviation, telle que définie à la sortie de la Grande Guerre, l’intervention des Breguet XIV et des Farman Goliath permet, pour la première fois, à une armée terrestre d’échapper à la défaite stratégique et à ses lourdes conséquences politiques. Mais surtout, l’ouvrage manque cruellement d’un appareil critique et d’un état des sources et ressemble, par plusieurs côtés à une chronique des opérations militaires et diplomatiques plutôt qu’à un travail de fond. Les auteurs, respectivement avocat et journaliste, en voulant faire preuve de pédagogie ont délibérément sacrifié à la clarté de leur propos. Cependant, cet ouvrage synthétique a le mérite de proposer enfin une histoire accessible à un large public du conflit rifain et ce n’est pas son moindre mérite. “ (Gilles Krugler, « Vincent Courcelle-Labrousse, Nicolas Marmié, La guerre du Rif, Maroc, 1921-1926 », Revue historique des armées [Online], 255 | 2009, Online since 17 June 2009, connection on 21 July 2021. URL : http://journals.openedition.org/rha/6776).[xii] Ducoulombier, Romain. “ Une guerre coloniale oubliée : le Rif, 1921-1926, “La Vie des Idées du 8 octobre 2008. https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20081008_rif.pdf[xiii] William Dean, « Des Américains dans la guerre du Rif », Revue historique des armées [Online], 246 | 2007, Online since 29 August 2008, connection on 21 July 2021. URL : http://journals.openedition.org/rha/2393
“Les Américains dans la guerre du Rif“ (Americans in the Rif Rebellion). Ce document examine le rôle des Américains dans la guerre du Rif en tant qu’observateurs et opérateurs. Le capitaine Charles Willoughby des services de renseignement de l’armée américaine a étudié la guerre à titre officiel et a tenté d’analyser le conflit pour en tirer des leçons. Les aviateurs mercenaires américains ont servi au Maroc contrairement aux souhaits du Département d’État américain. Au cours de l’été 1925, le gouvernement français a fait appel aux aviateurs américains en raison d’une pénurie de personnel dans l’aviation militaire française et dans l’espoir d’améliorer les relations franco-américaines. Bien que les aviateurs américains aient obtenu de bons résultats au Maroc, les Américains, tant au niveau officiel que populaire, étaient opposés à la présence de mercenaires américains au Maroc. Une grande variété de forces, allant de l’amélioration de la situation stratégique au Maroc à la mauvaise réaction de l’opinion publique américaine, militait contre la poursuite de l’existence de l’Escadrille Chérifienne. Les militaires français ont tiré peu d’enseignements pratiques de cette campagne et les relations franco-américaines n’ont pas été gravement affectées. On pourrait dire que la variété des réactions contradictoires de cette campagne illustre un éventail de points de vue sur la guerre coloniale. “[xiv] Pennell, C. R. A country with a government and a flag : the Rif War in Morocco, 1921–1926. Op. cit., p. 132.[xv] Papeles de la Guerra de Marruecos. Diario de una bandera. Madrid, 1986 (1ère édition, 1922), pp. 85–6.[xvi] Cité dans Cabanellas. La guerra de los Mil Días, vol. 1, 118, n. 36.[xvii] Preston, Paul. Franco : A Biography. London : Harper Collin Publishers, 1993, p. 45.[xviii] SHM R573, legajo 403, carpeta 8.[xix] Rapport du Consul-Général anglais à Tanger, 27.7.24, PRO FO 636/6.
“The army of occupation, judged even by Latin standards, more nearly resembles a Greek debating society in its passion for politics than a fighting instrument ; internal criticism is freely indulged in and its energies are dissipated in advocating this policy and condemning that . . . [Primo de Rivera] cannot have failed to observe the distinctly anti-Directory atmosphere. In the military casino officers have been heard even to inveigh against the King. “[xx] Sasse, Dirk. Franzosen, Briten und Deutsche im Rifkrieg 1921–1926. Oldenbourg : Wissenschaftsverlag, 2006, p. 40.[xxi] Mayordomo, Joaquin. “ Annual: horror, masacre y olvido, “El Pais du 24 mars 2016. https://elpais.com/cultura/2016/03/21/actualidad/1458581201_182703.html
“Desde lo alto del desfiladero de Izzumar, los cerros de Annual, Igueriben o Abarrán son luminarias que recuerdan la muerte. En este escenario perdieron la vida en dos días, masacrados, 4.000 españoles, sin saber por qué. Todo lo que se alcanza a ver hasta más allá del horizonte es campo yermo, reseco y desnudo de vegetación. El Rif es pobre, muy pobre; pero la locura del rey Alfonso XIII, militares y Gobierno de entonces quiso, a principios del siglo pasado, convertir a esta región en la recreación del viejo Imperio; aquel en el que « no se ponía nunca el sol ». Al final, España llamó a esta conquista Protectorado de Marruecos. Un eufemismo que oculta varias guerras, un holocausto, traiciones y uno de los episodios más tristes de la práctica militar: el Desastre de Annual. Un desastre que España entierra en el olvido desde hace 94 años bajo el más abominable y ominoso de los silencios. “[xxii] Pando, Juan. Historia Secreta del Annual. Madrid : Ediciones Temas de Hoy, 1999. pp. 335–36.[xxiii] Mayordomo, Joaquin. “ Annual: horror, masacre y olvido. “Op. cit.[xxiv] Pennell, Richard. A Critical Investigation of the Opposition of the Rifi Confederation Led by Muhammad Bin ‘Abd Al-Karim Al-Khattabi to Spanish Colonial Expansion in Northern Morocco 1920-1925, and its Political and Social Background. PhD Thesis, Department of Semitic Studies, University of Leeds, 1979, p. 361.[xxv] Lasserre, Frédéric & Catinca Adriana Stan. “Guerres coloniales et commémoration : le cas des défaites occidentales. Enjeux de pouvoir sur des lieux de mémoire, “ L’Espace Politique [Online], 36 | 2018-3, Online since 01 June 2019, connection on 19 July 2021. URL : http://journals.openedition.org/espacepolitique/5591 ; DOI : https://doi.org/10.4000/espacepolitique.5591[xxvi] Woolman, David S. Rebels in the Rif – Abd El Krim and the Rif Rebellion. Redwood City, California : Stanford University Press, 1968, p. 102.[xxvii] Balfour, Sebastien. Deadly Embrace: Morocco and the Road to the Spanish Civil War. Oxford : Oxford University Press, 2002.[xxviii] Ho Chi Minh, cité par : Zakia Daoud. Abdelkrim, une épopée de sang et d’or. Paris, Séguier, 1999.[xxix] Mao Tse Tung. On guerrilla warfare. Traduit par BG Samuel B. Griffith. New York : Praeger publishers, 1961, p. 49.[xxx] « Abdelkrim, « précurseur de la guérilla moderne »“, http://www.casafree.com/modules/news/article.php?storyid=3461[xxxi] Marly, Mathieu. “ La guerre du Rif (1921-1926), une guerre coloniale ?“EHNE https://ehne.fr/fr/node/21489/printable/pdf[xxxii] Maddy-Weitzman, Bruce. “Abdelkrim : Whose Hero is He ? The Politics of Contested Memory in Today’s Morocco, “The Brown Journal of World Affairs, Vol. 18, No. 2, Spring / Summer 2012, pp. 141-149
Six défaites occidentales dans le cadre de guerres de conquête coloniales
Professeur universitaire et analyste politique international