[Tribune] Des femmes amazighes dans l’histoire
Si selon le grand anthropologue français Gabriel Camps, les Amazighs sont aux marges de l’Histoire, on pourrait affirmer sans complexe que les femmes amazighes, elles, sont encore aux marges des marges de l’histoire universelle et plus particulièrement de l’histoire nord-africaine, malgré le fait qu’elles aient joué un rôle essentiel dans la préservation de la langue amazighe, de la culture, des valeurs, des légendes, des contes, … et des histoires orales de la civilisation et identité millénaires des Amazighs.
Le rôle historique des femmes est encore un des sujets très peu étudiés, presque absent dans les recherches universitaires et très peu débattu publiquement aux pays d’Afrique du Nord.
Ainsi, son rôle dans l’Histoire est presque totalement ignoré des manuels pédagogiques et des livres scolaires. Et pourtant, les femmes amazighes continuent à avoir le mérite de véhiculer, de génération en génération, le patrimoine culturel amazigh, dépassant «les trois mille ans d’histoire des Tunisiennes» d’Emma Ben Miled et les «33 siècles d’histoire» que le doyen Mohamed Chafik avait résumé dans une de ses publications, allant au-delà des dix mille ans, au moment de la constitution de l’importante civilisation amazighe au Grand Sahara, selon les découvertes archéologiques et les derniers résultats de l’anthropologie génétique.
Les femmes amazighes, gardiennes d’un patrimoine civilisationnel inestimable, ont défié les siècles et les époques en réussissant à préserver et à transmettre à travers les générations ce legs jusqu’à notre troisième millénaire. En atteste la permanence de la langue amazighe de l’époque néolithique jusqu’à nos jours, alors que les langues des grandes civilisations du pourtour méditerranéen ont disparu presque à jamais, comme le punique des phéniciens, le latin des romains ou l’égyptien des pharaons.
Une des valeurs caractéristiques indéniables de la société amazighe c’est son «hospitalité» et sa «générosité», et celles-là ne pourraient subsister qu’à cause de ses femmes. C’est ainsi que les femmes amazighes ont toujours veillé à la défense des enfants, à la cohésion familiale et à la solidarité sociale de la tribu, à tel point qu’elles cédaient leurs parts d’héritage des terrains cultivables à leurs frères, dans le but de maintenir la cohésion tribale, et malgré le fait que le droit coutumier stipulait le partage à part égale avec les hommes.
Même si la société nord-africaine, avec ses différentes communautés, est devenue fondamentalement patriarcale, à partir de l’apparition des religions monothéistes, et surtout depuis la conversion presque complète de la majorité écrasante des Amazighs à la religion islamique au XIème siècle, la femme continuait à jouer un rôle essentielle dans la dynamique sociétale et continuait à occuper l’espace public, à avoir de la notoriété et de l’influence dont certaines ont indéniablement marqué de leurs mains certaines pages de l’histoire.
Effectivement, malgré l’ordre patriarcal, qui a pris complètement le dessus sur la «matrilinéarité» originelle, partout, et à l’exception de l’espace touarègue, la femme amazighe, a eu des pouvoirs décisifs sur les hommes, des rôles d’arbitrage et des fonctions de leadership. Selon la grande anthropologue française Camille Lacoste-Dujardin, dans son extraordinaire étude «Des mères contre les femmes», où la femme amazighe devient une des défendeurs acharnés de l’ordre patriarcal, elle a su comment faire passer ses prérogatives et jouer le jeu des pouvoirs, non pas seulement à travers leurs maris, sinon surtout à travers leur progéniture, à travers leurs nombreux fils, en influant sur les décisions de l’assemblée tribale «agraw» ou «tajmaât», et ce rôle devenant plus accentué lorsqu’elle devenait veuve. C’est dans ce sens qu’on pourrait comprendre cet ancien proverbe surgit à l’époque des Almoravides: «derrière un grand homme, il y a une grande femme».
Comme le souligne Hélène Claudot-Hawad, dans son livre «Les Touaregs, portrait en fragments» (Edisud 1993): ‘Sur le plan politique, aségewur désigne les assises ou le conseil, tenus dans l’enceinte de la «tente», où s’élaborent les décisions et les stratégies de la famille, du cercle le plus étroit au plus large. Dans l’aségewur, qui réunit hommes et femmes d’une même lignée, la voix féminine pèse autant et même davantage que celle des hommes. Une décision ne peut être arrêtée que si les femmes sont d’accord’. Elle ajoute: ‘Pour toute décision grave engageant la société, comme par exemple une alliance stratégique, une déclaration de guerre, une proposition de paix, la première condition à obtenir est l’assentiment des femmes. La consultation commencera par elles. Si les femmes sont d’accord, les hommes se prononcent, puis les alliés et les tributaires, jusqu’à la convocation de l’assemblée générale’.
Des femmes extraordinaires qui ont joué, de près ou de loin, des rôles dans la mémoire collective, se chargeant de la logistique, des métiers de l’infirmerie, de la communication, de l’approvisionnement des armes, de l’encouragements des troupes, ou simplement en les animant par des chants, par des poèmes et des danses… Des femmes qui ont eu des interconnexions avec des rois et des chefs de tribus à des époques déterminées, détenant des pouvoirs et participant parfois aux grandes batailles. Des femmes qui ont marqué les aspects sociaux, économiques, politiques, culturels et religieux de certaines époques historiques de notre continent de Tamazgha, délimité par quatre mers, la Méditerranée au nord, l’Atlantique à l’ouest, la mer rouge à l’est, et la grande mer des dunes de sable du Grand Sahara au sud.
A travers ce modeste texte, nous allons essayer de faire ressortir le rôle historique de certaines de ces femmes légendaires, ignorées volontairement et injustement par l’histoire officielle de tous les pays d’Afrique du Nord.
FEMMES DE LA PREHISTOIRE :
Déjà, lors les époques les plus reculés de la préhistoire, l’homme à l’âge de pierre commençait à croire aux divinités féminines comme le reflètent la découverte de nombreuses figurines anthropomorphes de sexe féminin qu’on dénomme les «vénus» et cela dans divers endroits, et plus particulièrement en Europe. Et l’une de ces vénus les plus anciennes fabriquées par l’homme est incontestablement constituée par la figurine de Tan Tan, à laquelle les archéologues donnent une datation d’entre 300 000 et 500 000 ans !
Des déesses figurent aussi dans l’extraordinaire art rupestre du Grand Sahara, et nous aimerions nous arrêter à celle trouvée dans l’Ahaggar, à N’Arouanrhat, près de Jebbaren au cœur de Tassili N’Ajjer, donnant de la pluie et de la vie, et que les archéologues lui ont accolé le nom de «Gaïa», en référence à la déesse Terre dans la mythologie grecque, et qui reflètent l’attachement viscéral des Amazighs à la terre nourricière. Des noms féminins aux déesses, qui sont comme les femmes, à l’origine de la fécondité et de la prospérité.
Ainsi, dans la religion païenne des Amazighs, les premières divinités étaient tous féminines.
Ce qui expliquerait ses origines matrilinéaires, et ce qui donnerait le nom à la déesse de tout l’univers: «Yemma n dunnit», mère du monde, et qui est à l’origine de tout objet, animé ou non, et de tout phénomène sur terre et dans l’univers. Dans certaines contes et légendes très anciennes, on raconte que la dite Déesse, en commettant une grave faute, s’est transformée en sorcière qu’on appelle «Settut» en Kabylie!.
En effet, les Amazighs prêtent souvent aux femmes des pouvoirs occultes et surnaturels, avec des vertus de magie ou de guérison!.
Par rapport aux origines de l’humanité, on tombe souvent sur une lecture misogyne, minimisant à fond le rôle de la femme dans l’évolution humaine, à tel point qu’elle n’est jamais représentée dans les dessins ! Par exemple, la dernière découverte comme quoi l’homo sapiens serait originaire de «L’Homme d’Adrar Ighud» vers 315 000 ans (dépassant celui d’Omo Kibish éthiopien daté autour de 195.000 ans), on parle de crâne d’adultes (5 individus ont été mis au jour, 3 adultes, un adolescent et un enfant») en nous laissant sous-entendre qu’ils sont tous de sexe masculin, comme s’ils n’avaient pas de mère!.
Mais heureusement les anthropologues généticiens parient sur la lignée matrilinéaire (en se basant parfois sur l’ADN mitochondrial qui n’est transmis que par les ovules des femmes) et font remonter l’origine de l’humanité à une seule «Eve africaine». Qu’on se réfère à l’homo erectus, la plus ancienne découverte pour le moment se trouve au site algérien d’Ain Bouchérit, près de Sétif, ayant une datation de 2,4 millions d’années, détrônant «Lucy» d’Ethiopie, ou qu’on se réfère à l’homo sapiens, tous les africains, asiatiques, européens, américains et australiens descendent tous d’une même mère: une Eve Amazighe, l’Eve d’Adrar Ighud!
FEMMES DE l’ANTIQUITE ET A L’EPOQUE ROMAINE:
De toute manière, l’une des premières tentatives de disserter sur la femme amazighe dans l’Histoire revient, sans aucun doute, à notre grand et admiré anthropologue français Gabriel Camps, à travers son formidable livre «L’Afrique du Nord au féminin» (Paris 1992) où il donnait des récits de l’histoire si riche et si complexe de Tamazgha. Feu Gabriel Camps disait: «Certains s’étonneront, peut-être, de la place importante que j’ai donnée, dans ces récits aux croyances et au sentiment religieux, mais ce serait oublier, que le maghrébin, comme la maghrébine, est un être de foi profonde. En ces pays, plus qu’ailleurs, les empires furent constitués au nom du Dieu tout-puissant».
Parmi ces femmes, nous signalons:
EUNOE ET SOPHONISBA
Gabriel Camps distingue à l’époque romaine certaines femmes comme la reine Eunoé et la reine Sophonisba. La première était l’épouse du roi maure Bogud et maitresse de Jules César, qui est tombé profondément amoureux d’elle (45 avant J-C.). La reine Eunoé se distinguait par ses connaissances en sciences. Quant à la belle reine Sophonisba, à propos de laquelle il y a plus d’écrits, elle était la fille du général carthaginois Asdrubal. Elle était promise, et peut être mariée au prince numide Massinissa, mais les carthaginois ont changé d’avis, et la jeune Sophonisba fût offerte comme épouse au roi numide Syphax. Lorsque ce dernier, avec les Carthaginois, furent vaincus par les Romains, elle fût prise comme épouse par le roi Massinissa, qui était un allié des Romains. Mais la reine s’est malheureusement suicidée.
Comme le souligne Maria Dolores Miron Perez dans le livre « Mujer Tamazight » (Eds Vicente Moga Romero et Rachid Raha, Melilla 1998) : ‘Sofonisba paraît, par conséquent, une victime des avatars politiques et jeux d’alliances entre Numides, Romains et Carthaginois, et elle change de mari conformément aux changements de ces alliances, et sans prendre en compte son opinion’.
ELISSA DIDON
Et n’oublions pas que la création de la civilisation carthaginoise est due à la détermination, à la ruse et le courage d’une femme courageuse et extraordinaire : Elissa Didon. Cette dernière en s’appropriant des richesses de son oncle Acherbas, avec lequel elle s’est mariée, et qui s’est fait assassiné par son frère, elle a fui le Liban, et a réussi, dans une société qui exprime beaucoup d’estime à la femme, à unir autour d’elles des tribus autochtones en 814 avant J-C. Elle fonda, par ailleurs, la fameuse ville tunisienne de Carthage. Une fois qu’elle eut mis pied en territoire des « lebous », on a tout le droit de la considérer comme une reine amazighe autant que reine phénicienne, du fait que son royaume s’est développé et s’est prospéré en terres de Tamazgha, malgré le fait qu’elle a refusé de se marier avec le roi amazighe Hiarbas des Maxitans! Son suicide reste toujours un mystère, mais elle est à l’origine d’une grande civilisation qui a converti Carthage dans, peut-être, la première république de l’histoire selon Aristote, avec un sénat où est représenté une partie du peuple. La dite civilisation carthaginoise qui avait le mérite de créer un empire en Méditerranée, en conquérant les îles de Sicile, de Sardaigne, de Corse, ainsi que la région de Murcie en Espagne, avait connu une très grande notoriété grâce à Hannibal. Celui-ci avait défié les montagnes des Alpes en les traversant avec des éléphants, et ce afin de faire la guerre aux Romains jusqu’aux portes de Rome! La grande déesse de cet empire, qui donnait des frissons aux Romains, s’appelait «Tanit », une déesse amazighe chargé de protéger la fertilité, les naissances et la croissance.
CLEOPATRE CELENE
Une autre femme amazighe qui se distingue durant cette époque romaine est incontestablement Cléopâtre Céléné, femme du souverain Juba II de la Mauritanie césarienne, en 20 av J-C jusqu’à l’an 5 ap. J-C, et en plus, elle est la fille de la reine égyptienne Cléopâtre VII et de Marc Antoine. La reine amazighe Cléopâtre Céléné, qui fût couronnée grâce à son ascendance maternelle, exerçât une profonde influence sur la politique de son épouse Juba II, et plus particulièrement en ce qui concerne les arts, les lettres et l’architecture.
KYRIA DU DJURJURA
M. H. Fantar et F. Decret dans leur œuvre L’Afrique du Nord dans l’Antiquité des origines au Vème siècle (Paris, 1981) mentionne cette femme dénommée Kyria des montagnes de la Kabylie de Djurjura, qui a eu le courage de combattre l’entrée des romains en Algérie en 370 après J-C. Après, elle organisait, montée sur son cheval, avec les tribus amazighes gagnées à sa cause, des assauts de façon circulaire qui réduisait son rayon de défense jusqu’à ce que l’armée romaine prenne le dessus sur elle.
TIN HINAN, LA REINE DES TOUAREGS (« LES HOMMES BLEUS » DU SARARA)
Ti-n Hinan, qui veut dire en langue tamacheqt « celle des tentes », sachant que pour les touarègues, la tente, dite ‘ehen’, désigne la cellule familiale et la parenté matrilinéaire, qui est à l’origine du régime matrilinéaire par lequel les hommes héritent de leur mère du pouvoir et du droit au commandement. Comme le souligne Mme. Claudot-Hawad, les femmes qui sont à la tête d’une tente puissante ont le pouvoir de faire valoir et d’imposer leur jugement, en tant que protectrices de l’honneur et piliers de la société nomade.
Présentée comme un mythe, cette ancêtre légendaire des habitants de l’Ahaggar, est originaire de la région marocaine de Tafilalt.
Elle eut trois filles : Ténert (l’antilope), Tahenkod (la gazelle) et Témerewelt (la hase, femelle de lièvre) qui sont prises comme les mères des tribus touarègues de l’Ahaggar (Inemba, Kel Réla, le clan qui exerce la souveraineté de tous les Ihaggaren, Iboglan…).
Elle fût accompagnée dans le désert du Grand Sahara par sa servante Takamat. Le mausolée de la reine touarègue, sous la forme d’un imposant tumulus de pierres, fût découvert par des archéologues en 1925 à Abalessa, et renfermait un squelette bien conservé, accompagné de bijoux en or et en argent, de pièces de monnaies, de mobilier funéraire, et curieusement, d’une statuette féminine en calcaire (exposés au musée Bardo d’Alger).
Gabriel Camps l’a daté vers le IV° siècle ap. J-C., bien avant l’apparition de l’Islam. Mais du fait que les historiens « arabes et arabisés » n’acceptent pas de voir de bon œil le rôle des femmes guerrières, ils ont essayé, du fait de son empreinte profonde dans la société saharienne, de la rattacher à l’époque musulmane, dans un document où elle est signalée comme fille de Saïd Malek vers 1642, une chronologie en parfaite contradiction avec les données archéologiques !
FEMMES AU MOYEN AGE ET A L’EPOQUE MUSULMANE
Les actuelles écoles de nos différents pays d’Afrique du Nord continuent à enseigner une histoire officielle et superficielle, qui négligent et marginalise volontairement le fait autochtone et infra valorise l’histoire préislamique, et par conséquent elles ne donnent pas assez d’importance aux vestiges et monuments archéologiques avant l’arrivée des premiers conquérants Arabes.
L’obscurcissement de notre histoire nord-africaine continue encore à cause de cette élite formée dans la culture théocratique ethnocentriste arabo-islamique. La dite élite, non seulement continue à falsifier une grande partie de notre très riche histoire, sinon elle ne peut plus admettre des exploits historiques faites par des femmes, à telle point, comme le souligne Emma Miled, elle a réussi à éliminer les noms des femmes des arbres généalogiques!
Un fait extraordinaire que nous voulons mettre en évidence au Moyen Age c’est qu’avec l’avènement de la dernière religion monothéiste de l’Islam en terre amazighe, ce sont bien les femmes qui sont les premières à se dresser contre les premiers conquérants Arabes tels la Kahina. Et ce sont aussi les femmes amazighes qui ont contribué efficacement à la conversion et à la propagation de l’Islam en Afrique du Nord, en Afrique sub-sahariennes et en Espagne musulmane.
Parmi ces femmes érudites qui se sont distinguée à la nouvelle ère de l’islamisation, nous citons:
DIHYA MATIYA ou KAHINA :
De son vrai nom Dayhia ou Dihya, fille de Matiya ben Tifan, que déjà les historiens arabes traitent de sorcière en la désignant par le terme de « Kahina », et cela afin de la dénigrer et de porter atteinte à sa mythification. Ibn Khaldoun soupçonne qu’elle était de confession juive du fait que sa tribu Djerawa était largement judaïsée au VII-ième siècle. Cette authentique reine amazighe est apparue sur la scène dans les Aurès (awras) algériens. Elle avait participé à la bataille de Tehuda en 683 après J-C, aux côté des troupes de Koceila, et au cours de laquelle fût tué Uqba Ibn Nafiâ. Elle a réussi à chasser les nouvelles troupes de Hassan ben Nuâman, que le calife Abdelmalik avait chargé de réprimer les Amazighs en réponse à l’assassinat du fondateur de Kairaouan. C’était en 688-689 au nord de Khenchela, sur la rivière Nini.
Dihya qui avait un fort caractère de commandement et une intelligence aiguë, avait pris sous sa protection un enfant arabe, Khalid Ben Yazid, en le convertissant et en faisant un fils adoptif. A cause de ce geste de générosité et sa tactique de « terres brûlée », en croyant qu’elle allait dissuader les Arabes de revenir, certaines populations amazighes et ce fils adoptif vont la trahir lorsque Hassan ben Nuâman revint avec plus de renforts en 698. Au pied des Aurès, Dihya Matiya fût battue devant un puits qui porte toujours nom, le puits de Kahina. Du fait que les Arabes n’admettaient guère qu’une femme leur infligeât pareille humiliation, sa tête fut coupée et offerte comme trophée de guerre au calife Abdelmalik. Ce dernier laissa la vie sauve à ses deux fils, lesquels suivirent les conseils de leur mère de se convertir à la nouvelle religion, dont l’un d’eux fut un des commandants les plus importants de Hassan ben Nuâman.
KENZA AWRABIYA
Le royaume du Maroc s’obstine toujours à s’enfermer dans une histoire officielle réduite à une époque mise en lumière en remontant juste à douze siècles, exactement à la fondation de la dynastie des Idrissides. Lisez ce que véhicule un des historiens à leur solde: ‘l’histoire du Maroc débuta avec l’islamisation…Le fondateur de la Nation marocaine, Idriss I-ier, constitua un Etat indépendant des deux grands pôles du monde musulman qu’étaient alors Bagdad et Cordoue’.
Mais ce qui est un fait historique, c’est qu’Idriss I eut un règne éphémère autour de Volubilis, lorsqu’il épousa la fille de chef des tribus amazighes Awraba, Kenza. Le règne des Idrissides a connu plutôt sa splendeur et sa croissance sous le règne d’Idriss II, et ce dernier n’a pris le pouvoir qu’à l’âge de onze ans. En réalité, la personne qui détenait vraiment les arcanes du pouvoir était bel et bien sa mère, Kenza, et c’est elle, et grâce à son intelligence, à sa ruse et à ses capacités de négociation, elle a réussi véritablement à unir les tribus amazighes autour de Fès.
C’était une femme amazighe, qui en se fondant sur la légitimité patriarcale des hommes et en manipulant son fils, qu’elle gérait les affaires politiques, administratives et militaires de ce nouvel état musulman. Et lorsque son fils mourut, en 828 ou 829, c’est toujours elle qui a postulé le partage du règne entre ses dix petits-fils, et par conséquent, elle l’a affaibli par les tiraillements de ces nombreux successeurs, jusqu’au 920 où la capitale de Fès tomba aux mains des tribus des Miknasa et Kétama.
En fin de compte, si la dynastie idrisside a eu un rôle religieux déterminant dans la conversion à l’Islam de nombreuses tribus amazighes païennes ainsi que la diffusion de la tradition chérifienne, cela revient au courage d’une femme érudite : Kenza Awrabiya.
ZAYNAB NAFZAWIYA
La reine Zaynab Nafzawiya, femme du grand roi Youssef Ibn Tachfine, a marqué de ses empreintes l’empire des Almoravides (1054-1147). Naît en 1039 à Aghmat, elle était, selon certaines sources, originaire du Nefzawa dans le sud-tunisien, appartenait à la tribu des Hawwara et avait eu le privilège de suivre une bonne éducation. Comme toutes les reines amazighes, elle était très belle, très intelligente et très spirituelle ; elle s’est mariée en premier à Abu Bakr ibn Omar. Ce dernier est le fondateur du mouvement almoravide, qui la quitte afin de mater une rébellion au Sahara, et de ce fait, conseille bizarrement à sa belle femme d’épouser son cousin Youssef ben Tachfine. Ce grand roi amazigh et musulman lui attribue le titre de reine en partageant avec elle son pouvoir. Zaynab accompagnait son mari partout, en le conseillant et en l’assistant à la croissance de la dynastie des Sanhadja, qui avait étendu ses frontières de Sénégal jusqu’à l’Andalousie, et elle était aussi sa principale conseillère lors de la fondation de l’une des plus prestigieuses villes d’Afrique : Marrakech.
Même si les historiens maghrébins du Moyen Age, imprégnés jusqu’à la moelle de la théorie générale du patriarcat, essaient d’effacer le rôle historique de certaines femmes et de minimiser à fond leur pouvoir politique, ils doivent admettre que si les nord-africains ont embrassé, dans leur écrasante majorité, le courant malékite de sunnisme islamique, c’est parce que ce rite constitue pour eux le courant le plus ouvert, le moins violent et le plus tolérant des autres rites… Et si les Amazighs eux-mêmes, et non pas les Arabes conquérants, ont réussi à le diffuser dans toute l’Afrique du Nord, cela revient dans une grande mesure grâce au rôle primordial des femmes et des reines amazighes.
FEMMES AMAZIGHES CONTRE LA COLONISATION EUROPEENNE :
Comme nous venons de voir, la femme amazighe a marqué de ses mains la période préhistorique, l’antiquité et le Moyen Age. La période contemporaine n’est pas en reste.
En Algérie par exemple, suite à la colonisation turque, puis française, des femmes se sont impliqués activement dans la résistance armée.
On dénomme par exemple Oum Hani et Fadma n’Soumeur.
Oum Hani, chef de tribu au Sahara, qui a réussi à mener plusieurs batailles contre le pouvoir des beys au XVIIIème siècle et lorsque la santé ne lui permettait plus, elle prodiguait des conseils à ses fils pour continuer ces batailles.
Aux Iles Canaries, on distingue le rôle de la reine Arminda dans la résistance à la colonisation espagnole des Iles vers 1480. Et Sith al-Hourra à Chefchaouen, vers 1520…
On cite aussi Fadma n’Soumeur qui est une grande héroïne kabyle et qui organisa une partie de la résistance à la conquête française à deux reprises, en 1855 et 1857. Elle est née au village d’Ouerdja en 1830 dans une famille maraboutique à laquelle appartient le grand leader algérien Hocine Ait Ahmed. Ayant un caractère autoritaire, elle fût vénérée comme une femme sainte, et elle a réussi, avec son frère Tahar, lors d’une assemblée de Soumer, d’organiser la résistance des tribus montagnardes kabyles (Aït Itsouregh, Illilten, Aït Iraten, Illulen n umalu…) contre les premiers assauts de la conquête française en 1855. Après la réussite de cette première bataille à Tazrouts, elle fût arrêtée lors de la deuxième le 11 juillet 1857 après que les colons français soient revenus avec plus de renforts militaires et humains.
De toute manière, les femmes amazighes, même s’elles ne sont pas au-devant des batailles, elles participaient d’une manière ou d’une autre à la résistance contre la colonisation turque et européenne en Afrique du Nord. Comme le souligne Assia Benadada dans son article ‘Les femmes dans le mouvement nationaliste marocain’ (https://journals.openedition.org/clio/1523 ), « les femmes approvisionnaient en eau et nourriture les combattants, chargeaient les fusils et parfois remplaçaient les morts au front. Elles marquaient les hommes qui fuyaient les combats avec du henné pour les ridiculiser et les marginaliser et interdisaient à leurs épouses de s’approvisionner en eau aux puits et aux sources; les femmes de la tribu Ghomara demandaient même le divorce lorsque leur mari refusait de participer au combat. Les femmes surveillaient également les mouvements des troupes ennemies et renseignaient les combattants avec un code spécial ».
Ainsi au Maroc, pendant la Guerre du Rif (1921-1927) contre Mohamed Abdelkrim El Khattabi, plusieurs femmes ont participé activement. On mentionne dans la région de Jbala, Fatima A’zayr de Chefchaouen et Hidna. Cette dernière est la sœur d’un résistant qui a réussi à assassiner l’officier Valdivia à Beni Arous. Et dans le Rif central et oriental, on distingue Aïcha Abi Ziane, qui n’était qu’une fillette âgée de dix ans seulement, et qui aurait participé à la fameuse bataille d’Anoual en 1921, ainsi que Mamat Al Farkhania, Aïcha Al Ouarghalia et Haddhoum Al Hassan. Au Moyen Atlas, on distingue Ytto Moha Ouhamou Zayani, fille de Moha ou Hamou Zayani qui a mené la lutte aux côtés de son père contre les Français. Dans le Souss on cite la combattante Aïcha Al Amrania, de la tribu des Aït Ba Amrane, tuée dans la bataille d’Assak en 1916. Au sud est, dans la région d’Assamar, ‘Adjou Oumouh des Ait Atta s’est distinguée dans la résistance à la colonisation française à Adrar Saghro à la bataille de Bougafer en 1933, une bataille où ont péri, selon certaines sources, 117 femmes.
Et à propos des mouvements de libération pour l’indépendance des pays de Tamazgha, nous citons le rôle de Ghita Allouche, femme leader de l’armée de Libération du Maroc (ALN, Abbass Messaadi, et Fadma Mimoun El Hammouti , femme du résistant Mohand Khider, qui à côté de son mari aidait de manière exceptionnelle les membres de l’Armée de Libération Nationale de l’Algérie (FLN) qui se réfugiaient à Beni Enzar dans la province de Nador.
LES REINES DE L’EGYPTE ANTIQUE ONT-ELLES ÉTÉ EN RAPPORT AVEC DES FEMMES AMAZIGHES?
Une des questions qui se posent avec acuité c’est celle de savoir si les reines égyptiennes, comme Nefertiti ou Cléopatre, ont-elles été en rapport avec les femmes amazighes anciennes, du fait qu’elles partageaient l’origine matriarcal.
Nous pouvons parfaitement répondre par l’affirmative du fait que dernièrement des chercheurs s’alignent de plus en plus sur la conviction de l’idée que la grande civilisation pharaonique était d’origine amazighe. Ainsi des études génétiques du National Geographic, et surtout du grand immunologue Dr. Antonio Arnaiz-Villena ( co-éditeur avec Jorge Alonso García “Egipcios, Bereberes, Guanches y Vascos” (Editorial Complutense de Madrid, 2000), des études archéologiques et historiques de Malika Hachid, auteur de l’étude monumental Les Premiers Berbères » (Edisud, Aix-En-Provence2000) et de Taklit Mebarek Slaouti auteur de Les Amazighs en Egypte, (Anep, Alger 2016) confirment ce constat. Mais ça c’est une autre histoire !
Mais pour revenir aux belles femmes égyptiennes anciennes, vénérées et admirées, à l’époque où les grecs et les romains se surprenaient profondément de leurs rôles et de leurs pouvoirs, celles-ci gouvernaient, décidaient et géraient le pays à l’égal des hommes, à l’encontre de la misogynie des religions patriarcales d judaïsme, du christianisme, de l’islam et des civilisations gréco-romaines. Les reines Merneith, Néférousobek, Hatchepsout, Taousert, Tyi, Néfertiti ou Cléopâtre, qu’elle soient la mère, la sœur ou la principale épouse du Pharaon, détenaient un rôle politique de premier ordre en gérant les affaires de l’Etat à côté de celui-ci ou/et durant son absence, ou sa mort !
En conclusion :
Les traces de l’ancien ordre matriarcal de la société amazighe persiste encore de nos jours dans la terminologie de certains mots. Ainsi l’origine étymologique des mots « uma » et « ultma » qui désignent respectivement frère et sœur dérive des mots « mis n yemma » et « yellis n yemma », qui voudrait dire fils et fille de ma mère, toujours en référence à la mère !
A cause d’une lecture de l’histoire faite exclusivement par les hommes, et en plus imprégnés exclusivement des thèses patriarcales et de l’idéologie importée du Proche Orient arabo-islamo-salafiste, le rôle des femmes, s’est retrouvé totalement marginalisé et exclu de l’histoire officielle des différents pays d’Afrique du Nord.
Certains pays d’Afrique du Nord, en l’occurrence le Maroc et l’Algérie, malgré le fait qu’ils aient reconnus officiellement leur langue et identité autochtones amazighes dans leur constitution, n’ont pas encore réformé les manuels scolaires pour revoir leur mémoire collective et pour que les nouvelles générations se réconcilient avec leur histoire authentique, avec ses pages lumineuses et ses pages sombres. En définitive, cette nécessaire et nouvelle relecture de l’histoire d’Afrique du Nord, tant désirée, tant attendue et tant revendiquée, ne pourrait se réécrire sans les femmes amazighes, sans timgharin.
Rachid RAHA
Bibliographie :
- Abdelaziz Belkhodja, Elyssa la fondatrice de Carthage, Apollonia édition, Tunis, 2014.
- Ibn Khaldoun: “Histoire des Berbères. Trad. De Slane. Paris.
- Ben-Ncer, Abdelouahed et Hublin, Jean-Jacques: “Jbel Irhoud, une avancé paléoanthropologique décisive » in Hespéris-Tamuda LII (2), Rabat 2017.
- Camps, Gabriel, « Les Berbères ; mémoire et identité », Editions Errance, Paris, 1987.
- Gabriel Camps, L’Afrique du Nord au féminin, Perrin édition, Paris, 1992.
- Hachid, Malika, « Les premiers berbères : entre Méditerranée, Tassili et Nil », Edisud, Aix-En-Provence, 2000.
- Hamid, Khadija, « Histoire du Maroc, à la lumière de l’archéologie », Edition Afrique Orient, Casablanca 2012.
- Camille Lacoste-Dujardin, Las madres contra las mujeres patriarcado y maternidad en el mundo árabe, feminismos, Traducción Alicia Martorell, Edición Telémaco, Madrid, 1993.
- Laurence le Guuen, Kahina reine des Berbères, Yomad édition, Rabat, 2011.
- Moga Romero,Vicente & Raha, Rachid, Coord.: Mujer Tamazight y fronteras culturales, Edición conmemorativa del Día del Libro, Melilla, 1998.
Raha Ahmed, R., » Imazighen del Magreb entre Occidente y Oriente”. Granada, 1994. - Revue Egypte ancienne n°31 : Reines d’Egypte, des femmes influentes.
- Zakya Daoud, Zaynab reine de Marrakech, Edition le fennec, 2éme édition, Casablanca, 2012.