Le pionnier de la militance amazighe au Sud Est nous quitte.. ALI IKKEN tire sa révérence
C’est triste. Ali Ikken a tiré sa révérence. Difficile de témoigner sur un homme, un ami proche qui fut, incontestablement, l’initiateur et le pionnier de la revendication amazighe dans le Sud Est.
Il est de la communauté des Ait Aissa de Bni Tjjit et a exercé des années durant, dans sa région natale, comme professeur de philosophie. Proche des milieux syndicaux qu’il n’a cessé de « déranger », il fut à l’origine du « défilé amazighe » de la marche de mai 1994. Il sera arrêté et condamné, puis libéré, dans ce que la littérature amazighe appelle « l’affaire Tilelli ». Tilelli, ex association Gheris, fut créée sur son instigation. Il fait partie du groupe de militants du Sud Est qui ont contribué à la Charte d’Agadir.
Feu Ali Ikken est un homme d’action et de terrain. Il a sillonné le pays pour répondre aux appels, invitations et demandes de la militance et des cadres associatifs amazighes. Son travail de fourmi visait l’encadrement de la jeunesse amazighe, particulièrement la mouvance estudiantine amazighe confrontée à un discours arabo-marxiste niveleur et borné, au sein des facultés.
Son combat dépasse les frontières. Il fut l’un des premiers militants à avoir sillonné la Kabylie pour y défendre la cause amazighe, nouer des liens et des échanges avec les leaders du MCB (Mouvement culturel Berbère).
Son roman ASEKKIF n YINZADEN (La soupe aux poiles) recevra le Prix Mouloud Mammeri et constitue le premier roman en langue amazighe au Maroc. Il a contribué à plusieurs revues et journaux amazighes : tasafut, tidmi, tifinaghe, tilelli…Il est fondateur de La Page Amazighe du journal Al Bayane, au début des années quatre-vingt-dix. Le premier texte qui y était publié est de sa plume. C’est avec sa collaboration qu’un groupe de militants ont pris contact avec la Direction du journal pour que ce dernier dédie une page hebdomadaire à la langue et à la culture amazighe. Le soutien du responsable de la page, feu Mohamed Ferhat, et de feu Simon Lévy a permis à la page, dont je coordonnais la matière, de durer plus de deux ans.
Dans la vision qui est la sienne, le défunt Ali Ikken militait pour une action multiforme qui drainent différents acteurs et sensibilités. Il a mené un travail pédagogique d’encadrement et de sensibilisation efficace. Il est resté optimiste et croyait en la résurgence inéluctable de l’amazighité sur la terre de ses ancêtres. Le temps lui a donné raison.
Je garde le souvenir vivace de la visite qu’il m’a rendu à Azilal, (où j’exerçais comme professeur au Lycée au début des années 90) muni d’une machine dactylo, et qui a duré deux semaines : une occasion pour lui de terminer son roman, le premier roman en langue amazighe au Maroc : Asekkif n yinzaden (la soupe au poiles). A cette occasion, nous nous sommes déplacés à Beni Mellal, accueillis par des étudiant du Mouvement Estudiantin Amazighe : nous avons passé la nuit à saisir leurs modestes productions et le matin, nous avons rassemblé les textes, direction un photocopieur : ce fut la naissance du bulletin « MAYD NGA ».
Feu Ali Ikken est et restera une figure emblématique de la militance amazighe. Par sa contribution à l’éveil des consciences, son engagement sincère pour la cause amazighe et les sacrifices qu’il a consentis. Il fut un wagon qui permis à la locomotive d’avancer sur les rails. Il est parti et son héritage nous baigne toujours.
A dieu ALI, que ton âme repose en paix. Ton combat n’est pas vain.