« La célébration de Innayer donne au Maroc sa spécificité et sa profondeur historique. »


Entretien avec l’acteur amazigh Moha  Moukhlis :

Propos recueillis par  Mohamed Nait Youssef

Infatigable. Moha  Moukhlis est l’un des acteurs et chercheurs amazighs qui n’ont ménagé aucun effort pour promouvoir l’amazigh sur toutes ses facettes. Pour le chercheur, Innayer est la célébration de la terre et de la nature conçues comme ressources pour la vie. C’est une occasion conviviale qui consolide les valeurs de solidarité, de tolérance et du vivre-ensemble.

Par ailleurs, la célébration, dit-il, est restée dans la tradition nord-africaine et son élection en tant qu’emblème identitaire faisant partie des éléments de revalorisation de la civilisation amazighe est l’œuvre de militants amazighe durant les années 70, particulièrement les activistes de l’Académie Berbère à Paris. Entretien.

Al Bayane : quelle signification revêt la célébration du nouvel an amazighe ?

Moha  Moukhlis : Le nouvel an amazighe (Ixf n usggaws ou Id n immayen en amazighe) s’inscrit dans une tradition ancienne qui remonte à un millénaire avant Jésus Christ. Exactement, c’est la célébration de l’accession de Chéchong, amazighe de Lybie, au pouvoir en Egypte en 950 avant J.C et devenir ainsi Pharaon. La célébration est accompagnée de rites et de manifestations festives qui concernent tous les nord africains, amazighes et darijophones qui l’appellent « Hagouza ». De cette date à aujourd’hui, le calendrier amazighe est de 2972. En Lybie, communauté amazighe dont Chéchong est issu, les manifestations durent trois jours (les 12, 13 et 14 janvier). Ailleurs, la date retenu est le 13 janvier et le premier jour du nouvel an correspond au 14 janvier. En Algérie, le pouvoir a officialisé Innayer comme fête nationale et jour de congé rémunéré. Au Maroc (aux Iles Canaries et dans la Diaspora amazighe), les célébrations du nouvel an se déroulent le 13 janvier. La mouvance amazighe revendique son officialisation sans que celle-ci aboutisse.

Qu’en est-il aujourd’hui des traditions de cette célébration ?

Cérémonie festive et conviviale, la célébration a lieu chaque 13 janvier de l’année grégorienne. Elle se caractérise essentiellement par la préparation de mets spécifiques : couscous aux sept légumes, plat de Tagwlla, fruits secs…Les mets et le cérémoniale peuvent varier d’une région à une autre. La fête est dans certaines régions accompagnée de chants déclamés à cette occasion. Une noix de datte ou une amande…est dissimulée dans le plat de couscous. Celui qui la retrouve est le chanceux de l’année. La noix est alors enfouie dans le silo à grain comme gage de prospérité.

Innayer est aussi la célébration de la terre et de la nature conçues comme ressources pour la vie. C’est une occasion conviviale qui consolide les valeurs de solidarité, de tolérance et du vivre-ensemble.

Parlons maintenant de l’histoire de cette manifestation.

Historiquement, les amazighes, particulièrement ceux de Lybie, faisaient partie de l’armée égyptienne de l’époque en tant que soldats, officiers et hauts gradés. Chéchong occupait un haut poste de l’armée et c’est ce qui lui a permis d’accéder au pouvoir. D’aucuns parlent de coup d’Etat, d’autres évoquent une prise de pouvoir légitime. Et c’est son «intronisation» en tant que Pharaon, célébré avec faste, qui nous a légué la tradition de Innayer, retenue comme date pour le calendrier amazighe. La célébration est restée dans la tradition nord-africaine et son élection en tant qu’emblème identitaire faisant partie des éléments de revalorisation de la civilisation amazighe est l’œuvre de militants amazighe durant les années 70, particulièrement les activistes de l’Académie Berbère à Paris. Ceux-là même qui sont les architectes de la conception du « Drapeau amazighe ».

Adhérez-vous à la demande de l’officialisation du nouvel an amazighe?

Absolument. Cette célébration fait partie des événements millénaires et historiques que notre mémoire collective perpétue. Elle ne fera de mal à personne, sauf probablement aux esprits ankylosés et au tenant du Discours niveleur d’obédience arabo-islamique. Elle donne au Maroc et à l’Afrique du nord sa spécificité et sa profondeur historique. C’est aussi un symbole de l’union et de la fraternité, d’un rassemblement autour de mets, avec toute la symbolique qui caractérise la nourriture dans notre culture amazighe et marocaine et les valeurs qui lui sont inhérentes : générosité, solidarité, aide, partage…  

Un mot sur l’activité de célébration de cette fête par l’IRCAM. ?

La célébration du nouvel an amazighe est une tradition consacrée par l’IRCAM, depuis sa création. Cette année, 2972 sera fêtée conformément à un programme qui, pour des raisons liées à la pandémie du COVID 19, se fera à distance, sous le thème : « Valeurs de Innayer : souhait et espoir », le 14 janvier 2022, à partir de 15 :00., via le site internet de l’Institut : www.ircam.ma. Le programme comporte plusieurs capsules réalisées par des Centres de recherches et qui analysent et décortiquent le sens et la symbolique de Innayer, dans des perspectives anthropologique, historique et pédagogique.


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