Interview avec Rachid EL HAHI, auteur de «L’Amazigh et le vivre ensemble»
«L’Amazigh et le vivre ensemble, Essai sur la culture et les valeurs», est l’intitulé du nouvel ouvrage du Chercheur Rachid EL HAHI qui vient de paraître aux Éditions Universitaires Européennes. Pour éclairer la thèse développée dans cet Essai, nous avons réalisé cet entretien avec l’auteur.
Commet est née l’idée d’écrire ce livre dont le titre « l’amazigh et le vivre ensemble» est aussi significatif qu’attirant par son actualité ?
Ecrire sur l’amazigh et le vivre ensemble est un projet qui m’est venu à l’esprit depuis plusieurs années, pour deux motivations ou raisons. D’une part, autant que chercheur et acteur de la société civile œuvrant dans le champ de la promotion de la culture amazigh, on se heurte dans l’espace du débat publique mené sur la question amazighe au Maroc, et je pense que c’est pareil dans tous les pays de l’Afrique du nord, aux fausses représentations qui se nourrissent des idéologies hostiles tentant de ridiculiser la revendication amazigh ou l’accuser de tentation de démanteler l’unité nationale des pays, ou celles qui la simplifie dans la seule dimension linguistique et patrimoniale, tout en ignorant, ou semblant oublier, qu’il s’agit aussi d’une culture ancestrale porteuse de valeurs humaines et d’un discours intellectuel et créatif moderne qui a contribué efficacement à la mise en valeurs des devise de diversité, de tolérance et du vivre ensemble dans notre société contemporaine .
D’autre part, lors de la préparation de la 14eme édition du colloque international de l’université d’été d’Agadir que je préside actuellement, on s’est mis d’accord au bureau et au comité du colloque de la consacrer au thème des « valeurs sociétales », et j’ai proposé d’y mentionner et d’ajouter « le vivre ensemble » ; depuis, et suite à un article traitant une partie de ce sujet que j’ai publié dans un magazine, après quelques mois, j’ai été contacté par les éditions universitaires européennes qui m’ont proposé une éventuelle collaboration pour m’éditer un ouvrage développant cette thématique. Une invitation à laquelle j’ai pas tardé à répondre, en profitant du temps de confinement à cause du Corona virus pour m’enfoncer dans la réflexion et le développement des idées traitées et de la méthodologie de travail, et la relecture de plus de 40 références bibliographiques, et j’ai pu rédiger le manuscrit définitif en trente jours de travail concentré avec une moyenne de 14 heures par jour.
D’après votre Essai, L’amazigh est une composante vivace et question de grande ampleur dans le contexte des dynamiques sociales et projet de construction démocratique pluriel au Maroc. Quelles en sont vos arguments ?
Effectivement, c’est un constat sur lequel se rejoignent plusieurs chercheurs et acteurs politiques et culturels impartiaux, il suffit de voir le nombre intéressant des associations amazighs crées et propagées sur tout le territoire marocain et leur forte présence dans la dynamique sociale que connait le Maroc, faire une typologie des discours circulants, analyser le discours culturel amazigh depuis les années soixante-dix, et contempler les différents propos qui ont marqué l’apport des intellectuels et acteurs amazighs, tout en prenant en considération l’état du lieu de la chose linguistique, culturelle et idéologique au pays durant plusieurs décennies d’après indépendances, cela suffit pour se rendre compte et conclure que l’amazighité est forte présente autant que mouvement culturel et atout démocratique pour le Maroc moderne.
Ceci dit, sachant que l’apport sociétal du mouvement amazigh au Maroc, en plus de son travail sur l’instauration du pluralisme linguistique et culturel et la reconnaissance de l’amazigh et son insertion officielle dans la vie publique, il a contribué fortement à la modernisation des systèmes de valeurs notamment à la citoyenneté, au bannissement des idées propageant la haine, le fanatisme et le mépris de l’autre et de soi.
Et c’est d’ailleurs, le constat auquel j’ai consacré deux chapitres à travers lesquels j’ai explicité les différents éléments culturels, discursifs et organisationnels qui le démontre et le confirme, en examinant, d’une part, les valeurs qu’engendre la culture amazigh à travers ses expressions et son histoire, et d’autre part, celles que révèle le discours culturel amazigh, exprimées notamment à travers les écrits des acteurs et intellectuels, les textes produits en matière d’organisation juridique des associations, et les documents et pratiques qui explicitent leur vision du système de valeurs sociétales, en général, et de la chose culturelle et linguistique, en particulier.
A l’issue de votre analyse, comment vous apercevez l’avenir de la culture de diversité et de différence, et du système de valeurs sociétales en général, dans le Maroc de demain ?
Les apports de ce discours correctif, fort par sa légitimité démocratique et ses fondements théoriques et scientifiques, ont retrouvé leur première reconnaissance au prés de l’Etat en 2001 avec le discours royal d’Ajdir annonçant la création de l’institut royal de la culture amazigh, et dans lequel le Roi Mohammed VI a fortement souligné «à travers cet acte, nous voulons, tout d’abord, exprimer ensemble notre reconnaissance de l’intégralité de notre histoire commune et de notre identité culturelle nationale bâtie autour d’apports multiples et variés…Nous voulons aussi affirmer que l’amazighité qui plonge ses racines au plus profond de l’histoire du peuple marocain appartient à tous les Marocains, sans exclusive. Sa promotion est une responsabilité nationale».
Après dix ans, pour la première fois, l’Amazigh se retrouve dans la sixième Constitution du pays depuis son indépendance, dont le préambule et l’article cinq annoncent la pluralité des affluents qui ont forgé l’histoire et façonné l’identité du Royaume, et le nouveau statut de l’amazigh comme langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les marocains sans exception. Cette reconnaissance constitutionnelle, est accompli par deux lois organiques, éditées dans le bulletin officiel, définissant le processus de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazigh, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et la création d’un Conseil national des langues et de la culture marocaine qui regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines. Ce conseil sera chargé de plusieurs attributions et missions, notamment, la protection et le développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, et la proposition d’orientations stratégiques de l’Etat dans les domaines linguistique et culturel, permettant leur cohérence et leur complémentarité.
A l’issue de ce débat convainquant qui a duré plus de trois décennies, et après la reconnaissance officielle par l’état de la dimension amazigh ancrée profondément dans son histoire, Les expressions identité multiple et culture plurielle, sont devenues une sorte d’axiome qui ne provoquent plus de discussion et d’objection, ni chez les partis politiques ni chez la plus part des autres courants et acteurs culturels, car s’opposer à ce concept signifie s’opposer à la démocratie, rejeter l’autre et exprimer une position fermée et intolérante à l’encontre des valeurs de différence et diversité.
Cependant, la mise en œuvre de cette diversité linguistique et culturelle, l’instauration effective des valeurs de différence, de tolérance, et la modernisation du système de valeurs sociétales, demeure un grand chantier ouvert sur l’avenir, ce qui nécessite une grande volonté politique, de la gouvernance et changement des mentalités institutionnelles et une nouvelle élite intellectuelle et démocratique qui en croit et apte à le mettre en œuvre dans la vie publique des marocains.
Propos recueillis par Ahmed Sabiri